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Travail intérimaire : vers la fin des restrictions ?

Adoptée par le Parlement européen, la directive concernant le travail intérimaire appelle notamment à la levée des restrictions « non justifiées» empêchant l’usage de l’intérim dans certains secteurs. En Belgique, le secteur public, la batellerie intérieure et le déménagement pourraient, entre autres,être concernés. Une question actuellement débattue au sein du Conseil national du travail (CNT).

28-11-2008 Alter Échos n° 283

Adoptée par le Parlement européen, la directive concernant le travail intérimaire appelle notamment à la levée des restrictions « non justifiées» empêchant l’usage de l’intérim dans certains secteurs. En Belgique, le secteur public, la batellerie intérieure et le déménagement pourraient, entre autres,être concernés. Une question actuellement débattue au sein du Conseil national du travail (CNT).

Après six ans de palabres, la directive européenne concernant le travail intérimaire vient d’être votée, en séance plénière, au Parlementeuropéen, le 22 octobre dernier. Un accouchement douloureux justifié par l’une des deux principales mesures contenues dans la directive : l’equal treatment, ou « traitementégalitaire » qui stipule que les travailleurs intérimaires doivent bénéficier de droits égaux à ceux des travailleurs « réguliers »en termes d’heures de travail, de salaire et de vacances. Si ce principe d’égalité était déjà d’application dans un bon nombre de pays, dont la Belgique, certainsÉtats moins favorables à la régulation du marché du travail rechignaient à suivre le mouvement. Ce qui est désormais chose faite.

Ensuite, et ceci constitue la seconde mesure contenue dans la directive, le nouveau texte européen impose aux États membres de réexaminer et de justifier les interdictions oules restrictions actuellement en vigueur concernant le recours au travail intérimaire. Or, côté belge, un certain nombre de secteurs restent sous le coup de telles mesures commele secteur public (de manière partielle puisque les employés non statutaires, les contractuels, peuvent être remplacés par des intérimaires), la batellerieintérieure ou encore le déménagement. Inutile de préciser que, pour le monde de l’intérim, la directive s’apparente dès lors à une occasionrêvée d’investir ces « territoires » jusque là interdits. « La loi actuelle qui régit le secteur en Belgique date de 1987, déclare à cesujet Herwig Muyldermans, directeur général de Federgon, la fédération des entreprises de travail intérimaire1. Or depuis cette époque, lerôle de l’intérim est devenu extrêmement important en Belgique. La situation a évolué. Nous plaidons dès lors pour un grand accord visant à moderniserla réglementation de l’intérim en Belgique et nous pensons qu’il n’y a plus vraiment de raisons de maintenir ces restrictions. »

Des restrictions qui, selon la directive européenne, ne pourront être maintenues que pour des raisons « d’intérêt général ». « Noussoutenons que toutes les restrictions doivent être réexaminées afin de voir si elles sont justifiées. À titre d’exemple, le secteur de la batellerie aété interdit à l’intérim, si je ne me trompe pas, après un seul accident grave, pour des raisons de sécurité… » Et le directeurgénéral d’embrayer sur le secteur public. Selon lui, 800 « cas » d’intérim dans le secteur public auraient été recensés en 2007. « Laréalité sur le terrain est que tout le monde a recours aux intérimaires, conclut-il. Il est temps, je pense, d’arrêter de jouer la comédie. »

Quelle position pour les syndicats au Conseil national du travail ?

C’est cette position, qualifiée parfois de « maximaliste », qui est défendue par Federgon au Conseil national du travail, où le dossier est actuellement en coursde négociation entre les partenaires sociaux. Du côté des syndicats, on ne s’oppose pas vraiment à la directive européenne et à la position de Federgon maison veut tempérer les ardeurs patronales, même si la CGSLB2 se déclare, elle, « globalement satisfaite ». « Nous sommes bien évidemment positifspar rapport à la notion d’equal treatment contenue dans la directive, affirme Jacques Michiels, secrétaire général de la FGTB Centralegénérale3. Mais concernant les restrictions, nous pensons que si certaines d’entre elles ont été mises en place, c’est qu’il y a des raisons. »

Globalement, la position des syndicats semble en fait être la suivante : il faut inventorier les différentes restrictions existantes et demander aux secteurs concernés s’ilsveulent les maintenir. Si la réponse se révèle positive, il faudra alors justifier… Une position finalement pas si éloignée de celle prônée parla directive. « Au niveau du secteur public, la levée des restrictions risque de poser problème si l’on veut remplacer des statutaires par des intérimaires, affirmeAndré Leurs, juriste en charge du dossier à la CSC4. Par contre, pour le secteur du déménagement, il risque d’y avoir quelques difficultés àjustifier le maintien des restrictions puisque dans le milieu de la construction, que l’on peut considérer comme plus dangereux au niveau de la sécurité, l’interdiction estlevée depuis 2002… »

L’intérim, un acteur important du marché de l’emploi ?

