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Un budget pour personnes handicapées: la Flandre innove, le Sud attend

La Flandre généralise le budget d’assistance personnelle pour personnes handicapées. Dès 2016, toute personne handicapée au nord du pays, pourra gérer son aide financière et choisira l’assistance qui lui convient. Une révolution… qui n’inspire pas vraiment au sud du pays.

22-06-2015
Travail photo de Claude Fabry «À la rencontre d'enfants polyhandicapés», France. CC FlickR Claude Fabry

La Flandre généralise le budget d’assistance personnelle pour personnes handicapées. Dès 2016, toute personne handicapée au nord du pays pourra gérer son aide financière et choisir l’assistance qui lui convient. Une révolution… qui n’inspire pas vraiment au sud du pays.

En Flandre, le secteur de l’aide aux personnes handicapées fait sa révolution. Toutes les personnes handicapées, ou leurs familles, seront maîtres, si elles le souhaitent, de la gestion des aides financières qu’elles recevront de la Région. Les personnes handicapées deviendront donc des employeurs et choisiront les services qu’elles comptent utiliser. C’est inscrit dans le décret du 25 avril 2014, qui généralise le budget d’assistance personnelle, et sera d’application en 2016.

Cette révolution ne vient pas de nulle part. Elle s’inscrit dans un mouvement porté par des personnes handicapées depuis les années 70 et prônant «l’independent living», donc la vie autonome.

Le budget d’assistance personnelle est expérimenté depuis 1997 en Flandre. Le nombre de personnes concernées par divers programmes de ce type ne cesse de croître. Selon Jef Breda, ancien professeur d’université à Anvers et surtout grand spécialiste du budget d’assistance personnelle (BAP), «les usagers ont tous acclamé les budgets personnalisés». Le politique a clairement suivi cette tendance «en augmentant les moyens qui y sont consacrés», précise Jef Breda.

Les principes sous-jacents au budget d’assistance personnelle correspondent à la philosophie de la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées. Ces dernières doivent accéder à l’autonomie et faire leurs propres choix. «Mais l’idée est aussi de déstandardiser l’offre de services, ajoute Jef Breda. De leur donner les moyens de développer de nouvelles méthodes, plus flexibles.»

Budget d’assistance personnelle: schéma d’une généralisation

À partir de 2016, en Flandre, toute personne handicapée aura droit à un budget d’assistance personnelle. Le modèle flamand est composé de deux piliers:

– Premier pilier: Tout personne handicapée aura droit à une allocation d’environ 300 euros, versée par l’assurance-soins flamande, qui n’impliquera aucune justification des dépenses. On estime que cela touchera près de 120.000 personnes. Toutes auront aussi accès à un système limité d’aides directement accessibles (type visites à domicile).

– Deuxième pilier: L’aide est ici beaucoup plus importante. De 10.000 à 45.000 euros par an, voire plus de 75.000 pour des situations de très grande dépendance. Cette somme sera confiée à la suite d’un examen médical poussé. La personne, ou sa famille, aura le choix d’utiliser cette somme auprès d’un aidant à domicile (parfois un membre de la famille) et de tout service qu’elle jugera bon pour sa situation. Attention, les dépenses devront être justifiées auprès de l’administration. En adressant sa demande, la personne handicapée devra rédiger un plan de soutien personnel, dans lequel elle indiquera «en cinq cercles concentriques», qui symbolisent la personne, la famille, les bénévoles, les services sociaux généraux, et les demandes spécifiques à l’administration flamande en charge des personnes handicapées (VAPH), quelle place chacun prend dans ce schéma d’aide.

Des services spécialisés peuvent aider à l’élaboration de ce plan de soutien.

