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Regard critique · Justice sociale

Enquête

Trip sous psychédéliques : la promesse thérapeutique

LSD, MDMA, champignons hallucinogènes: les substances psychédéliques vivent une renaissance et font l’objet de nouvelles recherches. Elles provoquent des hallucinations et des trips introspectifs dont on est en train de mesurer les effets thérapeutiques pour certains troubles psychiatriques. Rencontres avec trois experts qui plaident pour leur dépénalisation en Belgique. 

«J’étais assise au sommet d’un glacier avec une vue magnifique, guidée par une méditation sur l’amour et la bienveillance. Je me suis ensuite retrouvée sur une plage australienne, encerclée par la voûte céleste. Je pouvais décrocher les étoiles une par une et je leur murmurais des mots clés illustrant mes sensations, mes émotions.» Laetitia Vanderijst, ancienne danseuse de ballet reconvertie dans la psychologie expérimentale, décrit là l’expérience à laquelle elle a participé dans le cadre d’une étude menée par l’Université de Melbourne. Elle visait à explorer, sur des sujets sains, les possibilités de la réalité virtuelle comme outil immersif pour créer un cadre moins angoissant que l’hôpital et améliorer l’expérience psychédélique. Depuis, les cliniques OVID Praxis à Berlin proposent ce genre de trip thérapeutique: une psychothérapie assistée par la kétamine et la réalité virtuelle pour traiter les dépressions résistantes. Bienvenue dans le futur.

Renaissance et promesse des psychédéliques

Associées au mouvement hippie et contestataire, puis interdites et diabolisées en 1968 sous le régime de Nixon, les substances psychédéliques opèrent aujourd’hui une véritable renaissance. Les études qui avaient été stoppées net après leur criminalisation, reprennent depuis une dizaine d’années et confirment les effets thérapeutiques dans divers champs de la santé mentale. Le LSD et la psilocybine (champignons hallucinogènes) ont démontré leur efficacité pour lutter contre l’anxiété et la dépression, qui n’est pas chronique, mais liée à la fin de vie ou au diagnostic d’une maladie potentiellement mortelle. Dans une étude menée en 20161, 60 à 80% des patients qui avaient survécu à leur maladie ne souffraient plus d’angoisse de mort six mois après la prise. Les personnes souffrant de dépression résistante aux antidépresseurs répondent aussi très bien aux thérapies psychédéliques. «Avec une à deux sessions assistées par psychédéliques, leurs symptômes dépressifs ont été réduits de manière significatives contrairement aux antidépresseurs ingurgités tous les jours pendant des années de manière chronique. Certains sont en rémission et les effets sont prolongés dans le temps, même s’il faudra peut-être renouveler la thérapie tous les trois ou six mois», détaille Laetitia Vanderijst. Quant à la MDMA (voir encadré), elle a donné des résultats prometteurs dans le traitement du syndrome du stress post-traumatique2. Olivier Taymans, journaliste de formation, aujourd’hui employé à la FEDITO BXL (Fédération bruxelloise des institutions pour toxicomanes), en décrit le mécanisme. «La MDMA inhibe l’action de l’amygdale dans le cerveau responsable des émotions fortes comme la peur et qui est à l’origine des réactions automatiques qui rappellent le trauma. Ce qui permet au patient de rentrer dans l’événement traumatique, le voir pour ce qu’il est et finalement le stocker dans la base des souvenirs normaux. Dans une des grandes études, on a évalué les résultats juste après et deux ans plus tard, ils se sont encore améliorés sans aucune intervention, comme une sorte d’effet secondaire positif.» Enfin, on découvre aussi que la psilocybine a des effets encourageants sur les addictions, notamment celle à l’alcool3. Une étude sur la cocaïne est en cours dans l’Alabama, et une autre sur le tabac a montré une efficacité sans précédent. Aux États-Unis, à l’avant-garde dans ce domaine de recherche, plusieurs villes et l’État entier de l’Oregon ont depuis décriminalisé des substances psychédéliques naturelles (ayahuasca, peyotl et champignons hallucinogènes) en vue de permettre leur usage thérapeutique.

