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Un casier bien lourd à porter…

Un colloque organisé le 24 octobre 2008 par la Ligue des droits de l’homme1 et la Liga voor mensenrechten2 s’est penché sur la question du casierjudiciaire et des conséquences de celui-ci. Comment trouver un emploi, comment trouver un logement alors que l’on a payé sa dette à la société mais que ledélit que l’on a commis est toujours consigné dans un document régulièrement exigé par l’employeur ou le bailleur ? Véritable réflexion presquephilosophique à propos des notions d’oubli ou de stigmates, la journée a également fourni quelques ébauches de solution.

14-11-2008 Alter Échos n° 262

Un colloque organisé le 24 octobre 2008 par la Ligue des droits de l’homme1 et la Liga voor mensenrechten2 s’est penché sur la question du casierjudiciaire et des conséquences de celui-ci. Comment trouver un emploi, comment trouver un logement alors que l’on a payé sa dette à la société mais que ledélit que l’on a commis est toujours consigné dans un document régulièrement exigé par l’employeur ou le bailleur ? Véritable réflexion presquephilosophique à propos des notions d’oubli ou de stigmates, la journée a également fourni quelques ébauches de solution.

C’est Guy Michel, avocat, qui l’affirme lors d’une des deux tables rondes organisée au cours du colloque : « Dans six ou sept cas sur dix, la principale question posée parl’accusé à son avocat est la suivante : comment m’en tirer sans casier judiciaire ? » Significative, cette phrase illustre à merveille l’importance prise de nos jourspar le casier judiciaire, un outil qui n’a en fait été consacré légalement que le 8 août 1997, après plus d’un siècle de règlement àcoups de normes ministérielles. Mais s’il a fallu du temps pour le couler dans un moule législatif, l’usage du casier judiciaire, lui, a vite pris de l’importance.

Tous les intervenants présents ce 24 octobre à la Maison des parlementaires de Bruxelles semblaient en effet s’accorder sur un point : à l’heure actuelle, le casier judiciaireest de plus en plus régulièrement exigé dans le cadre d’une offre d’emploi ou de la location d’un logement… Un constat qui pose la question du stigmate que constitue lecasier judiciaire, sorte de double peine, de peine après la peine qui entre, d’une certaine manière, en contradiction avec un principe fondamental de la justice qui veut qu’aprèsavoir purgé sa peine, le condamné ait payé sa dette à la société.

Olivia Venet, avocate et présidente de la Commission Justice de la Ligue des droits de l’homme ne manque d’ailleurs pas de souligner le paradoxe d’un système allant, selon elle, dansun sens opposé à celui de l’exécution de la peine : « Beaucoup de récidivistes nous disent : je récidive car je n’arrive pas à retrouver dutravail à cause de mon casier judiciaire. Or le but premier d’une peine infligée suite à un délit, c’est justement d’éviter la récidive. Il y a donclà une contradiction totale… » Une contradiction qui semble, selon certains intervenants, rendre complexe toute réinsertion pour les personnes porteuses d’un casierjudiciaire.

Des conséquences du casier

On le voit, posséder un casier judiciaire est un véritable problème lorsque l’on cherche du travail. À titre d’exemple, Nele Verlinde, conseillère pour le VDABà la prison de Gand, déclare ainsi que beaucoup de prisonniers souhaitent prendre un emploi mais que, faute de trouver de l’embauche à cause de leur casier judiciaire, ils sevoient finalement obligés de suivre une formation. Quand ils n’optent pas, dès leur sortie, pour le travail au noir et la précarité qui l’accompagne.

Voix discordante, Tom Smeets, représentant le Brussels Enterprises Commerce and Industry (Beci, né de la synergie entre la Chambre de commerce et l’Union des entreprisesde Bruxelles) déclare a contrario : « Je me pose la question de savoir si ces personnes trouveraient plus de travail sans casier. C’est malheureux à dire mais laplupart d’entre elles ont un très faible niveau de qualification… De plus, je pense que beaucoup de détenus optent pour le travail au noir afin d’éviter de payer lesindemnités qu’ils doivent aux parties civiles. » Un avis qui, s’il n’est pas entièrement partagé par Nele Verlinden, se voit indirectement confirmé parcelle-ci. « Tout dépend du passé des condamnés, déclare-t-elle. Il est clair que si ceux-ci avaient déjà un background compliquéavant leur incarcération, sans logement, sans boulot, sans jamais avoir été à l’école, les choses ne seront pas faciles. Mais mon expérience m’aenseigné que si les détenus avaient un emploi stable avant leur incarcération, ils sont plus faciles à remettre à l’emploi. Il y a alors moyen de convaincre lesemployeurs. »

