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Regard critique · Justice sociale

Petite enfance / Jeunesse

Trouver un logement, un jeu… d’étudiants?

Logements étriqués, loyer trop élevé, charges à payer… certains jeunes doivent jongler entre ces tracas d’adultes et leurs obligations d’étudiants au quotidien. Si des aides sont mises en place, beaucoup d’entre eux galèrent encore et ont recours aux aides sociales.

© Flickrcc nefasth

Logements étriqués, loyer trop élevé, charges à payer… certains jeunes doivent jongler entre ces tracas d’adultes et leurs obligations d’étudiants au quotidien. Si des aides sont mises en place, beaucoup d’entre eux galèrent encore et ont recours aux aides sociales.

«Tous les mois, je paye 370 euros de loyer, 80 euros de charges, 37,50 euros d’électricité et 35 euros d’internet. Le montant total, j’essaye de ne pas trop y penser, car ça m’angoisse terriblement. Le logement est clairement ce qui me coûte le plus cher, c’est un véritable gouffre pour moi», Marie* étudie la biologie à Mons, elle a 25 ans et a dû s’inscrire au CPAS pour toucher le revenu d’intégration sociale (RIS). Sans ça, il aurait été impossible pour elle d’imaginer vivre en kot. Mais Marie est loin d’être la seule dans le cas. «Le nombre d’étudiants belges à toucher le RIS est passé de 3.654 en 2002, à 27.133 en 2016», indique Maxime Michiels, ex-président de la Fédération des étudiants francophones (FEF). «Ces chiffres ont été un véritable signal d’alarme et le logement est un des coûts les plus importants dans le budget annuel des étudiants». D’après la FEF, le coût de la vie d’un étudiant varie entre 8.000 et 12.000 euros par an et, bien souvent, si ces 12.000 euros sont atteints, c’est que l’étudiant doit payer un loyer tous les mois.

Le CPAS, dernière bouée de sauvetage

Au début de ses études, Marie a tout fait pour se débrouiller toute seule. Elle enchaînait les petits boulots et vivait alors à 25 minutes de route de son école, chez son oncle avec ses sœurs. Oui, mais voilà, à 25 ans, l’envie de goûter à la vie d’adulte et à son indépendance a fini par prendre le dessus. «L’année passée, mon oncle a commencé à entamer de gros travaux dans sa maison, et, à ce moment-là, je n’avais juste plus le choix: je devais partir et trouver un kot.» Marie décide alors de se renseigner auprès de son université qui propose des kots moins chers pour les étudiants. Mais elle réalise tout de suite qu’il y a clairement plus de demandes que d’offres de ce côté-là et décide de se rabattre en urgence sur le privé. L’étudiante se met alors à la recherche d’un appartement mais se rend vite compte que, même avec son job en entreprise de nettoyage, elle ne pourra jamais se permettre de payer un loyer tous les mois. Marie n’a plus d’autre choix que de demander de l’aide au CPAS. «Je savais que le montant du RIS m’aiderait à payer un loyer, j’ai donc dû signer un contrat avec le CPAS dans lequel il était écrit que je m’engageais à terminer mes études, les réussir et plein d’autres conditions du genre.»

«Le logement est clairement ce qui me coûte le plus cher, c’est un véritable gouffre pour moi.» Une étudiante.

Depuis, Marie doit se rendre régulièrement au CPAS pour montrer ses résultats et donner des explications en cas d’échec ou de redoublement. Bien que le CPAS et son revenu d’intégration sociale aident des milliers de jeunes Belges, les conditions du contrat peuvent parfois être contraignantes et lourdes à porter pour un étudiant en quête d’indépendance et de réussite. Cette gêne liée au contrat, Karim Jguirim, gérant du service juridique chez Infor Jeunes, la constate au quotidien: «Ce contrat avec le CPAS et les conditions qui en découlent représentent une pression supplémentaire à la réussite pour un étudiant.» Et le suivi des résultats scolaires n’est pas la seule condition pour toucher le RIS. 475 heures par an. C’est ce qu’un étudiant doit prester dans un job pour avoir accès à l’aide financière du CPAS, «ça représente pratiquement un tiers-temps, donc en plus de leurs études, c’est pas rien. Et, globalement, les jeunes travaillent plus que les 475 heures prévues», s’indigne Karim Jguirim. Selon le conseiller juridique d’Infor Jeunes, un étudiant qui travaille est forcément désavantagé par rapport à un étudiant qui ne doit pas travailler. Celui-ci a son esprit et son emploi du temps plus libre, ce qui augmente sa capacité de réussite. De plus, si le salaire que perçoit l’étudiant grâce à son job dépasse le barème de 248,90 euros par mois, le CPAS calcule alors la différence entre le salaire de l’étudiant et ce barème et déduit ce montant de son RIS. «Pour le moment, grâce à mon job étudiant, je gagne 576 euros par mois et je dépasse le montant établi par le CPAS. Je ne touche donc pas mon RIS complet et je peux le comprendre, mais, certains mois, c’est très compliqué», confie Marie. «Cette condition de barème à ne pas dépasser, c’est surtout pour aider l’étudiant à remplir la part du contrat qui mentionne sa réussite scolaire», souligne Karine Lalieux, présidente du CPAS de Bruxelles. Selon elle, si l’étudiant travaille presque à temps plein à côté de ses études, il ne sera pas dans de bonnes conditions pour réussir.