Un trip bien encadré

Mais à quoi ressemblerait un trip assisté par des psys? Laetitia Vanderijst, doctorante chargée de mettre en place la première étude clinique belge sur les thérapies assistées par psychédéliques, détaille. «Il y a trois étapes, la préparation, la prise et l’intégration. La préparation permet de tisser un lien avec les thérapeutes qui accompagnent la prise des substances psychédéliques pour favoriser la confiance. C’est aussi l’occasion pour le patient de poser une intention sur ce qu’il souhaite travailler et retirer de l’expérience. Et pour les thérapeutes de donner des outils de respiration et de pleine conscience pour appréhender les éventuelles montées d’anxiété et accueillir tout ce qui peut se présenter à la conscience durant le trip. La prise se déroule généralement dans une pièce qui ressemble à une chambre ou un salon avec un fauteuil et un éclairage tamisé. Les deux thérapeutes sont présents tout le long et le patient porte un masque pour favoriser l’introspection. La séance qui peut durer de 5 à 12 heures selon la substance ingérée est accompagnée de musique, une playlist spécifiquement conçue pour ce genre de thérapie. Il s’agit généralement de morceaux sans paroles, pour ne pas activer la partie analytique du cerveau. Après le trip, vient l’intégration, une séance où le patient partage tout ce qu’il a ressenti et vécu durant l’expérience psychédélique. Le but étant de voir avec les thérapeutes comment cette expérience où le cerveau explore des champs inconnus de la conscience permet de reconfigurer certains schémas de pensées et comportementaux qui peuvent être dysfonctionnels.»

Moins nocifs que les antidépresseurs

Si la Belgique était amenée à mettre en place des thérapies assistées par psychédéliques, la docteure Astrid Kaiserman pourrait être une des thérapeutes en charge d’accompagner le patient. Médecin en dernière année de spécialisation de psychiatrie, elle se passionne depuis des années pour les psychédéliques. En novembre dernier, elle a participé à une conférence donnée à l’hôpital Érasme sur l’avenir des psychédéliques en psychiatrie. «J’ai exposé les résultats des études prometteuses, avec toutes les précautions cliniques. Car aujourd’hui les substances psychédéliques sont complètement interdites en Belgique, au même titre que les drogues dites ‘dures’. Ce qui influence la perception des psychédéliques, qu’on imagine nocifs, toxiques et addictifs. Les recherches en biochimie montrent pourtant qu’ils ne fonctionnent pas du tout comme la cocaïne ou l’héroïne par exemple. Il n’y a pas d’addiction aux substances psychédéliques. D’ailleurs, quand on fait le parallèle avec les médicaments qu’on prescrit déjà en psychiatrie, on voit que le potentiel nocif des psychédéliques est parfois nettement moindre.» Alors que les problèmes de santé mentale explosent, surtout depuis la crise sanitaire, les psychédéliques illuminent le bout du tunnel des perspectives thérapeutiques. «Les consultations sont complètement surchargées et on dispose finalement d’assez peu de moyens. On a des médicaments psychiatriques qui en partie fonctionnent. Mais on sait aussi que leur efficacité est limitée. La moitié des patients traités avec des antidépresseurs ne répondent pas au traitement. Et parmi ceux qui répondent, il y en a qui ont des effets secondaires. Il faut de nouvelles thérapies. Est-ce que les psychédéliques sont ‘LA’ solution miracle pour tout le monde, je ne le pense pas. Mais ils peuvent avoir des effets bénéfiques sur certains patients, notamment si on les emploie dans un contexte clinique, entouré de thérapeutes qui savent comment ça se passe.» C’est justement pour cette raison que s’est créée il y a trois ans la Psychedelic Society Belgium. L’association plaide pour que l’utilisation de ces substances soit retirée du Code pénal belge afin de les exploiter en accompagnement thérapeutique. Mais beaucoup n’ont pas attendu que le monde médical s’empare des drogues hallucinogènes pour en goûter les bienfaits psychologiques ou spirituels.

