En juin dernier, les ministres francophones (Fédération Wallonie-Bruxelles, Wallonie et Commission communautaire française de Bruxelles) relançaient la coordination des services et dispositifs d’aide en matière de réinsertion des détenus.
Droit à l’éducation, à la formation, à la santé, ainsi qu’aux activités sportives et culturelles au sein des prisons, c’est un vaste programme géré par des ministres différents en Wallonie et à Bruxelles… Pas moins de treize! L’objectif de cette coordination ministérielle était simple: être plus cohérent, en mettant des moyens en commun autour de quatre thèmes: sport-culture, santé-psychosocial, formation, enseignement. Il faut dire que l’on vient de loin: cela faisait six ans, depuis 2010, que les ministres francophones ne s’étaient plus réunis. À l’époque, ils avaient alors validé un accord de coopération pour améliorer leurs actions dans le milieu carcéral. Il était alors prévu qu’au moins une fois par an une conférence interministérielle ait lieu. Elle avait notamment pour rôle de renforcer les politiques déjà développées en matière de réinsertion des détenus. Autant dire qu’elle n’a pas fait long feu…
Certes, en termes financiers, il n’y a pas de révolution puisque les différents ministères ne bénéficient pas d’argent supplémentaire mais devront puiser dans leurs enveloppes existantes. Le manque de moyens pour l’accompagnement des détenus a déjà été pointé du doigt par de nombreuses associations actives en prison, en attente d’un vrai changement de cap. En 2015, la CAAP (Concertation des associations actives en prison) publiait un rapport détaillé sur les services existants, largement insuffisants au vu de la population carcérale en Wallonie et à Bruxelles, soit environ 5.500 détenus. La CAAP proposait de déterminer une offre de services de base minimale devant être organisée dans chaque établissement. De l’aveu du ministre des Maisons de justice, Rachid Madrane, l’accès aux détenus restera toujours problématique. «Cette situation tient en partie au manque de personnel pénitentiaire, qui reste un problème criant. Pour ce qui est des autres services extérieurs, la situation varie selon les services proposés, les établissements concernés…», explique-t-il.
École en prison
Concrètement, quelques mesures ont été prises pour améliorer rapidement l’accompagnement des détenus à l’intérieur et à l’extérieur des prisons: renfort pour les associations en éducation permanente et alphabétisation, permission aux moniteurs sportifs de l’Adeps d’encadrer des activités au sein des prisons ou de prêter du matériel sportif, et développement de projets pilotes de formation à distance… Autant de domaines pour lesquels une ou deux priorités ont été fixées pour l’année qui vient, avant une évaluation prévue dans douze mois. «Les projets lancés ont bien vocation à se développer dans tous les établissements de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Tous les détenus sont susceptibles d’être concernés. Leur participation aux différents projets et activités reste toutefois volontaire», rappelle Rachid Madrane.
En matière d’enseignement, une petite révolution a eu lieu, à savoir la création d’une structure unique pour l’école en prison, afin de permettre de centraliser l’organisation de l’ensemble des formations de l’enseignement de promotion sociale dispensées dans ce milieu. Actuellement, l’enseignement de promotion sociale est le seul type d’enseignement qui organise des cours en milieu carcéral. Vingt à 25% des détenus suivent actuellement des cours, soit environ 1.000 personnes par an. Ces cours vont de l’alphabétisation aux formations qualifiantes en informatique, secrétariat ou encore horticulture en passant par un cours de citoyenneté mis en place en janvier dernier.
Dans la pratique, les cours sont organisés par différents établissements de promotion sociale, ce qui n’est pas toujours simple d’un point de vue fonctionnel. «Entre les transferts de détenus, les horaires régulièrement modifiés, voire strictement cadenassés ou encore des conditions de travail particulières pour les enseignants, les établissements sont en effet souvent confrontés à de véritables casse-tête chinois», admet Isabelle Simonis, ministre responsable de l’enseignement de promotion sociale. D’où la nécessité d’une structure unique qui possédera une dotation organique propre et gérera l’ensemble des formations destinées aux détenus, ce qui permettra donc de soulager le travail des établissements de promotion sociale.
Se loger à la sortie
Autre projet à pointer, celui lancé au sein des centres d’accueil pour personnes en grande précarité tels que les Maisons d’accueil de la Cocof afin de prévenir des phénomènes d’exclusion sociale lors de la sortie de prison, notamment le risque de sans-abrisme. Il est mené sous la tutelle de la ministre Céline Fremault. «Il ne s’agit pas de réinventer l’eau chaude. Dans le domaine de la grande précarité, les services travaillent déjà et depuis longtemps avec un public ayant connu la détention», reconnaît-elle. C’est pourquoi des projets d’accueil situés au croisement de la problématique de l’accompagnement social et de celui professionnel se sont développés ces derniers temps au sein de ces maisons. C’est le cas de celle des «Petits Riens» qui héberge déjà un nombre important de personnes sortant de prison. «Cette structure ne travaille pas uniquement la sortie de prison, mais également la question des peines alternatives via l’engagement de volontaires», continue Céline Fremault. Mais il reste un problème de taille. Il concerne la surveillance électronique, le bracelet n’étant pas compatible avec un séjour en maison d’accueil. «Nous sommes à la recherche de solutions à ce problème qui contribue à retarder la sortie de prison de personnes ne disposant pas d’un logement à Bruxelles et ne pouvant pas être hébergées dans une maison d’accueil», ajoute Céline Fremault.
À noter aussi, toujours sous la tutelle de la ministre bruxelloise, le lancement d’un programme «Housing First» d’accès au logement pour les détenus qui retrouvent la liberté. Sur le modèle existant depuis bientôt trois ans à Bruxelles pour les sans-abri. «Parmi ce public, un nombre assez significatif de personnes ont connu des périodes d’incarcération», poursuit la ministre Fremault. Le projet démarrera avant la fin 2016, et comme dans le cas du Housing First classique, la conditionnalité pour l’accès au logement sera également faible, voire absente. Le projet sera mené via un réseau où convergent les acteurs de l’Aide aux justiciables et ceux de la lutte contre la pauvreté et du sans-abrisme. Une occasion d’amorcer des collaborations entre deux secteurs, celui de la pauvreté et celui du travail dans le milieu carcéral qui, au fond, ne se connaissaient pas beaucoup.
«Housing First: vers la fin du sans-abrisme?», Alter Échos n° 423, mai 2016, Marinette Mormont.
«Prisons: des services pour la réinsertion des détenus totalement insuffisants», Fil Infos d’Alter Échos, avril 2015, Manon Legrand.
«Une université au cœur de la prison de Nivelles», Alter Échos n° 410, Nastassja Jankovic.
«Sortir de prison, pas si facile», Alter Échos n° 413, décembre 2015, Marinette Mormont.
Aller plus loin
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«Prisons: des services pour la réinsertion des détenus totalement insuffisants», Fil Infos d’Alter Échos, avril 2015, Manon Legrand.
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