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Regard critique · Justice sociale

Emploi/formation

Travail, famille… Inégalités

Le rapport au travail des femmes reste largement dominé par leur appartenance sociale, leur statut socioprofessionnel, les contraintes familiales et les exigences du marché. Un cocktail qui peut s’avérer, sur l’autel de l’employabilité, particulièrement violent. Les politiques en matière d’emploi restent en effet foncièrement paternalistes, renforcent les rôles traditionnels et amputent les revenus des femmes.

© Philippe Debongnie

Doit-on tellement se réjouir de la présence plus importante des femmes sur le marché du travail, de la baisse du taux de chômage de celles-ci, de la diminution de la part des femmes inactives à Bruxelles comme en Wallonie, lorsqu’on constate parallèlement que l’insertion des femmes dans l’emploi se fait dans des postes peu qualifiés ou dans des temps partiels non choisis? Avec des inégalités constantes. «C’est un véritable paradoxe, admet Sile O’Dorchai, de l’Institut wallon de l’évalutation, de la prospective et de la statistique (IWEPS). Si évolution il y a, elle est très lente. Une des raisons principales par rapport à la persistance de ces inégalités, ce sont les stéréotypes et les représentations biaisées qui sont encore très présents dans notre société, une situation très difficile à combattre. C’est dans toutes les sphères, à tous les niveaux, à tous les âges que femmes et hommes ne sont pas traités de manière identique.»

Le temps partiel, un piège

Cette ségrégation à tous les étages a ses causes. Avec l’augmentation continuelle du temps partiel, l’égalité dans l’emploi a été freinée, au profit de la construction de nouveaux ghettos pour l’insertion socioprofessionnelle des femmes. Selon l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes (IEFH), celles-ci sont surreprésentées dans l’emploi à temps partiel: près d’une femme salariée sur deux contre un homme salarié sur dix. «Je présente toujours le temps partiel comme un ‘piège’. C’est davantage une contrainte qu’un choix», ajoute Sile O’Dorchai. «On est loin d’un dispositif qui favorise la conciliation entre vie professionnelle et privée vu les horaires des caissières, des aides-soignantes ou des titres-services. C’est très tôt le matin, très tard le soir, et, en termes de vie familiale, ce n’est pas idéal. Souvent ces femmes voudraient travailler davantage, et doivent parfois combiner plusieurs emplois pour rester en dehors de la précarité», poursuit-elle.

Il existe pourtant un outil, la CCT 35, pour limiter l’extension de ce temps partiel avec le droit pour les personnes sous ce carcan d’obtenir par priorité un emploi à temps plein dans son entreprise. «Les contrôles comme les sanctions sont trop faibles, et cette CCT n’est pas suffisamment appliquée. Son application doit pourtant être une priorité, sans quoi on continuera de discriminer les femmes quand elles travaillent, mais aussi quand elles devront bénéficier de la sécurité sociale, notamment au niveau de la pension ou du chômage», indique encore Gaëlle Demez, des Femmes CSC.

«Des métiers qui restent pourtant invisibles parce qu’ils  sont touchés par un sexisme systémique basé sur le ‘care’, le soin aux autres, construit comme une caractéristique féminine naturelle.» Eléonore Stultjens, chargée d’études aux Femmes prévoyantes socialistes 

En outre, choisir un temps partiel – c’est le cas pour une femme sur dix –, c’est surtout le choisir pour d’autres raisons, souvent privées, comme «le manque de place en institution pour ses enfants, ses proches malades ou handicapés, ses parents vieillissants; des soucis de mobilité qui rendent le travail impossible à concilier avec le temps privé; la pénibilité du travail qui rend le maintien à temps plein impossible, physiquement ou mentalement, durant toute une carrière», ajoute Gaëlle Demez.

La précarité, malgré l’emploi

Le temps partiel s’est développé dans des emplois à la fois peu qualifiés et fortement féminisés: aide à la personne, caissière, assistante maternelle, femme de ménage… En Wallonie, cela représente un tiers des femmes. Des emplois précaires, à forte pénibilité physique ou mentale, aux horaires flexibles, souvent proposés aux publics les plus fragiles pour s’insérer plus rapidement sur le marché du travail, des emplois qui se sont révélés essentiels lors de la crise sanitaire. «Des métiers qui restent pourtant invisibles parce qu’ils sont touchés par un sexisme systémique basé sur le ‘care’, le soin aux autres, construit comme une caractéristique féminine naturelle. Comme c’est naturel, cela supposerait moins d’efforts, et donc pas forcément une valorisation sociale et financière», relève Eléonore Stultjens, chargée d’études aux Femmes prévoyantes socialistes.

Pas étonnant que temps partiel rime aussi avec écart salarial, «puisqu’il vient réduire les possibilités de carrière, de promotion, de meilleure rémunération», résume Eléonore Stultjens. En moyenne, les femmes ont un revenu personnel qui n’équivaut qu’à 70% du revenu des hommes. En 2017, l’écart salarial s’élevait d’ailleurs à 23,7%, selon la dernière étude de l’IEFH.

«Une partie non négligeable de l’écart salarial est à mettre aussi sur le compte de la ségrégation sectorielle et professionnelle: les femmes se retrouvent en effet davantage dans des secteurs et des métiers moins valorisés et moins bien rémunérés que les hommes», ajoute la chargée d’études. Une ségrégation qui régit d’ailleurs les services publics de l’emploi comme le Forem ou Actiris: «Même s’il y a une vraie volonté de travailler ces questions genrées de la part de ces acteurs, force est de constater que les femmes restent orientées vers des métiers de femmes, les hommes vers des métiers d’hommes», indique Gaëlle Demez, des Femmes CSC. «Ce qui prévaut, c’est une logique de rentabilité de ces institutions, où les formateurs vont être jugés sur le nombre de personnes qu’ils auront réussi à remettre à l’emploi. C’est plus facile de mettre une femme en puériculture, un homme en maçonnerie que l’inverse. Rencontrer l’envie, la motivation de la personne prendra beaucoup plus de temps.»

