En Belgique, la piliarisation a historiquement structuré le secteur associatif. Pour autant, les entreprises à profit social semblent accorder de moins en moins d’importance à l’origine – plutôt catholique, laïque ou pluraliste – du diplôme universitaire. Avec des nuances…
En Belgique, les institutions chrétiennes d’enseignement – du primaire à l’universitaire – ont largement hérité de la sensibilité associative développée par l’Église après la Révolution française. «À partir de 1789, l’État est perçu comme ayant une légitimité absolue pour garantir l’intérêt général. Grande perdante, l’Église n’aura dès lors de cesse de se battre pour restaurer les associations, ces ‘corps intermédiaires’ entre l’État et le citoyen», rappelle Jacques Defourny, professeur au Centre d’économie sociale d’HEC-ULg. «Voyez le cas de la Fopes (Faculté ouverte d’économie politique et sociale) qui émerge comme résultant d’un partenariat entre le Mouvement ouvrier chrétien et l’UCL, afin d’ouvrir une formation supérieure aux cadres de toute la mouvance associative, syndicale et mutuelle du pilier chrétien», illustre le chercheur.
À l’heure de la multiplication des formations postbachelier et des nombreux masters et certificats «interuniversitaires», il devient difficile de cataloguer les candidats.
Née en 1974, la Fopes déploiera un programme de formation qui ne semble pas avoir de véritable équivalent du côté socialiste. «C’est en effet moins fort à l’ULB, dans le sens où la laïcité et le libre-examen ne sont pas qu’une affaire de socialistes, mais concernent aussi une partie de la famille libérale. Globalement on pourrait dire qu’il y a une fibre associative qui a longtemps été davantage portée par l’UCL, même si, avec la sécularisation de nos sociétés et l’affaiblissement assez fort de l’influence religieuse, ces connivences sont vouées à s’atténuer. J’imagine qu’un cadre de la FGTB peut aujourd’hui intégrer la Fopes…», commente Jacques Defourny.
Aveugles à cet indice?
Contactée par nos soins, la direction de la Fopes a déclaré de son côté qu’elle ne se sentait pas «légitime» pour répondre à nos questions relatives aux liens entre l’origine universitaire du diplôme et l’emploi dans l’associatif. Le sujet serait-il délicat? Oui, répond Caroline Jansen, chargée d’études à l’Unipso, la Confédération intersectorielle et pluraliste des entreprises à profit social. «Nous constatons que c’est un sujet qui reste difficile à aborder pour nos membres. Ils se rendent bien compte que la société évolue et beaucoup souhaitent en réalité se défaire de ces piliers, alors que, avant, c’était une fierté de se revendiquer comme venant du pilier chrétien ou socialiste. Mais, en même temps, les forces historiques restent à l’œuvre. Je pense que, globalement, ça compte moins qu’avant dans l’embauche et qu’en tout cas, c’est moins revendiqué, plus implicite.»
Du côté de l’Alliance nationale des Mutualités chrétiennes (ANMC), une interlocutrice, qui préfère ne pas être citée, assure que le fait d’être diplômé d’une université ou d’une autre «n’a aucune influence sur l’embauche» et que «cela fait déjà longtemps que c’est le cas». À l’Union nationale des Mutualités libres (MLOZ), la directrice des ressources humaines Carine Deneyer tient le même discours. «Pour nous, c’est très clair, ça n’a aucune influence: le contraire pourrait d’ailleurs être considéré comme discriminatoire, il me semble… Nous cherchons quelqu’un qui ‘fitte’ avec la culture de l’entreprise, quelqu’un qui soit entreprenant, transparent», résume-t-elle, étonnée qu’on puisse poser la question. De même, Carine Deneyer estime que les candidats ne postulent pas aux Mutualités libres par conviction pluraliste mais parce que le poste les intéresse. Tout simplement.
«Évidemment, à candidature égale, on aura peut-être tendance à choisir le candidat qui vient de l’Université libre de Bruxelles ou de l’Université de Liège plutôt que celui qui vient de l’UCL», Frédéric Hennaut, UNMS
Seul Frédéric Hennaut, directeur du personnel à l’Union nationale des Mutualités socialistes (UNMS), concède l’influence de l’origine du diplôme universitaire au sein des métiers de la mutualité. «C’est important, mais ce n’est pas la seule condition. Nous engageons régulièrement des personnes qui ne sortent pas de l’ULB, mais par exemple de l’Université de Liège, de Namur… et aussi de l’UCL. On regarde surtout l’attachement aux valeurs de la mutualité et notamment à la solidarité. Nous avons d’ailleurs développé un test ‘valeurs’ avec l’Université de Liège, tant pour les collaborateurs classiques que pour les fonctions de management», explique-t-il. Le pilier socialiste serait-il plus – voire très – à l’aise avec des critères de sélection idéologiques? «Ce n’est pas un secret que l’ULB est une création maçonnique. Mais moi, je ne regarde pas si les gens sont francs-maçons avant de les engager. La valeur de laïcité est évidemment importante, mais il ne faut pas sortir de l’ULB pour la défendre. Évidemment, à candidature égale, on aura peut-être tendance à choisir le candidat qui vient de l’Université libre de Bruxelles ou de l’Université de Liège plutôt que celui qui vient de l’UCL», poursuit Frédéric Hennaut sans malaise aucun. L’attention accordée à la défense des idéaux laïques, précise-t-il par ailleurs, sera d’autant plus grande que le recrutement concerne des fonctions de direction.
Un monde associatif qui change
Au sein de ce paysage contrasté, un autre constat émerge: à l’heure de la multiplication des formations postbachelier et des nombreux masters et certificats «interuniversitaires», il devient tout simplement difficile de cataloguer les candidats en fonction de l’origine de leur(s) diplôme(s). Alors que les mouvements de jeunesse eux-mêmes se sécularisent, une expérience au sein des Scouts et consorts continuerait à être bien vue par les recruteurs… sans plus être associée à quelque affiliation idéologique. «Je pense que cette distinction philosophique compte de moins en moins dans l’embauche, résume Jacques Defourny. Évidemment, si les régents devaient désormais faire des parcours universitaires comme on l’évoque aujourd’hui, on peut se demander si l’enseignement libre ne recruterait pas davantage des gens de l’UCL, ce qui constituerait un nouvel alignement. Mais cela serait étonnant étant donné que les institutions d’enseignement catholique ne semblent pas spécialement privilégier les licenciés de Louvain par rapport à ceux de Liège pour ce qui est du secondaire supérieur.»
Le clivage qui règne encore au sein des syndicats ou des mutuelles semble par ailleurs s’effacer tout à fait dans les nouveaux projets d’économie sociale et de coopératives citoyennes qui fleurissent dans le secteur de l’alimentation, de l’environnement ou encore de la culture. «Aujourd’hui, l’émergence de mouvements beaucoup plus actuels autour d’Écolo, de l’action sociale et environnementale, transcende les piliers! Ces sensibilités nouvelles n’ont que faire ou presque de ces visions idéologiques qui prennent leurs racines au XIXe siècle. Lorsque je parle de la piliarisation à mes étudiants, beaucoup ne savent tout simplement pas que cela a longtemps structuré la Belgique», conclut Jacques Defourny.
En savoir plus
Dossier «Cathos, laïcs: la chute des piliers?», Alter Echos 454 (novembre 2017)