Yves Hermann Yao Kouakou, étudiant ivoirien, est arrivé le 27 octobre à l’aéroport de Zaventem : «J’avais obtenu un diplôme en gestion en Côte d’Ivoire, je me suis inscrit à l’Université catholique de Louvain pour suivre un master en communication stratégique des organisations.» Lors du contrôle à la frontière, la police aéroportuaire lui reproche d’arriver trop tard par rapport à la rentrée académique. Il explique: «J’ai fait ma demande de visa le 3 août à l’ambassade de Belgique en Côte d’Ivoire. J’ai reçu une réponse le 10 octobre.» Le policier lui demande s’il a de l’argent, l’étudiant ivoirien lui montre le liquide qu’il a sur lui, ainsi que sa carte bancaire. Il contrôle également son passeport, qui est en règle. L’audition dure une trentaine de minutes, puis Yves Hermann Yao Kouakou est conduit dans une salle d’attente, où il va rester de 18h à 23h59, sans rien boire, ni manger: «J’ai répondu à toutes leurs questions, mais ils n’ont tenu compte de rien.» On lui annonce alors qu’il va être expulsé.
Le soir même, il est emmené au centre fermé Caricole, à côté de l’aéroport où il est placé seul dans une chambre, en quarantaine à cause du Covid-19. Commence alors une attente longue et stressante. Une avocate commise d’office est désignée, c’est elle qui fera le recours auprès du Conseil du contentieux des étrangers (CCE). Ce recours est accepté et l’Office des Étrangers est débouté, mais Yves Yao Kouakou n’est pas libéré pour autant. L’Office décide de faire appel auprès du CCE. Encore une fois, Yves Hermann et son avocate obtiennent gain de cause: «Je n’étais pas présent, mais c’est le juge qui a pris une décision et qui a demandé à l’Office des Étrangers de me libérer immédiatement. Au total, j’ai passé presque deux semaines en centre fermé. Je n’ai jamais imaginé que mon arrivée en Belgique se passerait comme ça. Ce sont des choses qui ne devraient plus arriver. Nous, étudiants, on demande simplement à pouvoir suivre nos cours tranquillement, on ne devrait pas à avoir à subir ce genre de comportements: l’éducation est un droit.»
Contrôles abusifs
Pour nombre d’observateurs, la police aéroportuaire, censée uniquement demander aux étudiants de présenter les documents nécessaires à l’entrée sur le territoire, fait preuve d’excès de zèle. Ainsi selon Lucas Van Molle, président de la Fédération des étudiants Francophones (FEF) qui a soutenu la libération de Junior Masudi Wasso (étudiant congolais arrivé le 18 septembre 2021 qui a passé 17 jours en centre fermé après un long interrogatoire mené par la police aéroportuaire), si les documents sont en ordre, il n’est pas nécessaire de pousser l’interrogatoire plus loin: «Dans le cas de Junior, on lui a demandé comment il allait se rendre jusqu’à l’université, quel transport il allait emprunter: ces questions sont absurdes. On lui a ensuite posé des questions sur son parcours académique antérieur, puis on a testé ses connaissances. Puisqu’il souhaitait venir étudier la chimie, on lui a demandé qui était Mendeleïev, il a dit que c’était un chimiste, mais il n’a pas su en dire plus. C’est tout cet interrogatoire-là qui a motivé le fait qu’il y avait un doute raisonnable sur le motif de sa venue.»
Les étudiants bénéficiant d’un visa long séjour ne devraient pas avoir à montrer l’entièreté de leur dossier au poste-frontière, puisque les organismes compétents ont déjà fait les démarches nécessaires pour vérifier la motivation de l’étudiant, son niveau académique et les ressources financières dont ils bénéficient. C’est l’avis de Coralie Hublau, travailleuse au sein du CIRÉ: «Techniquement, il existe dans la loi, la possibilité de refuser l’entrée au territoire, même avec un visa. De l’extérieur, on peut voir cela comme complètement contradictoire: si le visa a été accepté par les autorités, pourquoi refuser l’entrée? Mais cette possibilité existe pour les visas court séjour. Et si celle-ci n’est pas prévue explicitement pour les visas long séjour, il y a cependant un flou juridique sur lequel les autorités belges ont joué dans le cas de Junior Masudi Wasso.»