Pénurie du côté des logements étudiants

Le loyer d’un kot en résidence étudiante est plus bas que celui d’un logement privé. Mais, bien souvent, les places s’avèrent plus chères que prévu. «À l’ULB, on estime qu’un tiers des étudiants ont besoin d’un kot. Cela représente 10.000 étudiants. En résidence universitaire, nous proposons 824 chambres. Si on prend en compte les partenariats que nous avons avec des privés, nous élargissons l’offre à 4.000 places disponibles», détaille Alain Levêque, vice-recteur de l’Université libre de Bruxelles (ULB). Une solution simple pourrait être de construire plus de logements étudiants aux abords des universités et hautes écoles.

Faute de terrain à bâtir, les universités doivent parfois s’associer aux privés, ce qui ne leur permet pas toujours de proposer des prix plus bas.

Mais, pour construire ces logements, il faut des terrains à bâtir et ceux-ci aussi se font de plus en plus rares. Du côté du cabinet de la ministre du Logement, Céline Fremault, lorsqu’on aborde ce sujet, c’est le plan logement étudiant qui est brandi. Il a été élaboré par la ministre en 2015 et propose toute une série de mesures visant à développer et améliorer le logement étudiant à Bruxelles, par exemple avec la création d’une agence immobilière sociale étudiante en 2016 ou encore d’un label logement étudiant de qualité. L’une de ces mesures propose d’ailleurs l’aménagement de plusieurs pôles de logements étudiants aux abords de certaines écoles de la capitale. Par exemple, en 2017, l’Université Saint-Louis a inauguré la résidence universitaire Ommegang, qui offre 141 logements. «Il faut faire attention, ces kots étudiants ne sont pas forcément moins chers, car il s’agit souvent de partenariats avec des privés», tempère Karine Lalieux. Faute de terrain à bâtir, les universités doivent parfois s’associer aux privés, ce qui ne leur permet pas toujours de proposer des prix plus bas.

Une prime au kot qui dérange

En janvier dernier, la ministre wallonne du Logement, Valérie De Bue, avait suscité le débat en proposant une prime au kot de 1.000 euros pour aider les étudiants éloignés de leur école à se payer un kot. De prime abord, cela sonne comme une bonne nouvelle. Mais très vite les critiques fusent. Particulièrement du côté bruxellois puisque, faute aux compétences restreintes de la ministre, cette prime ne s’adresse qu’aux étudiants wallons qui étudient en Wallonie. De plus, Mme De Bue a décidé de prendre en compte la durée du trajet en voiture comme condition pour bénéficier de la prime. «Pour toucher la prime, il faut se trouver à une heure de voiture de son lieu d’études. Sauf qu’il est possible qu’un étudiant se trouve à 45 minutes de voiture de son école mais s’y rende en train, et prenne alors une heure pour y arriver. Donc si on veut aider l’étudiant qui a un long trajet, il faut tenir compte du moyen de transport qu’il utilise», s’indigne Maxime Michiels. Selon l’ex-président de la FEF, le budget prévu pour cette prime devrait plutôt être mis dans les allocations d’études qui permettent à un étudiant de toucher une bourse: «En augmentant le plafond des allocations d’études, on pourrait élargir le nombre d’étudiants boursiers.»

«En augmentant le plafond des allocations d’études, on pourrait élargir le nombre d’étudiants boursiers.» Maxime Michiels, ex-président de la FEF.

Mathilde a 22 ans, elle vit à Enghien chez ses parents et étudie la kiné sur le campus d’Érasme. Si la prime passe avec ces conditions-là, Mathilde ne pourra pas en bénéficier. Pourtant cette étudiante rêve d’un kot depuis le début de ses études, mais financièrement c’est impossible pour ses parents. «Ma sœur aussi est à l’unif et c’est juste impossible pour mes parents de nous payer un kot. Donc je fais les trajets en train et, quand j’ai cours à 8 h, je dois me réveiller à 5 h 30 du matin.» Habitant en Wallonie mais étudiant à Bruxelles, Mathilde n’aura pas droit à la prime de 1.000 euros. Si l’étudiante aimerait un kot pour avoir son indépendance et quitter le nid familial, cela l’aiderait aussi dans sa réussite scolaire, «c’est aussi à cause des trajets que j’ai raté ma 1re année, car, quand j’avais cours jusqu’à 17 h, je revenais super tard chez moi, j’étais crevée et je n’avais plus le courage de commencer à bosser».

«Une prise de conscience collective»

Suite aux nombreuses critiques, «le gouvernement wallon a décidé d’analyser l’ensemble des pistes possibles avant de poursuivre la piste initiale de la prime de logement», confie le cabinet de la ministre De Bue. Selon nos sources proches du dossier, le budget serait plutôt dirigé vers un nouveau système d’allocations. Cette compétence appartenant donc à la Fédération Wallonie-Bruxelles, il n’y aurait plus de distinction entre étudiants wallons ou bruxellois. L’issue est encore floue, mais, une chose est sûre, cette prime au kot ne sera pas d’application pour la rentrée prochaine.

Malgré les nombreuses mesures mises en place ces dernières années, le nombre de jeunes inscrits au CPAS augmente considérablement. D’après Maud Baccichet, de la Ligue de l’enseignement, qui a réalisé l’étude «La pauvreté des étudiants, un état des lieux», il y a un manque de conscience politique vis-à-vis du statut des jeunes. Elle estime que les étudiants ne sont pas assez informés des aides auxquelles ils ont droit, «il faudrait qu’ils aient des droits plus clairs, des allocations vraiment pour eux. Il faut une prise de conscience collective, on est dans cette situation depuis des années, comme si c’était normal de devoir galérer en tant qu’étudiant».

* Nom d’emprunt.

Pauline Perniaux

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