Des passionnés de psychédéliques qui font avancer la science

Ce soir de janvier, ils sont venus nombreux au Walvis, un café bruxellois, à la rencontre organisée par la Psychedelic Society Belgium. Plusieurs tablées discutent dans une ambiance conviviale et joviale. Il y a cette jeune loobyiste qui s’exprime dans un langage soutenu. Elle a réalisé sa première expérience psychédélique en Asie il y a quelques années après ses études. Rapidement, elle confie les fragilités de son adolescence, la dépression, les mutilations, les séjours en hôpital psychiatrique et comment les psychédéliques sont venus à bout de ses souffrances. Lui, à l’autre bout de la table est ingénieur. Il porte une belle montre et parle un français parfait avec l’accent du nord du pays. Le regard brillant, il raconte avec un brin de timidité le besoin qu’il a ressenti à un moment de sa vie de s’attaquer à son mal-être. Il s’est offert un séjour de thérapie psychédélique aux Pays-Bas qui a changé sa vie. La discussion autour de la table va bon train. Données scientifiques, historiques, culturelles, sociologiques, ponctuées de confidences psychologiques… Ce qui frappe parmi ces enthousiastes des psychédéliques, c’est leur parcours d’autodidactes: ils se sont forgé de manière autonome une connaissance solide, un avis à la fois éclairé et pondéré sur le sujet, tout en décidant de plonger au cœur de leur vulnérabilité pour explorer leurs failles intérieures. Pour aller mieux, souvent. Parfois pour le simple plaisir de naviguer dans différents états de conscience qui enrichissent leurs vies. Ils sont bien loin de planer complètement, ou même de sombrer. «Les drogues psychédéliques s’inscrivent très peu dans le parcours d’un toxicomane. Ce ne sont pas ces substances qui posent problème. Dans le tableau de David Nutt (voir encadré), l’alcool, le crack et l’héroïne occupent les trois premières places des substances qui causent le plus de dommages à l’usager et aux autres.» Olivier Taymans (FEDITO Bxl) est l’un de ces vieux routards des psychédéliques qui se sont construit leur propre thérapie. Il a notamment réalisé un documentaire radio sur l’ayahuasca (une préparation hallucinogène utilisée dans des rituels en Amazonie) et écrit des articles pour l’Open Foundation, une organisation hollandaise qui participe à la diffusion de la recherche scientifique sur les psychédéliques. Bien qu’il soutienne la légalisation de ces substances dans un cadre thérapeutique, il plaide aussi pour un usage démédicalisé et un accès démocratique. «On distingue souvent l’usage récréatif et l’usage thérapeutique. Pour moi, le récréatif a été thérapeutique. Prendre des champignons et se balader dans la forêt avec un ami proche, je trouve ça récréatif et poétique à la fois. Et ces expériences m’ont aidé à des étapes clés de ma vie.»

Retrouver un paysage enneigé immaculé

Tout a commencé de manière assez banale avec une prise de LSD dans un festival. Olivier avait alors une vingtaine d’années. L’expérience est incroyable, il la réitère plusieurs fois, mais ce n’est que plus tard qu’il réalise son impact. «J’avais réalisé tout un travail inconscient sur le passage à l’âge adulte, à savoir faire l’inventaire de tous les conditionnements et valeurs reçus. J’ai émergé de cette première expérience beaucoup plus adulte et conscient de ce qui m’animait, en termes de valeurs.» Internet débarque, il s’informe, lit beaucoup. Des années plus tard, il prend de l’ayahuasca dans un centre au Pérou. Il revient moins cynique et plus confiant dans l’avenir, se marie et devient père. Il poursuit ses expériences avec l’ayahuasca en Belgique, en parle à des psys, commence à lire Jung, débloque des schémas parentaux. «Quand on ressent un mal-être, on a tendance à s’enferrer et, à force de cogiter, on creuse un même sillon dont il devient de plus en plus difficile de sortir. Certains tombent alors dans l’addiction, les tocs, la dépression… Ce sont pour moi des formes de sclérose et de rétrécissement de soi. Or, on a découvert que les psychédéliques suscitent une neuroplasticité et une neurogenèse importante qui vont permettre de reconfigurer les connexions neuronales et de changer de comportement. C’est comme s’il reneigeait en abondance sur une trace profondément ancrée dans la neige et que le paysage était de nouveau immaculé.» Depuis, il continue à explorer, moins pour panser ses blessures que pour le plaisir de vivre une expérience spirituelle qui, estime-t-il, devrait être accessible à tous. «Pas besoin d’aller mal pour aller mieux. Je pense que connaître cet état est bénéfique pour tout le monde, qu’il peut même avoir un effet préventif. D’après moi, ces substances auraient tout leur intérêt en dehors des traitements des troubles psychiatriques.»