Le pouvoir discrétionnaire laissé aux policiers chargés de contrôler les frontières interpelle encore plus lorsqu’il concerne des étudiants venus d’Afrique. Yves Hermann revient sur l’interrogatoire qu’il a subi à l’aéroport: «Il y a certaines choses que les policiers m’ont dites et que j’essaie d’oublier. Un moment, l’un d’entre eux m’a demandé pourquoi cela m’arrivait, peut-être que c’était à cause de ma couleur de peau? Il m’a vraiment posé cette question.» Yves Lodonou a fondé le «Collectif libérez Junior Masudi Wasso» rebaptisé aujourd’hui «Collectif de défense des étudiants noirs en internement aux frontières» (DENIF) et s’est mobilisé pour tenter de médiatiser et d’interpeller l’opinion publique sur la situation d’Yves Hermann afin d’accélérer sa libération. Il dénonce les contrôles abusifs envers les étudiants noirs: «Il y a une hypocrisie. Si un étudiant nord-américain ou anglais arrive en Belgique, serait-il malmené de la même manière au poste-frontière qu’un étudiant venu d’Afrique? On doit aussi se poser la question de la négrophobie. Certains policiers qui contrôlent aux frontières ont une attitude politique et pas une attitude de fonctionnaire.» Alors que l’on promeut les séjours à international ou Erasmus auprès des étudiants en Europe, les étudiants issus de pays hors de l’espace Schengen qui souhaitent venir suivre un cursus académique en Belgique ne sont pas logés à la même enseigne.
Des papiers mais de l’incertitude
Une fois passés les contrôles à la frontière, les procédures ne sont pas terminées. Au-delà, du coût financier, les démarches à effectuer pour venir étudier en Belgique sont compliquées et chronophages (relire notre article «Étrangers hors UE: étudier à quel prix?», Alter Échos n°499, décembre 2021). En arrivant sur le territoire, les étudiants ont huit jours pour aller se déclarer auprès de la commune où ils résident. Entre les étudiants arrivant et ceux qui doivent renouveler leur titre de séjour avant le 31 octobre, puisqu’il faut le faire chaque année et ce durant toute la durée des études, certaines administrations se trouvent débordées. Elias (prénom d’emprunt), étudiant libanais, revient sur son expérience laborieuse: «J’ai fait une demande de renouvellement de mon titre de séjour en septembre, puis je n’ai plus eu aucune information quant à l’avancement de mon dossier. J’ai fait beaucoup d’allers-retours à la commune de Louvain-la-Neuve, puisque c’est quasi impossible de les avoir au téléphone. Entre les horaires d’ouverture limités et les files d’attente énormes, c’était horrible. Certains matins, j’étais devant la commune à 6h, avec plein d’autres étudiants dans la même situation que moi, alors que les portes ouvrent seulement à 8h. À ce moment-là, j’avais peur d’être sans-papiers parce qu’on ne m’avait donné aucun document qui prouvait que ma demande était en cours. Au final, j’ai pu aller récupérer mon titre de séjour seulement début février.»
Toutes les communes ne fournissent pas l’annexe 15, seule manière pour les personnes migrantes de prouver qu’elles sont en ordre administrativement, mais dans l’attente d’une carte de séjour. Certaines administrations communales prétextent qu’en délivrant ce document temporaire, beaucoup de personnes tardent à renouveler leur carte. Pourtant, comme l’explique Coralie Hublau, «c’est prévu par la loi: si un étudiant souhaite obtenir son annexe 15, la commune doit lui délivrer le papier. Puisqu’il n’est pas possible de le faire en avance, si les étudiants ne parviennent pas à obtenir un rendez-vous avant le 31 octobre, date d’expiration de leur visa, on leur conseille de montrer la preuve de leur demande de prise de rendez-vous, en cas de contrôle». Mais du côté des étudiants, cette solution précaire ne semble pas les rassurer. C’est ce dont témoigne Maria, étudiante mexicaine: «C’était une période vraiment stressante, puisque je n’avais aucune information par rapport à mon statut. À chaque fois que je me rendais à la commune, c’était une personne différente qui répondait à mes questions. Je n’étais pas concentrée à 100% sur mes études, parce que j’avais beaucoup de choses à penser, en dehors. Je me demandais s’il y avait un problème, si j’allais pouvoir rester, etc. Si jamais quelque chose de grave arrivait à ma famille et que je devais prendre un avion pour rentrer, ça n’aurait pas été possible pour moi de le faire.»