Des employeurs qui, selon leur propres dires, tentent de ne pas tomber dans la discrimination. « On sous-estime quelquefois la responsabilité sociale des entreprises, affirme TomSmeets. Certaines n’attachent pas du tout d’importance au casier judiciaire ! » Néanmoins, du côté de Federgon (Fédération des partenaires de l’emploi),on admet que « plus les gens sont qualifiés, moins on demande de produire un extrait du casier judiciaire. Malheureusement, pour les profils professionnels « inférieurs »,l’extrait de casier judiciaire est demandé dans 80 % des cas… Ce qui ne veut pas dire que la personne ne sera pas engagée si elle a un casier… »

Et certains des intervenants de plaider pour une utilisation judicieuse du casier judiciaire : « Il devrait y avoir une plus grande adéquation entre la demande de produire unextrait de casier judiciaire et le travail proposé. Pour certains emplois, ce n’est pas nécessaire… » note Nele Verlinde. On peut en effet se poser la question de savoirs’il est utile pour un employeur proposant un emploi de jardinier d’apprendre que son futur employé a été condamné pour conduite en état d’ivresse… Acontrario, il est peut-être intéressant de savoir si une personne a été impliquée dans des affaires de mœurs avant de l’engager comme professeur dans uneécole. La preuve pour certains que le casier judiciaire conserve une utilité. Un point de vue que n’hésite d’ailleurs pas à défendre Dominique Etienne, juge dutribunal d’application des peines de Mons : « Dans le cadre de mon travail, il est clair que le casier judiciaire est un outil important, je ne peux pas le nier, affirme-t-elle. Il peutapporter des éclaircissements utiles par rapport aux antécédents de la personne… »

Du côté de l’asbl « Après » (dont le but est d’aider les personnes incarcérées, ou l’ayant été, à définir età préciser leur projet de réinsertion socioprofessionnelle), le constat est en tout cas clair : « Une des personnes dont nous nous occupions cherchait du travailcomme aide ménagère. Elle a cherché longtemps… Puis elle a finalement bénéficié d’une procédure de réhabilitation qui lui a permis de »vider » ce casier. En quinze jours, elle était engagée. »

Des alternatives ?

Pouvoir « vider » son casier judiciaire semble donc opportun si l’on veut bénéficier de plus de chances de trouver un emploi. Cependant, ce « droità l’oubli » souvent mentionné par la plupart des intervenants se heur
te à de nombreuses contraintes. En effet, deux procédures permettent aujourd’hui deretrouver un casier judiciaire vierge. Première d’entre elles, la procédure d’effacement ne s’applique qu’aux peines de police. Celles-ci se voient effacées automatiquementaprès trois ans. La deuxième procédure, connue sous le nom de réhabilitation, s’applique quant à elle à toutes les autres formes de condamnation. Or, outrele fait que cette procédure soit soumise à de nombreuses conditions, elle se révèle aussi particulièrement longue. « Il faut entre un an et demi et deuxans pour obtenir une réhabilitation, déclare à ce sujet Olivia Venet. De plus, cette mesure est l’objet d’un manque de visibilité très important. Peu de gens sontau courant de son existence. Il y a très peu de travail effectué sur ce sujet, et pas de budget. »

Dès lors, mieux vaut tenter d’éviter de recevoir un casier… Mais comment faire ? Pour l’heure, trois mesures permettent d’éviter ce cas de figure à uncondamné. La suspension de prononcé peut constituer une première solution. Deuxième cas de figure, la déclaration de culpabilité est d’application lorsque lejuge constate un dépassement du délai raisonnable dans la procédure judiciaire. Il lui est alors possible de déclarer le prévenu coupable sans assortir cettecondamnation d’une peine. La déclaration de culpabilité ne sera donc pas mentionnée au casier judiciaire.

Enfin, une troisième possibilité réside dans le fait de bénéficier d’une peine de travail autonome. Prononcée en matière correctionnelle (pour lesdélits sanctionnés d’une peine de prison de 8 jours à 5 ans) ou de police (pour les contraventions sanctionnées par une peine d’emprisonnement de 1 à 7jours), ce type de peine principale consiste en la prestation d’un certain nombre d’heures non rémunérées au profit de la société. Ceci afin d’éviterl’emprisonnement.

Fort usitée à l’heure actuelle (de 2002 à 2004, le nombre de condamnations à des peines de travail est passé de 556 à 7 487. Pour 2007, le chiffreserait de 9 568), cette peine bénéficie d’un champ d’application assez large (elle n’est pas soumise à des conditions quant aux antécédents judiciaires et peutêtre cumulée avec une peine d’amende ou de déchéance de permis de conduire), n’est pas inscrite au casier judiciaire et constitue dès lors une bonne alternativeà l’emprisonnement. Ce qui explique son succès… Un succès qui n’est pas sans poser certains problèmes puisque les délais pour l’exécution de la peinede travail sont parfois très longs. Autre bémol : considérée comme une alternative à l’emprisonnement, la peine de travail est en généralprononcée quand la peine de prison n’est pas envisagée. Un paradoxe.

Quelles solutions pour favoriser la réinsertion ?

