Dans le prolongement du forum en ligne souffrance-travailsocial.be, la Ligue bruxelloise de la santé mentale organise une journée d’étude sur le mal-être des travailleurs sociaux.
« On est la bonne conscience de l’institution. » « Faire du chiffre, c’est aussi exister. » « On accepte des comportements et des procédures qui remettent en question la dignité des individus. » « C’est la méritocratie de l’aide sociale. » « Les travailleurs doivent tricher pour faire leur boulot. » « Les secteurs s’affrontent plutôt que de coopérer. » Ces quelques citations (1), livrées en vrac, sont révélatrices du malaise que certains travailleurs sociaux ressentent aujourd’hui.
Pendant trois ans, une vingtaine de professionnels (assistants sociaux, éducateurs de rue, médecins, juristes, etc.) issus de différents secteurs du social et de la santé à Bruxelles se sont réunis dans un groupe de travail de la coordination santé mentale et précarité de la LBSFM autour de la question de la souffrance au travail. Arrivé au terme de sa réflexion, le groupe a tenu à prolonger l’expérience par l’ouverture d’un forum mis ligne il y a quelques mois. À ce jour, une cinquantaine d’utilisateurs sont enregistrés. « Le forum est largement consulté, mais moins de gens osent s’y exprimer. Dans nos secteurs où tout le monde se connaît, la crainte que l’anonymat ne soit pas préservé reste présente. C’est un sujet qui reste encore tabou », observe Manu Gonçalves, coordinateur santé mentale et précarité à la LBSFM et co-directeur du Méridien.
La journée de réflexion du 27 mai puisera dans les échanges du forum et du groupe de travail. Manu Gonçalves souhaite que les travaux qui en seront issus continuent à évoluer sur le mode de l’open source. « Je ne sais pas encore comment on va opérer pratiquement, mais l’idée c’est que tous les documents seront mis librement à disposition, en échange de quoi, les personnes qui les utiliseront doivent pouvoir aussi les enrichir par leurs contributions. »
Activation et précarité
Soixante pages de PV, des dizaines de contributions en ligne… Difficile de résumer, sans trahir, le ressenti exprimé par ces travailleurs. Sur le forum, quatre thématiques ont été identifiées : la relation de confiance à l’épreuve de la suspicion, l’image de soi, quand l’institution et les travailleurs ne parlent plus la même langue, la précarité des conditions de travail. Ce qui ressort clairement, en tout cas, c’est que les politiques d’activation ont créé un décalage entre les valeurs d’aide et d’accompagnement pour lesquelles des travailleurs se sont engagés et le contrôle qu’on leur demande souvent d’exercer sur le terrain. « Des travailleurs sociaux nous ont confié qu’ils doivent demander aux gens d’aller chercher physiquement des documents alors qu’ils savent que ces documents sont accessibles via des bases de données auxquelles ils pourraient avoir accès, prend pour exemple Manu Gonçalves. Il faut se bouger, c’est ce que veut la société. Mais comment un professionnel, formé comme aidant, peut-il se sentir quand il a le sentiment de renforcer le malaise de son public ?! »
Face à ces conflits internes, les réactions diffèrent. « Certains appliqueront le système au pied de la lettre, mais c’est une souffrance dont ils ne sortiront pas indemnes. D’autres vont résister, soit ouvertement, en remettant en cause leur hiérarchie, soit en bricolant avec le système. En utilisant des petites tricheries. »
La précarisation des conditions de travail est une autre source d’angoisse importante. « La fragilité du public peut vous renvoyer à votre propre fragilité. On tente de construire un mur entre eux et nous, et on se dit qu’on est du côté des inclus. Mais les salaires de certains travailleurs ne sont pas si éloignés des minima sociaux et un accident de la vie peut arriver à tout le monde. »
(1) Issues du groupe de travail mis en place par la coordination précarité et santé mentale de la LBSFM.
Aller plus loin
Alter Échos n°348 du 13.11.2012 : Dur, dur d’être un travailleur social ?
En savoir plus
Souffrance@travailsocial.be : les travailleurs psycho-médico-sociaux reprennent la parole. Journée de réflexion organisée le mardi 27 mai à la Maison des associations internationales à Bruxelles, 45 euros, inscription LBFSM@skynet.be – site : www.souffrance-travailsocial.be