© Flickrcc Claude Fabry
© Flickrcc Claude Fabry

Bruxelles et Wallonie, des BAP en demi-teinte

Côté francophone, il existe aussi des budgets d’assistance personnelle. En Wallonie, c’est un arrêté de mai 2009 qui a mis en place ce système, avec un budget limité. Depuis cette date, 486 budgets ont été octroyés, pour 1.656 demandes. Il n’est pas prévu aujourd’hui d’augmenter les moyens affectés au BAP wallon. «Pour octroyer un nouveau BAP, il faut attendre le décès d’une personne handicapée ou que la personne aille en maison de repos», résume Marina Goffelli de l’Agence wallonne pour l’intégration des personnes handicapées (Awiph). Vu l’excès des demandes, au regard du budget disponible, l’octroi des BAP vise prioritairement les personnes en situation de grande dépendance.

Le BAP wallon est très différent de son équivalent flamand. Les personnes handicapées ne reçoivent pas directement la somme sur leur compte en banque. Elles choisissent les services qui leur conviennent (même si le manque de services est souvent souligné côté francophone) et bénéficient d’un «droit de tirage» auprès de l’Awiph qui se charge du versement. À noter: le montant du BAP a été divisé par deux en Wallonie ces dernières années «pour qu’il bénéficie à un plus grand nombre», nous dit-on.

À Bruxelles, par contre, on ne peut que difficilement parler d’un budget d’assistance personnelle. Celui-ci n’est qu’un petit projet pilote, financé par la Commission communautaire commune, qui ne concerne que… neuf personnes. Politiquement, il semble que cela bouge un peu. Le cabinet de Céline Fremault, en charge des personnes handicapées, envisage de créer un groupe de réflexion au troisième trimestre 2015, tout en rappelant qu’il faudra «faire attention aux contraintes budgétaires».

Le changement radical opéré en Flandre ne semble donc pas inspirer les francophones, alors même que les associations de personnes handicapées ou de leurs familles, comme Eva (ensemble pour une vie autonome), le mouvement Via (pour Vie autonome) ou l’asbl Inclusion, réclament fermement de changer d’optique au sud du pays. «Il va falloir faire confiance aux personnes handicapées, clame Thérèse Kempeneers, de l’association Inclusion, anciennement Afrahm (Association francophone d’aide aux handicapés mentaux). Les laisser choisir le soutien dont elles ont besoin et y consacrer les moyens financiers.» Pour Corinne Lassoie, de l’association Eva, le décret flamand est «une vision idéale, car on laisse le choix à la personne, en toute liberté».

Des services réfractaires au changement?

« Un tel changement pourrait aboutir, à la mort des institutions qui deviendraient des prestataires de services », Viviane Stevens, coordinatrice de la Ligue nationale pour personnes handicapées

À Bruxelles comme en Wallonie, tous les services, toutes les administrations affirment œuvrer pour l’autonomie des personnes handicapées. Alors pourquoi l’extension des budgets d’assistance personnalisée est-elle à l’arrêt?

Beaucoup d’interlocuteurs pointent la responsabilité des institutions. Ces services d’accueil et d’hébergement, autrefois qualifiés de «home», auraient du mal à se remettre en question. «La Flandre a commencé plus tôt à s’orienter vers l’individualisation de l’aide, explique Corinne Lassoie, alors que du côté francophone, nous sommes restés sur un modèle basé sur les institutions.» En Wallonie, 62,8% du budget de l’Awiph est consacré aux services d’accueil et d’hébergement.

Les craintes des institutions, face à une généralisation du BAP, sont réelles. Viviane Stevens, coordinatrice de la Ligue nationale pour personnes handicapées, une fédération de services d’hébergement en Wallonie, ne cache pas que son «secteur n’a jamais défendu cette philosophie de l’individualisation de l’accueil des personnes handicapées». Un tel changement pourrait aboutir, selon elle, «à la mort des institutions qui deviendraient des prestataires de services».

En cela, Viviane Stevens n’a pas totalement tort. L’un des effets anticipés de la réforme flamande devrait être une «diminution de la demande de services résidentiels», comme le souligne Jef Breda, vu qu’une croissance rapide du métier d’aide à domicile est attendue.

