Côté cour, des enfants de toutes nationalités et de toutes origines. Côté salle des profs, une configuration nettement plus homogène. Le constat peut sensiblement varier d’une région à l’autre et surtout d’un quartier à l’autre, mais, globalement, il reste le même: on trouve peu d’enseignants et encore moins de directeurs d’origine maghrébine ou subsaharienne en Fédération Wallonie Bruxelles.
«Je participe à des réunions regroupant tous les directeurs de l’enseignement fondamental libre en Fédération Wallonie Bruxelles, sauf les écoles musulmanes et les écoles juives. Nous sommes à peu près 200. Je ne connais évidemment pas l’origine de chacun, mais, de ce que j’observe, il y a une seule directrice noire et une autre d’origine maghrébine», décrit Pierre Laurens, qui dirige l’école Saint-Antoine à Forest. Dans cet établissement, une trentaine de nationalités se côtoient dans les sections primaires et secondaires. Deux enfants sur cinq sont d’origine nord-africaine et un sur cinq d’origine subsaharienne, dont quelques réfugiés, évalue-t-il. Les classes sont gérées par 38 enseignants, dont sept originaires d’Afrique du Nord, aucun d’Afrique subsaharienne. Par contre, le personnel surveillant (accueil, garderie, récréations…) ou en charge de l’entretien est majoritairement d’origine étrangère.
Un relatif équilibre qu’est parvenue à établir l’école, mais, comme l’explique son directeur, embaucher des enseignants d’origine étrangère n’est pas toujours évident. «Je reçois bien des CV collant à ce profil, mais plutôt en cours d’année, pas à la rentrée. Sans doute parce que ces candidats n’ont pas trouvé d’emploi au 1er septembre et qu’ils doivent attendre pour effectuer des remplacements. A contrario, des CV de candidats aux noms à consonance francophone, je n’en reçois plus du tout après le 15 septembre.»
«Il est donc légitime de se demander si les immigrés ne pourraient pas embrasser le métier et prendre ces places. D’autant que les personnes d’origine subsaharienne sont bien diplômées. On a donc la crème de la crème.» Altay Manço
Peu de futurs profs racisés dans les classes des hautes écoles, c’est aussi ce que constate au quotidien Damienne Lecat, enseignante au département pédagogique de Champion de la Haute École Namur, Liège, Luxembourg (Henallux). C’est là qu’est formée une partie des étudiants qui souhaitent embrasser la carrière d’instituteur. «Autrefois, on entrait dans certaines écoles parce qu’on avait un parent, un frère, une sœur ou un mari qui y était. Ou par piston. Ce système basé sur les vocations familiales favorisait un certain entre-soi au sein des écoles. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. On commence à avoir de plus en plus d’étudiants d’origines diverses, surtout des pays du Maghreb. On en a aussi plusieurs d’origine subsaharienne, mais ils arrivent rarement au bout de la formation. Tout ça a pris un certain temps et, mine de rien, ça reste quand même très belgo-belge.»
Poser la question aux acteurs de terrain, aux chercheurs et à ceux qui baignent dans le milieu de l’enseignement, c’est à peu près le seul moyen d’aborder le sujet. Et pour cause: en Belgique, l’enregistrement administratif sur la base du critère ethnique n’est pas autorisé. Impossible donc de savoir combien de profs étrangers ou d’origine étrangère donnent cours en Fédération Wallonie Bruxelles. Mais d’autres chiffres, comme ceux figurant dans le monitoring sociologique annuel d’Unia, peuvent nous aider à évaluer la situation.
Dans l’édition 2019 du rapport, on apprend qu’en Belgique, 58,5% des diplômés de l’enseignement supérieur possèdent un certificat de niveau bac, 36,4% de niveau master, 1,8% de niveau doctorat et 3,3% de niveau indéfini. Les personnes d’origine belge, d’un pays de l’UE et d’Afrique subsaharienne ont une répartition similaire à la moyenne belge. Les personnes originaires du Maghreb se distinguent particulièrement avec une part de bac supérieure (62%) à la moyenne et une part de master inférieure à la moyenne (31%). Les personnes originaires du Proche/Moyen-Orient et d’Océanie/Extrême-Orient ont quant à elles une répartition plus équilibrée que les autres origines entre les parts de bac et de master.
Au-delà de ces données générales, le rapport d’Unia nous apprend surtout qu’en ce qui concerne les diplômés de l’enseignement supérieur, les personnes originaires de l’Afrique subsaharienne se distinguent des autres groupes (Belges, Européens, Proche et Moyen-Orient, Amérique du Nord…) par une part extrêmement faible, de l’ordre de 3,9%, dans la formation des enseignants, contre 8,4% de Maghrébins et 16,4% pour les Belges d’origine.
