Les unités FOR K ou UTI1 fêtent leurs cinq ans d’existence cet automne. Une période qui permet d’aborder avec un peu de recul les enjeux cliniques etpolitiques de ce réseau de soins médico-légal destiné aux délinquants juvéniles présentant des troubles du comportement et des troubles mentaux. Lathématique a été abordée lors des Journées d’automne de l’Aide à la jeunesse2.
Au début des années ’90, plusieurs comités d’experts s’étaient penchés sur la nécessité de créer des centres de soinsspécifiques pour les délinquants juvéniles souffrant de problèmes psychiatriques. Ils partaient de plusieurs constats. D’une part, il n’existait aucun centrespécialisé pouvant accueillir sans délai les adolescents présentant une symptomatique psychiatrique, de même qu’il n’existait pas de centred’accueil fermé et adapté pouvant gérer la violence dans un contexte de crise. D’autre part, mais dans la même logique, le psychologue Etienne Joiret qui travaillaitalors auprès de jeunes placés en IPPJ devait constater les limites des interventions par les services pédopsychiatriques généralistes, ainsi quel’inadéquation de certaines mesures éducatives prises à l’encontre d’adolescents présentant des troubles psychiatriques sévères.
À l’époque, les secteurs de la santé et des droits de l’enfant se sont émus des projets en cours, pointant les écueils que la créationd’unités spécifiques pouvait amener : un risque de stigmatisation des jeunes pris en charge, ainsi qu’un risque de « psychiatrisation » de la délinquancejuvénile. Des écueils largement évités, selon Etienne Joiret. « Nous avons tenu compte de toutes les remarques et le projet thérapeutique a étédéfini suite à une concertation assez large avec les secteurs concernés ». Cinq unités de huit lits devaient être aménagées : deux en Flandre,deux en Wallonie et une à Bruxelles. Si la première a vu le jour en octobre 2003 (à Bruxelles), celle de Liège, « Les Cyprès », vient seulementd’ouvrir ses portes, le 1er septembre 2008.
Objectif : réinsertion sociale
Le 27 octobre 2003, une unité baptisée Karibu est donc ouverte au Centre hospitalier Jean Titeca à Bruxelles, dont Etienne Joiret devient le chef de service adjoint. On yreçoit exclusivement les garçons, en principe à partir de douze ans (avec une priorité aux plus de quinze ans) et selon une grille de critères sélectifs :les jeunes avec un retard mental important sont orientés ailleurs. De même, « les problèmes de délinquance sexuelle, de consommation de drogue et lamulti-délinquance ne sont pas des critères suffisants pour prendre un jeune en charge », rappelle le psychologue. Il faut que le jeune présente à la fois destroubles du comportement et des problèmes psychiatriques. Pour rendre l’offre de soins plus complète, l’unité Les Cyprès est organisée de façonà recevoir un public mixte et exclut, par conséquent, les jeunes ayant commis un fait qualifié d’infraction à caractère sexuel. Le placement estdécidé sur la base d’un avis argumenté d’un psychiatre auprès du juge de la jeunesse. L’évaluation du jeune est ensuite confirmée etcomplétée au sein de l’institution. Quels que soient leurs publics, les unités travaillent sur la base du concept de « bientraitance » avec un objectif deréinsertion sociale, à terme. La prise en charge est centrée sur les besoins du jeune, tout en prenant évidemment en compte le contexte judiciaire.
Au fil des ans, l’encadrement et les structures ont été adaptés pour faire face aux réalités de l’unité bruxelloise, laquelle a dûtravailler avec un public très large tant que toutes les unités wallonnes n’étaient pas fonctionnelles : le centre Karibu propose désormais une vingtaine de lits,des habitations protégées pour les plus de seize ans ainsi qu’un service ambulatoire. Tandis qu’à Liège, les routines n’ont pas encore eu le temps de se mettreen place et les seize membres du personnel se consacrent actuellement… à un seul patient.
« 36.2 » vs « 36.4 », une césure artificielle ?
