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Emploi/formation

Travailler peut faire perdre de l’argent

Les pièges à l’emploi empêcheraient les personnes chômeuses ou allocataires sociales d’accepter un travail, car les moyens des ménages, déjà peu élevés, diminueraient encore en acceptant certaines offres d’emploi. Si l’on tient compte que les publics précarisés, dont le niveau d’instruction est faible, se voient généralement proposer des emplois mal rémunérés et à des conditions de travail pénibles, comment s’étonner de l’impact de tels pièges? Débats idéologiques et chiffres tangibles.

23-10-2023
© shutterstock

On parle depuis longtemps des pièges à l’emploi pour expliquer que d’aucuns resteraient volontairement au chômage ou dépendants des allocations sociales où ils jouissent des avantages sociaux y afférents. Avec pour corollaire la mise en cause des trop nombreuses aides de l’État envers les plus précarisés. Certes, un certain nombre d’avantages leur sont octroyés, comme le statut BIM (bénéficiaire d’intervention majorée), des allocations familiales majorées, le tarif social pour l’énergie, des allocations d’études pour les enfants ou encore des aides spécifiques accordées par les CPAS. Certains de ces avantages sont accordés en fonction des revenus, d’autres d’un statut. Accepter un travail pourrait signifier perdre tout ou partie de ces avantages et devoir par ailleurs prendre en charge des frais de mobilité pour se rendre au travail, de garde d’enfants, si ceux-ci ne sont pas encore en âge de scolarité, ou encore des frais de nourriture ou de vêtements, liés à l’exercice de la profession.

 

Rajoutez à cela des conditions de travail qui se détériorent avec des emplois de plus en plus précaires, une rémunération très basse qui ne protège pas de la pauvreté et un détricotage des éléments de protection sociale, et on comprend sans doute mieux la difficulté pour ces bénéficiaires de revenus de remplacement d’accepter de tels emplois qui auraient pour effet de diminuer leurs rentrées déjà limitées.

 

Une question complexe et politique

 

Dans le débat s’invitent également des considérations idéologiques, mettant notamment en cause le fait que les allocations de chômage seraient octroyées chez nous de manière plus longue qu’ailleurs, ce qui maintiendrait les chômeurs dans une position d’assistés. D’où la proposition récente de certains partis de limiter ces allocations à deux années pour ceux qui n’accepteraient pas un emploi de base. Or, sous les gouvernements Di Rupo, Michel I et II, des mesures ont déjà été prises, notamment concernant la dégressivité des allocations de chômage dites ordinaires ou encore l’exclusion du chômage pour certains. Par ailleurs, si la Belgique octroie en principe des allocations de chômage à durée indéterminée, lesdites allocations sont beaucoup plus basses qu’ailleurs en Europe, ce qui fait que le chômage ne protège pas de la pauvreté. Elle est aussi un des pays où il faut travailler le plus longtemps pour ouvrir le droit aux allocations.

 

Lors de la fête du Travail du 1er mai dernier, Alexander De Croo, Premier ministre, sortant probablement de son rôle de rassembleur, estimait que la vraie inégalité de notre pays serait «celle qui se situe entre ceux qui participent et ceux qui ne veulent pas travailler. Nous devons avoir le courage de dire qu’il n’y a pas de honte à travailler. La vraie honte, c’est d’aller travailler tous les jours et de gagner moins que ceux qui ne le font pas». La formulation est forte, ramenant ainsi les chômeurs à des personnes qui refuseraient de travailler et de contribuer ainsi au financement de l’État.

 

Quand travailler coûte

 

Autre manière d’appréhender la question: le fait que le revenu mensuel minimum moyen garanti (RMMMIG) soit à ce point bas qu’il ne rivalise pas avec le montant du RIS (revenu d’intégration sociale) par exemple. Certes le montant des allocations de remplacement et du RIS en particulier ont été relevés ces dernières années, mais ils restent en deçà du seuil de pauvreté. En revanche, l’écart s’est réduit considérablement entre le salaire minimum brut et le revenu d’intégration.

 

Dans un article de Didier Paquot «Pièges à l’emploi: un obstacle majeur à l’augmentation du taux d’emploi» publié sur le site de l’Institut Jules Destrée[1], l’auteur cite le chiffre suivant: «En 2005 le revenu minimum brut représentait 148% du revenu d’intégration versé par le CPAS, en 2022, il ne représente plus que 119% […] Ce rapprochement du salaire minimum avec les allocations sociales souligne aussi la précarisation d’une partie du salariat.»

Une étude sur les pièges à l’emploi réalisée par la Fédération des CPAS de Wallonie [2] montre par ailleurs que le différentiel entre salaire minimum et allocations de remplacement devient si faible que, dans certaines situations, comme celle des familles monoparentales, travailler coûterait plus cher que de rester au CPAS. Dans un tableau reproduit ci-dessous (chiffres de décembre 2022), l’auteure Marie Castaigne compare les montants perçus au RMMMG et ceux en tant que bénéficiaires du RIS. Deux situations sont abordées, celle d’un travailleur isolé et d’un travailleur avec un enfant à charge (personne séparée et divorcée vivant seule et un enfant âgé d’un an), pour qui accepter le travail à un tel niveau de salaire équivaut à perdre du pouvoir d’achat:

Tableau issu de la note: «Les pièges à l’emploi: quand travailler coûte. Analyse d’une remise à l’emploi pas toujours simple pour les bénéficiaires du RI», Fédération des CPAS wallons, p. 2.
Tableau issu de la note: «Les pièges à l’emploi: quand travailler coûte. Analyse d’une remise à l’emploi pas toujours simple pour les bénéficiaires du RI», Fédération des CPAS wallons, p. 2.

 

L’auteure faire également remarquer que «le cas des personnes en médiation de dettes, dont le salaire peut être saisi une fois mis à l’emploi, est un également un frein à la mise à l’emploi».

 

Améliorer les bas salaires

 

Le document met en lumière le fait que le travail ne protège pas nécessairement de la pauvreté: «Les chiffres de l’enquête SILC le montrent chaque année et la Radioscopie de l’insertion met également chaque fois en lumière le nombre de personnes qui bénéficient d’un RI en complément d’un revenu du travail. Jusqu’à il y a peu, ces compléments d’un revenu du travail concernaient toujours un emploi à temps partiel. Demain ce sont des travailleurs à temps plein qui seront aidés par le CPAS, en raison d’une évolution trop lente des bas salaires»[3].

 

C’est pourquoi la Fédération des CPAS insiste sur la nécessité de relever les bas salaires, en privilégiant une hausse du revenu minimum plutôt qu’un allègement fiscal, car les charges fiscales pour ces salaires sont déjà réduites. Autre piste: celle d’accorder des aides en fonction du revenu et non d’un statut.

L’auteure termine sa note en rappelant que l’emploi n’est pas à la portée de tous, que c’est une chimère de dire qu’il suffit de tendre la main pour décrocher un emploi et qu’«il est impossible d’imaginer les bénéficiaires du RI comme de sombres calculateurs, qui évaluent au centime près l’opportunité ou non d’aller travailler».

Un article tiré des Echos du crédit et de l’endettement, n°79
www.echosducredit.be

 

 

[1] https://www.institut-destree.eu/2022-03-14_chronique-economique_didier-paquot.html

[2] https://www.uvcw.be/no_index/files/10330-8138-etude-pieges-a-emploi—-2022—-mca.pdf

[3] Marie Castaigne, op. cit., p. 5.

Nathalie Cobbaut

Nathalie Cobbaut

Rédactrice en chef Échos du crédit et de l'endettement

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