Néanmoins, de manière plus globale, c’est la tendance de la directive à consacrer l’intérim comme un acteur important de l’emploi qui semble déranger ducôté syndical. « La directive se fonde sur un discours quelque peu lénifiant concernant l’intérim, déclare Jacques Michiels. Il est clair que l’intérimest devenu très important mais nous ne pensons pas vraiment que ce soit un tremplin pour l’emploi, comme on l’affirme souvent, mais plutôt un tremplin pour le chômage.L’intérim ne crée pas vraiment d’emploi. Ce sont les secteurs qui créent de l’emploi. »

La question de la directive européenne mène, en quelque sorte, à un débat plus général concernant la place de l’intérim sur le marché del’emploi. Étienne Arcq5, chercheur au Centre d’information et de recherche socio-politique (Crisp) et rédacteur en chef du Courrier Hebdomadaire, donne son avis sur laquestion : « La logique syndicale est de limiter au maximum la flexibilité du travail. L’idéal pour les syndicats reste bien sûr un contrat temps plein à duréeindéterminée, grâce auquel le travailleur est en mesure de faire un plan de carrière. L’intérim, dans ce cadre, constitue une sorte de pis aller qui ne doitêtre envisagé qu’en dernier recours… À cela s’oppose la vision des opérateurs d’intérim et de Federgon qui, en tirant un peu, pourraient aller jusqu’àaffirmer que l’intérim, c’est bien pour tout le monde… » Un débat important donc, même si l’ensemble des partenaires sociaux semblent enclins à l’ouverturedans les négociations en cours a
u Conseil national du travail.

Le quatrième motif : vers une généralisation de l’intérim ?

Dans ce contexte, un sujet revient régulièrement sur la table : le quatrième motif. En effet, en marge des discussions concernant la directive européenne, lespartenaires sociaux discutent à l’heure actuelle, au sein du CNT, de la possibilité d’introduire un quatrième motif permettant le recours à l’intérim. Pour rappel,à l’heure actuelle, les employeurs peuvent avoir recours à l’intérim dans trois situations bien précises : afin de remplacer un travailleur permanent, lors d’unsurcroît temporaire de travail ou dans le cas de travaux exceptionnels. Or un quatrième motif pourrait se voir, un jour, ajouté : le motif « d’insertion ». Celui-cidevrait permettre aux employeurs d’avoir recours aux opérateurs d’intérim pour sélectionner et embaucher de manière fixe des travailleurs après une périoded’intérim. Une légalisation d’une situation qui existe de facto d’après Herwig Muyldermans puisque, selon Federgon, l’intérim permet déjà à 50à 60 % des intérimaires de se voir embauchés définitivement à l’issue de leur mission d’intérim.

Or, du côté des syndicats, si d’après Jacques Michiels, « le stade de blocage a été dépassé » et si l’on prône lanégociation, on met cependant en garde contre une possible « généralisation de l’intérim » qui pourrait découler d’un tel ajout. « Cequatrième motif pose question, déclare André Leurs. À l’heure actuelle, les intérimaires se « promènent » déjà entre les troismotifs, sont engagés une fois pour l’un, une fois pour l’autre. Ce qui peut expliquer pourquoi certains d’entre eux restent si longtemps intérimaires. Introduire un quatrièmemotif dans ce contexte, c’est élargir encore le champ et cela pourrait aboutir à une forme de généralisation de l’intérim. » Une crainte partagée parJacques Michiels : « Si ce quatrième motif n’est pas encadré, il pourrait rendre les trois autres motifs caduques, et mener ainsi à une généralisation del’intérim. Il faut être clair : ce motif, c’est un marché supplémentaire pour l’intérim, pas une plus-value pour le marché de l’emploi. »

Dans ce contexte, des contreparties pourraient être demandées, comme celles de dispenser de période d’essai l’intérimaire embauché après la périoded’intérim ou d’engager les employeurs à une « obligation de résultats » les contraignant à engager effectivement après avoir eu recours auquatrième motif.

1. Federgon :
– adresse : av. du port, 86 C bte 302 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 203 38 03
– courriel : info@ferdergon.be
– site : www.federgon.be
2. CGSLB :
– adresse : bd Poincaré, 72-74 à 1070 Bruxelles
– tél. : 02 558 51 50
– courriel : cgslb@cgslb.be
– site : www.cgslb.be
3. FGTB Centrale générale :
– adresse : rue Haute, 26-28 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 549 05 49
– site : www.accg.be
4. CSC :
– adresse : chaussée de Haecht, 579 à 1030 Bruxelles
– tél. : 02 246 31 11
– site : www.csc-en-ligne.be
5. Crisp :
– adresse : place Quetelet, 1 A à 1210 Bruxelles
– tél. : 02 211 01 80
– site : www.crisp.be

Julien Winkel

Julien Winkel

Journaliste (emploi et formation)

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