Les risques

S’il y a des risques avec les psychédéliques, ils ne sont pas là où on le pense. Quid de l’automédication si ces substances venaient à être décriminalisées? La docteure Astrid Kaiserman le relativise immédiatement. «En tant que psychiatre, je prescris des médicaments, mais je ne sais pas ce que les gens font à la maison. Le risque d’automédication survient avec n’importe quelle prescription finalement.» C’est peut-être dans cette réponse que se révèle en filigrane une dérive plus pernicieuse: celle de faire des psychédéliques des médicaments comme les autres, réduits à des pilules qu’il suffirait d’avaler. «Il y a tout un courant qui essaie de réduire le plus possible la psychothérapie autour des psychédéliques. Des chercheurs essaient de voir si on peut obtenir la même neuroplasticité, les mêmes effets neurologiques qui sous-tendraient l’effet thérapeutique, mais sans le trip. On retomberait alors dans un modèle purement pharmacologique. Or, je pense que l’expérience psychédélique peut aider à supporter la thérapie, à réduire les défenses pour aller au cœur de ce qui nous bloque ou de ce qui est important pour nous et qu’on ne parvient pas à voir dans un état de conscience normal», explique Laetitia Vanderijst, qui vient de décrocher une bourse au FNRS. À ce titre, la mode du microdosage illustre bien la marchandisation déjà à l’œuvre des psychédéliques. Pratique popularisée par les employés des entreprises de la Silicon Valley, elle consiste à prendre des doses infimes de champignons hallucinogènes pour justement éviter le trip hallucinatoire et booster gentiment la concentration et la créativité. Des entreprises fleurissent pour proposer des packs en ligne avec des truffes microdosées, dont leurs effets d’ailleurs relèveraient de celui du placebo. Il y a aussi celles qui proposent des séjours à des milliers d’euros dans des centres aux Pays-Bas avec jacuzzis et thérapeutes New Age. Et puis il y a les dérives sectaires, avec des chamans auto-proclamés qui proposent des rituels à l’ayahuasca. Pour Olivier Taymans, «les psychédéliques sont un outil, comme un couteau: ils sont utiles, mais tranchants. Il faut donc apprendre à bien les maîtriser. Le risque de ‘bad trip’ n’est pas un problème dans un environnement encadré. D’après mon expérience, le vrai danger, ce sont les thérapeutes incompétents: soit parce qu’ils n’ont pas assez d’expérience, soit parce qu’ils ont de mauvaises intentions. Ce ne sont pas les substances qui vont faire du tort, c’est l’encadrement».

Les psychédéliques pour tous

Tous les experts interviewés s’accordent donc là-dessus: il faut un encadrement pour la prise des psychédéliques. Mais deux thérapeutes, qu’ils soient psychiatres ou psychologues, qui assistent à une prise de LSD de leur patient pendant une dizaine d’heures, ça coûte très cher. Comment financer les thérapies assistées par psychédéliques pour qu’elles restent accessibles à tous? «Le coût initial sera élevé, mais les études démontrent des bénéfices sur le très long terme. S’ils permettent à des gens qui n’arrivaient plus à travailler, qui sont sur la mutuelle depuis des années, de réintégrer la société, d’y contribuer à nouveau de manière économique, ce coût sera vite absorbé et cela pourrait même faire faire des économies au système de soins de santé», estime Laetitia Vanderijst.

Récupération commerciale, coût des soins de santé, appropriation culturelle de substances naturelles utilisées depuis millénaire, questions éthiques sur le mode opératoire des études qui donnent accès ponctuellement à des substances encore interdites… l’usage thérapeutique des psychédéliques soulève de nombreuses questions. Et la plus passionnante est peut-être celle de l’intégration de la dimension spirituelle dans le monde de la santé. Une récente étude britannique démontre que l’expérience mystique sous psychédéliques est associée à une réduction des symptômes de dépression et d’anxiété4. Dans le cadre des soins palliatifs, des psychiatres ont défini l’aspect mystique par le fait de se sentir relié à soi, aux autres, au cosmos, une joie fantastique et l’union paradoxale d’émotions contraires, où jouir et souffrir se confondent. Olivier Taymans conclut avec cette comparaison. «L’expérience psychédélique peut devenir un traumatisme à rebours. De la même manière qu’une expérience négative limitée dans le temps peut avoir des effets délétères et conditionner toute une existence, l’expérience psychédélique, lorsqu’elle frôle le mystique, peut laisser une empreinte positive qu’on gardera en soi toute sa vie.»

Que sont les psychédéliques?

Les psychédéliques font partie des substances dites «psychoactives». Elles agissent sur le système nerveux central en modifiant l’état de conscience. Ces drogues, qui peuvent être aussi bien légales qu’illégales, sont classées selon leurs effets sur le cerveau. Il y a celles qui le stimulent comme la cocaïne, le café et la cigarette, celles qui le calment comme l’alcool, le GHB (gamma-hydroxybutyrate, anesthésiant) et les psychédéliques, celles qui déforment la perception comme le LSD (diéthyllysergamide) et la psilocybine (champignons hallucinogènes). La MDMA (composante de l’ecstasy) et la kétamine, aussi utilisées dans les thérapies assistées par les psychédéliques, ne font pas partie à proprement parler de cette catégorie. Elles se situent à ses frontières, avec les «stimulants empathogènes» (MDMA) et les «dépresseurs dissociatifs».

L’alcool en premier lieu

L’ancien conseiller britannique sur les drogues David Nutt est l’auteur de ce tableau qui classe les substances selon les dommages cumulés au consommateur et aux autres. L’alcool se retrouve en première position tandis que les champignons hallucinogènes en dernière.

Émilie Pommereau

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