Depuis le début du confinement, avec la fermeture de l’Horeca et des commerces, la situation des étudiants et élèves jobistes est critique. Nos organisations ont reçu des centaines de témoignages qui vont tous dans le même sens: pour les jobistes, c’est la misère!
Alors que les jobistes ont cotisé pour 100 millions d’euros à la sécurité sociale en 2019, ils n’y ont pas accès. Selon les statistiques de l’ONSS, chaque jobiste empêché de travailler perd en moyenne 250 euros par mois dans cette crise. Et selon le dernier sondage du Comité des élèves francophones (CEF), 32% des élèves avaient un job avant la crise et parmi eux, 24% comptaient sur ce job pour financer une partie de leur scolarité. En tout, un jobiste sur quatre dépend de son travail pour subvenir à ses besoins vitaux: «Sans le revenu que m’apporte chaque mois ce job, il est impossible pour moi de payer mon kot», «je travaille dans l’Horeca et je n’ai plus de boulot. Depuis le début du confinement, je perds 700 euros par mois!» Et ceci n’est qu’un échantillon…
Rapidement, nos organisations se sont unies pour demander au gouvernement fédéral de créer un fonds d’urgence pour les jobistes afin de garantir leur revenu et nous avons lancé une pétition qui a récolté 6.000 signatures en soutien de cette revendication. Le 11 avril, au contraire de la réponse solidaire que les organisations de jeunesse préconisaient, le gouvernement fédéral a pris la décision de neutraliser la limite de 475 heures. Permettant ainsi aux étudiants de travailler au-delà des heures légales. Pour plusieurs raisons, cette mesure est inacceptable pour nos organisations de jeunesse.
Alors que le gouvernement défend cette mesure comme une sorte de Win-Win-Win. Win pour les travailleurs car les étudiants et les élèves contribuent à la relance économique et soulagent leurs collègues mis sous pression. Win pour les citoyens car les jobistes apporteront leur aide afin que les produits essentiels soient disponibles pour les gens. Win pour les jobistes et leurs familles car ils auront un revenu sans être pénalisés sur leur quota d’heure. Pour nous, cette mesure a plutôt les contours d’une fausse bonne idée. Nous, acteurs de terrains, avons une autre analyse de la réalité des étudiants et du monde du travail. Explication…
Premièrement, faire sauter la limite des 475 heures est une solution individuelle à un problème collectif. Or en ces temps difficiles, les étudiants ainsi que les élèves du secondaire ont besoin de revenus et le rôle de l’État est de leur apporter une solution collective équitable pour tous. Sinon, ça veut dire que certains étudiants et élèves vont s’en sortir et d’autres pas du tout, certaines familles vont s’en sortir et d’autres non.
Deuxièmement, le job principal des étudiants et des élèves est d’étudier! Avec la crise, ceux-ci subissent déjà beaucoup de stress par rapport à leurs études. Plus que jamais, ils doivent se concentrer sur leurs études et leurs examens. Pour assurer la réussite scolaire en ces temps difficiles, nous devrions, à l’inverse, les aider financièrement pour leur permettre d’être complètement disponibles pour réussir à l’école. Sans ça, les inégalités scolaires, déjà criantes, risquent d’exploser.
Troisièmement, nous apprenions le 13 avril que 85% des entreprises contrôlées ne respectent pas les règles de distanciation physique. Si on ajoute à cela que les secteurs manquent de masques, que nous n’avons même pas encore atteint les 10.000 tests annoncés et que les jeunes porteurs du Covid-19 sont le plus souvent asymptomatiques, le risque est grand que les milliers de jobistes qui vont être employés sans limites jusque fin juin deviennent demain les nouveaux vecteurs du virus dans leur entourage (au travail, dans leur famille). À l’instar de Élyne, jobiste dans un supermarché à Jodoigne, qui, malgré le fait qu’elle présentait des symptômes du Covid-19, a été forcée d’aller travailler pour éviter d’être licenciée par son employeur.
Quatrièmement, flexibiliser le cadre du travail des étudiants et des élèves entraînera des embauches massives à des conditions salariales bien moindres que pour n’importe quel autre travailleur avec ou sans emploi. L’heure est à la solidarité, pas au dumping social dans les supermarchés.