« Avec le Bap, le pouvoir revient aux personnes handicapées», Stéphanie Herman, administratrice déléguée de l’association nationale pour le logement de la personne handicapée

De plus, la stabilité financière des services ne serait plus vraiment assurée. Car ces derniers ne recevraient plus de subventions, mais bien des paiements de leurs clients qui pourraient dès lors s’en aller en cas de mécontentement. «Avec le BAP, le pouvoir revient aux personnes handicapées, estime Stéphanie Herman, administratrice déléguée de l’association nationale pour le logement de la personne handicapée. Les structures doivent s’adapter aux personnes et non l’inverse.»

Selon plusieurs associations, les réticences francophones prendraient leurs racines dans une forme de paternalisme, un manque de confiance face à des personnes handicapées qui deviendraient «employeurs».

Côté flamand, les services n’étaient pas non plus ravis à l’idée d’une généralisation du BAP. Ils y ont finalement adhéré, moyennant l’obtention d’une augmentation de plus de 15% de leurs tarifs et d’un surcroît d’autonomie dans leurs méthodes de travail, avec moins de contrôles.

Les objectifs cachés de la réforme flamande

Certes, la généralisation du BAP, en Flandre, vise à accroître l’autonomie des personnes handicapées. Mais elle poursuivrait aussi, selon Jef Breda, des objectifs secondaires: «Il existe une forte pression en Flandre pour la création d’une protection sociale flamande. Aujourd’hui, 240.000 personnes touchent 130 euros par mois au titre de l’assurance-dépendance. Avec la généralisation du BAP, ce sont 120.000 personnes qui toucheront 300 euros. Peu à peu, vu les sommes engagées, cela pose les bases d’une sorte de sécurité sociale flamande.»

Vers une privatisation de l’aide aux personnes handicapées?

Pour certains francophones, une généralisation du BAP poserait les jalons d’une privatisation de l’aide aux personnes handicapées. Anne Jacques, par exemple, de l’Association des centres et services pour personnes handicapées, n’est pas forcément défavorable à une discussion sur l’extension du BAP, mais elle pense que le risque du modèle flamand est de «commercialiser une offre plutôt que rendre un service à la société. Pour boucler les fins de mois, il faudrait faire du chiffre, ce qui ne correspond pas à la même philosophie d’accueil, car les institutions subventionnées sont accessibles à tous». Selon elle, l’absence de subventions pourrait pousser à l’apparition d’institutions luxueuses pour riches.

Des réserves que partage en partie Véronique Gailly, directrice du service Phare (Personne handicapée, autonomie recherchée – en gros, il s’agit de l’Awiph bruxellois): «Je reconnais que rendre à la personne le droit de faire ses choix de vie est un idéal… qui n’est pas sans effets pervers. L’un d’eux est le risque d’une privatisation de l’offre. En période de pénurie de places et de services, il faudrait mettre en œuvre des balises pour éviter la concurrence entre services. Aujourd’hui, il faut surtout développer l’offre de services.»

Thérèse Kempeneers concède que le risque de privatisation existe et nécessite de «la vigilance» et «des balises», «mais ce n’est pas pour ça qu’il faut ne pas changer les habitudes de travail acquises depuis 40 ans dans les services».

En Flandre, on assume certainement qu’un tel dispositif encourage la concurrence, considérée comme le gage d’une amélioration de la qualité du service. «Et puis, la compétition entre services existe déjà, ajoute Jef Breda, pas pour les clients, mais pour l’obtention de l’argent public. Avec la généralisation du BAP, la compétition se déplace.»

L’application concrète du décret flamand sera certainement observée de près par les associations francophones de personnes handicapées. De quoi relancer un débat qui pour l’instant stagne au sud du pays.

Cédric Vallet

Cédric Vallet

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