Le plus interpellant dans ce système de lits FOR K, c’est sans doute le type de public concerné. Des recherches cliniques ont permis d’établir le profil des 74 jeunespassés à Titeca entre 2003 et 2007. Si les statistiques présentées par Etienne Joiret ne sont pas « étonnantes », elles n’en sont pas moinschoquantes. Ainsi, l’âge moyen d’admission des jeunes est de seize ans, mais seuls 42 % d’entre eux possèdent le CEB (certificat d’étude de base). Lamajorité (60 %) a été victime de violences physiques dans la petite enfance, le tiers des jeunes a tenté de se suicider au moins une fois et près de 18 % ontété victimes de violences sexuelles, parfois pendant de très nombreuses années – le chiffre étant sous-estimé, la réalité serait plusproche des 30 %. Dans 40 % des cas de violences sexuelles commises sur ces jeunes, il y a eu plainte, mais la moitié n’a donné lieu à aucune suite judiciaire. La plupartdes jeunes a connu un ou plusieurs séjours en IPPJ et – faut-il s’en étonner ? – le tiers des délits concernait des violences à caractère sexuelsur mineurs… Des chiffres qui rappellent sans équivoque que les notions de « mineurs en danger » et de « mineurs délinquants » sont sœurs.
« Il est important de rappeler que ces jeunes existent et qu’ils ont connu un parcours lourd fait de maltraitance, d’abandon, d’échecs bien avant qu’ils necommettent leur premier délit », insiste Etienne Joiret. Et de s’inquiéter – une fois de plus – de l’hyper-médiatisation des faits délictueuxcommis par des adolescents et de la pression subséquente pour voir évoluer le modèle thérapeutique vers un autre, sécuritaire. Ce qui fait dire au corps soignantque leur liberté thérapeutique est menacée.
Au delà de ce constat, le système des unités FOR K, s’il a le mérite d’exister, n’est pas sans poser question. Les participants au colloque n’ontd’ailleurs pas manqué de souligner le caractère ambigu du système. Ainsi, pour que ces jeunes, qui ont connu un parcours de maltraitance dur depuis leur petite enfance, puissentavoir accès à des soins appropriés, il faut qu’ils en viennent à commettre des délits particulièrement violents. Il y a de quoi s’étonnerd’une r
éponse aussi tardive. Il existe bien entendu des services pédopsychiatriques classiques mais ils manquent le plus souvent de lits disponibles… et visiblement laprise en charge n’est pas toujours effective.
Cet effet pervers du système tient probablement beaucoup au clivage artificiel établi entre ce que les professionnels appellent le « 36.2 » et le « 36.4 »,soit les articles faisant référence respectivement aux mineurs en danger et aux mineurs ayant commis un fait qualifié d’infraction. À quand une réévaluationde ces concepts ?
Les Journées d’automne de l’Aide à la jeunesse
Salles combles, public attentif et couloirs bavards pendant les pauses, les Journées d’automne de l’Aide à la jeunesse ont fait le plein. La Directiongénérale de l’Aide à la jeunesse (DGAJ) entendait faire le point sur les innovations et recherches qui animent un « secteur dynamique » dont « lesfrontières sectorielles » sont multiples. La première journée fut largement axée sur le soutien à la parentalité et sur la maltraitance. La seconde aabordé un autre mode de soutien à la parentalité qu’est l’adoption, les projets pilotes ou encore les innovations législatives – brillammentdécortiquées et mises en perspective par Michel Noël, directeur des services Législation et agrément de la DGAJ – avant de laisser place à des salonsthématiques comportant chacun de trois à six conférences spécifiques. Enseignement et Aide à la jeunesse, réaction sociale à la délinquancejuvénile, santé mentale et Aide à la jeunesse, genre et sexualité, ont drainé un public parfois trop nombreux dans les différents auditoires. «J’ai renoncé à participer à certains ateliers tellement il y avait de monde dans la salle, ce n’est plus de mon âge de rester debout coincé contre uneporte », entendait-on, çà et là. Les conférences étaient forcément inégales, en fonction des qualités oratoires des intervenants et de lapertinence des questions dans le public… quand les horaires serrés permettaient effectivement un débat. En revanche, difficile de ne pas trouver son compte dans la multitude desujets proposés. Les salons consacrés aux réactions sociales à la délinquance juvénile et au « genre et sexualité » ontparticulièrement « cartonné ». Ce dernier a donné l’occasion à la Plate-forme bruxelloise des AMO de présenter les outils de sa mallettepédagogique, avec un beau succès public à la clé3.
1. Les « FOR K » (de l’anglais « Forensic », « médico-légal » en français) ou UTI (Unité de traitement intensif) ont été créés àl’initiative du ministre de la Santé de l’époque, Rudy Demotte (PS).
2. Elles se sont déroulées dans les locaux de la Marlagne à Wépion les 18 et 19 septembre derniers.
3. À ce sujet, voir Alter Échos n°258, « Les AMO s’attaquent au sexisme ordinaire ».