Crispations
La question de la diversité dans le corps enseignant est aussi abordée dans un ouvrage paru en 2015 et intitulé De la discrimination à l’inclusion scolaire (Éd. L’Harmattan). Pour Altay Manço directeur scientifique de l’IRFAM, l’Institut de Recherche, Formation et Action sur les Migrations, qui a coordonné l’étude et a mené nombre d’entretiens dans les écoles, on croise pourtant de nombreux professeurs d’origine étrangère dans les établissements scolaires, mais – comme on pourrait s’en douter – avec une concentration dans les communes ou les quartiers plus populaires et à forte densité de population étrangère. Cela vaut pour la Région bruxelloise, mais aussi pour les grandes villes wallonnes. «De manière générale, le boom des natalités fait qu’on a trop peu de locaux scolaires et de professeurs dans de nombreuses disciplines – les langues germaniques, les maths, la physique – avec une déperdition durant les premières années. Il est donc légitime de se demander si les immigrés ne pourraient pas embrasser le métier et prendre ces places. D’autant que les personnes d’origine subsaharienne sont bien diplômées. On a donc la crème de la crème.»
«On commence à avoir de plus en plus d’étudiants d’origines diverses, surtout des pays du Maghreb. On en a aussi plusieurs d’origine subsaharienne, mais ils arrivent rarement au bout de la formation.» Damien Lecat, enseignante au département pédagogique de Champion de l’Hénallux
La faible représentation des enseignants racisés ne représente d’ailleurs qu’une partie du problème, décrit également Altay Manço. Dans certaines écoles où le corps professoral est plus multiculturel, des tensions ou des rivalités très fortes peuvent jaillir. «L’école est un lieu de pouvoir et de confrontation. Dans les établissements populaires, les professeurs d’origine étrangère sont souvent déjà très intégrés et actifs dans le quartier tandis que les personnes blanches n’y vivent pas. Ils viennent y travailler quelque temps puis repartent dans leurs secteurs parce qu’ils ne veulent pas enseigner là. À ces jeux de territoires s’ajoutent des problèmes de racisme et d’islamophobie.» En outre, souligne-t-il, les hommes d’origine nord-africaine exercent souvent leurs compétences dans des domaines techniques – informatique ou technologie –, car ils détiennent plus rarement un diplôme d’études supérieures universitaires. Les femmes, elles, seraient de plus en plus nombreuses, bien que l’interdiction de porter le voile (sauf pour le cours de religion) puisse encore être un obstacle. «L’école reste un lieu de cristallisation des oppositions, notamment par rapport au foulard.» A contrario, il arrive aussi que dans certains établissements où les enseignants d’origine étrangère sont majoritaires, les professeurs blancs se sentent poussés vers la sortie. «J’ai par exemple eu le cas d’un enseignant chargé de gérer les horaires qui, lorsqu’il fallait attribuer les locaux, pénalisait les autres cours que le cours de religion islamique.»
Des modèles pour les jeunes
En dehors de ces écoles implantées dans les quartiers populaires des grandes villes, la faible représentation des enseignants racisés reste frappante. Où sont les professeurs noirs? C’est aussi la question que s’est posée Laetitia Kalimbirio lorsqu’elle était attachée à la direction générale de la Carrière du personnel enseignant de la Fédération Wallonie Bruxelles. Après être intervenue en leur faveur, elle est parvenue à lancer quelques carrières. «La plupart de ces personnes, qui étaient diplômées, n’étaient tout simplement pas au courant qu’elles pouvaient se faire engager comme enseignants. D’autres postulaient, mais ne recevaient jamais de réponses. Je suis donc allée déposer des CV chez les collègues qui s’occupaient de la désignation des enseignants et j’ai expliqué que je ne comprenais pas pourquoi on ne les prenait pas, j’ai demandé pourquoi ça bloquait. Ceux que j’ai aidés à trouver une poste sont toujours en place aujourd’hui. Et les directeurs en sont très contents.»
«Il y a des fonctions qui impactent la société en ce qui concerne la formation des générations futures, raison pour laquelle il est important qu’il y ait des modèles issus de la diversité.» Kalvin Soiresse Njall, député Écolo et ancien enseignant
L’actuel député Écolo Kalvin Soiresse Njall est l’un d’eux. Né au Togo, il est arrivé en Belgique en 2004. Il a exercé toute une série de fonctions, notamment au MRAX et pour le Collectif Mémoire coloniale et lutte contre les discriminations (CMCLD), dont celle d’enseignant durant plusieurs années. «Il y a des fonctions qui impactent la société en ce qui concerne la formation des générations futures, raison pour laquelle il est important qu’il y ait des modèles issus de la diversité, estime-t-il. J’ai eu des élèves noirs afro-descendants qui sont d’ailleurs venus me voir pour en parler. Ils se demandaient comment ça se faisait que j’étais devenu prof et que j’assumais le fait d’être Noir, que je n’avais pas de complexes. Les jeunes arrivent à se décentrer, mais à un moment ou un autre il y a des questions qui se posent par rapport à leurs origines. Et s’ils ne sont pas dans un contexte de diversité, ça ne les aide pas à se forger une personnalité. Je constate que, petit à petit, il y a une conscience citoyenne qui s’éveille, mais qu’il y a toujours cette peur de ne pas être accepté et intégré dans la culture d’une école qui ne tient pas compte des codes des populations précarisées, ce qui génère une certaine hésitation à entrer dans le métier. On le constate d’ailleurs quand on passe l’agrégation: il y a très peu d’étudiants d’origine subsaharienne.» Kalvin Soiresse Njall plaide aujourd’hui pour que des études sur la diversité socioculturelle dans l’enseignement soient menées afin d’avoir une vue plus objective de la situation et de mettre en place des leviers dans la formation des enseignants.
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