«La différence se creuse en effet, une fois que les enfants arrivent. C’est à ce moment-là que tous les stéréotypes tombent sur la tête des femmes. Plus le nombre d’enfants augmente, pire c’est.» Gaëlle Demez, Femmes CSC

Il reste en outre la partie inexpliquée de l’écart salarial: même en ayant les mêmes caractéristiques que les hommes, les femmes gagnent moins. C’est-à-dire qu’une femme ayant la même ancienneté, le même âge, travaillant dans le même secteur, avec la même profession et le même niveau de diplôme gagnera en moyenne moins que celui-ci. Le fameux plafond de verre qui semble ne pas vouloir se briser étant donné que la présence des femmes dans les postes à responsabilité a même tendance à diminuer au cours de ces dernières années, selon une étude de l’IWEPS parue en 2017.

La maternité, une discrimination

L’écart salarial peut s’expliquer aussi comme lorsqu’une femme, parce qu’elle a des enfants, voit ses chances de promotion réduites alors qu’un homme voit justement ses chances augmenter. «La différence se creuse en effet, une fois que les enfants arrivent. C’est à ce moment-là que tous les stéréotypes tombent sur la tête des femmes. Plus le nombre d’enfants augmente, pire c’est. Le coût de la maternité pour les femmes est d’ailleurs énorme, avec une chute de salaires de près de 40%, et elle a des conséquences aussi au niveau de la qualité des emplois», analyse Gaëlle Demez, qui ne plaide sous aucun prétexte pour une extension du congé de maternité, pourtant l’un des plus courts d’Europe, «mais il ne faut pas que les femmes soient davantage éloignées du monde du travail. Y retourner au-delà de six mois risque de les conduire sur des voies de garage.»

La maternité est un frein au niveau tant de l’égalité salariale que de l’égalité du temps passé à domicile dans les tâches familiales. «Si, dans les années 80 et 90, la tendance penchait vers un meilleur équilibre, depuis les années 2000, on stagne. Cela n’évolue plus vraiment en fait», précise Véronique De Baets, de l’IEFH. En temps normal, elles assument d’ailleurs deux tiers du travail domestique et familial, selon une étude de l’IWEPS. Avec la crise actuelle, cela risque de ne pas s’arranger puisque 75% des congés parentaux corona ont été pris par des femmes selon l’ONEM. «Si l’intention était bonne, portée d’ailleurs par la Ligue des familles, cette mesure prise sans autre accompagnement n’a fait que renforcer les inégalités hommes-femmes. La difficulté d’une mesure prise dans l’urgence fait que l’égalité passe toujours au dernier plan au profit des dimensions économiques et sociales», ajoute-t-elle. Il existe pourtant depuis 2007 une loi sur le «gendermainstreaming» qui devrait contraindre tout gouvernement à adopter des décisions qui ne discriminent plus les femmes…

Gaëlle Demez constate que les femmes seront toujours davantage pénalisées que les hommes dans leur quête de conciliation entre insertion socioprofessionnelle et vie de famille: «Si ce n’est pas sur le marché du travail, ce sera alors dans sa recherche d’emploi. On rencontre hélas des cas très fréquents de femmes contrôlées par l’ONEM à qui on leur reproche de ne pas avoir trouvé une garde d’enfant.» «La pression sur les travailleuses sans emploi s’accroît», ajoute Eléonore Stultjens qui a consacré une étude aux parcours de ces femmes. «Il leur suggère d’être plus flexibles, plus adaptables, mal rémunérées et peu protégées. Une flexibilisation facilitée par le discours de responsabilisation des chômeuses: si celles-ci veulent s’appliquer davantage afin de payer leurs factures, pour paraphraser Zuhal Demir, elles devraient être prêtes à accepter n’importe quel emploi, quelles que soient les conditions de travail.»

Temps partiels, inégalités de salaire, congés parentaux, flexibilisation accrue… Ces non-choix ont en outre évidemment des répercussions directes sur les conditions de pension des femmes. En 2017, elles représentaient deux tiers des 20% de pensionnés vivant sous le seuil de pauvreté, tandis que l’écart entre les pensions des hommes et des femmes s’élève à plus de 30%. «La précarité que celles-ci connaissent déjà en travaillant s’installe dans la durée», constate encore Sile O’Dorchai. Et l’économiste de pointer alors le rôle quelque peu ambivalent de la sécurité sociale sur les inégalités entre femmes et hommes que ce soit au niveau du montant des pensions ou de l’accès à l’allocation de chômage. «C’est vrai qu’il y a des ‘violences’ qui sont encastrées dans nos politiques sociales. C’est cela qui est difficile à combattre, et même une politique bien réfléchie sur cette question n’arriverait pas à résoudre ces biais sexistes qui se retrouvent partout, y compris dans le système de sécurité sociale avec des droits qui restent basés sur le statut familial (cohabitant, chef de famille…), ce qui se révèle plus que pénalisant pour les femmes.»

En savoir plus

«SOFFT, un service d’insertion qui lutte contre les stéréotypes», Alter Échos web, 2 mars 2021, Pierre Jassogne.

«Égalité financière entre les femmes et les hommes: toujours une chimère en Wallonie»,  Alter Échos n°478, novembre 2019, Manon Legrand.

«Écart salarial hommes-femmes: la guerre des chiffres», Alter Échos n°473, avril 2019, Julien Winkel.

Pierre Jassogne

Pierre Jassogne

Journaliste

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