Cinquièmement, nous constatons que les étudiants et les élèves sont déjà solidaires et travaillent dans les secteurs essentiels (supermarchés, logistiques, livraisons, etc.). Un étudiant de Mons raconte: «Je suis engagé dans un magasin alimentaire et j’ai des horaires de fou depuis le début du confinement (plus de 10 heures par jour)… Mais je ne peux pas laisser tomber mon équipe au travail, ils ont tous des enfants et font aussi des horaires de dingue.» Comme des milliers d’autres, il est déjà en première ligne. Cette situation démontre encore une fois que les jobistes devraient avoir les mêmes droits que n’importe quels travailleurs. Ils n’ont pas besoin de plus de flexibilité en travaillant au-delà de 475 h, ils ont besoin d’avoir de meilleures conditions de travail et un accès à la sécurité sociale en cas de problème.
Des solutions doivent effectivement être trouvées, d’une part, pour éviter de précariser encore plus les étudiants, les élèves et leurs familles. Et d’autre part, pour que les jobistes puissent être solidaires des autres travailleurs. Cependant, ce n’est pas aux jobistes et aux travailleurs en général à payer les conséquences de la crise. La santé et les revenus des travailleurs doivent passer avant les intérêts économiques à court terme des grandes entreprises. Dans les conditions actuelles, il est fort à parier que sans réaction du monde politique nous assistions à une hécatombe scolaire parmi nos jeunes et particulièrement les plus fragilisés, mais aussi à des mécanismes pervers de concurrences entre travailleurs classiques et travailleurs étudiants et à des manquements à la sécurité sanitaire la plus élémentaire mettant toute la population en danger.
Contrairement à nos dirigeants, nous pensons qu’il y a des alternatives solidaires et justes qui peuvent être mises en place pour protéger les jobistes, les travailleurs et les citoyens avec:
1– La création d’un fonds d’urgence fédéral pour garantir les revenus de tous les étudiants du secondaire et du supérieur qui ont subi une perte de salaire pendant la période d’application des mesures du Conseil national de sécurité. Selon nos calculs le fonds devrait s’élever à 30 millions d’euros par mois. Pour rappel, les cotisations sociales réduites des étudiants ont permis aux employeurs d’économiser 280 millions d’euros en 2019. En faisant contribuer les plus grands employeurs de jobistes, ce fonds serait parfaitement finançable sans mettre à mal les revenus des autres travailleurs ni ceux des PME.
2– L’amélioration du statut d’étudiant en période de crise en permettant que toutes les heures prestées sous contrat étudiant entre le 1er avril et 30 juin cotisent à la sécurité sociale comme les autres travailleurs pour contribuer à la lutte contre le coronavirus en finançant la sécurité sociale.
3– Le renforcement des mesures de sécurité sanitaire dans les entreprises:
o En fournissant des masques en suffisance à tous les travailleurs sur leur lieu de travail.
o En désinfectant les postes de travail
o En organisant des tests des travailleurs avec un focus particulier sur les secteurs de l’aide à la personne, de la distribution alimentaire et de l’horeca.
o En dégageant des moyens pour contrôler les entreprises et faire respecter scrupuleusement les règles de distanciation physique.
En ne fournissant pas suffisamment de masques, en ne testant pas suffisamment les travailleurs, en incitant les étudiants et les élèves à aller travailler, en ne faisant pas respecter scrupuleusement la distanciation physique dans les entreprises, le gouvernement n’assume pas ses responsabilités et met en danger les travailleurs. Quand nos dirigeants vont-ils enfin écouter les étudiants les élèves, les travailleurs et les acteurs de terrain et revoir leur copie pour la solidarité, la justice sociale et fiscale et la sécurité sanitaire?
Signataires:
Comité des élèves francophones (CEF), Kristelijke Arbeidersjongeren (KAJ), Jeunes organisés et combatifs (JOC), D’Broej, Jeunes CSC, Fédération des étudiants francophones (FEF), Patro, Uit de Marge, Conseil de la jeunesse catholique (CJC), Bas les Masques, Service d’information et d’animation des jeunes (SIAJ).