Des initiatives existent afin de tenter de réinsérer les personnes ayant un casier judiciaire : le Forem organise ainsi des formations en prison, touchant à l’heure actuelleentre 300 et 400 personnes. En Flandre, quinze conseillers du VDAB œuvrent dans les prisons à un projet de réinsertion. Mais il n’en reste pas moins que peu de mesures semblentréellement mises en place afin de s’attaquer au problème. Ils sont dès lors nombreux à plaider pour une meilleure information et surtout une plus grande sensibilisation del’ensemble des partenaires aux questions soulevées par le casier judiciaire. « Je crois qu’il faut travailler sur les peurs, aussi bien celles des employeurs que celles des futursemployés porteurs d’un casier judiciaire », déclare à ce sujet Jacques Sonneville, du Forem. Car il est clair que si les employeurs semblent parfois nourrir certainspréjugés à l’égard des personnes porteuses d’un casier judiciaire, ces dernières ne sont pas non plus exemptes de fausses représentations : mauvaise estimede soi et sentiment de dépréciation sont ainsi souvent au rendez-vous.

Autre piste évoquée afin de faciliter la réinsertion : la mise en place d’un système d’incitants à l’embauche pour les entreprises. Un système qui neremporte pas beaucoup de succès : « Il me semble qu’il est utopique d’escompter trop d’ambitions sociales de la part du privé, rétorque à ce sujet Guy Michel.Je pense que c’est plutôt au secteur public à montrer le bon exemple en engageant des personnes ayant un casier judiciaire. » Or, à titre d’exemple, un certificat debonne vie et mœurs est actuellement demandé à toute personne désireuse de se faire engager chez Actiris… Dès lors, faut-il en arriver à inscrire lesantécédents judiciaires dans les chartes de diversité voire dans les textes de lois et les directives relatives à l’égalité de traitement et à ladiscrimination ?

Si elle se garde de se prononcer de manière trop tranchée à ce sujet, Véronique Van der Plancke, chercheuse au centre Droits fondamentaux et lien social des FUNDP(Facultés universitaires Notre-Dame de la Paix de Namur) note néanmoins que « les directives européennes 2000/78/CE (portant création d’un cadregénéral en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail) et 2000/43/CE (relative à la mise en œuvre du principe del’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique) définissent des critères de non-discrimination sur la base du handicap, de lareligion, de l’orientation sexuelle, de la race, du sexe. Si les antécédents judiciaires ne sont pas mentionnés, les États membres sont néanmoins libres decompléter ces critères dans leurs législations nationales. Or le 10 mai 2007, la Belgique a voté trois lois anti-discriminations dans lesquelles elle a rajouté denombreux critères comme l’aspect physique, l’état de santé ou les caractéristiques génétiques mais pas les antécédents judiciaires…» Ceci alors que la directive européenne 95/46 considère ces mêmes antécédents judiciaires comme émargeant à la catégorie desdonnées sensibles ; données sensibles parmi lesquelles on retrouve les critères de race, sexe, religion et autres contenus dans les lois anti-discriminations…

Dernière piste régulièrement évoquée, la création d’une « Commission du casier judiciaire indépendante », à l’image dece qui se fait aux Pays-Bas. « Cette commission agit comme une sorte de relais explique à ce propos Paul De Hert, professeur associé au Tilburg Institute for Law,Technology and Society. Si, par exemple, un employeur désire obtenir un extrait du casier judiciaire d’une personne qu’il souhaite engager, il doit produire une demande motivée quisera examinée par la Commission. » Une solution qui permettrait de diminuer le nombre croissant de demandes (pas toujours justifié
es) d’extraits de casier judiciaire enBelgique. Rappelons à ce sujet qu’à l’heure actuelle, ce sont les communes qui octroient des extraits de casier judiciaire et qu’il faudrait dès lors en modifier laprocédure d’obtention… La piste est en tout cas jugée « intéressante » par Filiep Jodts, représentant du cabinet de Jo Vandeurzen, ministrefédéral de la Justice.

On le voit, les possibilités sont nombreuses. Néanmoins, il semble clair pour certains intervenants qu’au delà de tout ce qui a été dit, une réflexionà propos de la question fondamentale du système judiciaire et de la notion d’emprisonnement s’impose. « L’emprisonnement est une machine à récidive »,déclare Delphine Paci, avocate. Avant de conclure : « Pour se réinsérer, pour trouver un emploi, il faut d’abord avoir été inséré…»

1. Ligue des droits de l’homme :
– adresse : chaussée d’Alsemberg, 303 à 1190 Bruxelles
– tél. : 02 209 62 80
– courriel : ldh@liguedh.be
– site : http://www.liguedh.be
2. Liga voor mensenrechten :
– adresse : gebroeders De Smetstraat, 75 à 9000 Gand
– tél. : 09 223 07 38
– courriel : info@mensenrechten.be
– site : www.mensenrechten.be

Julien Winkel

Julien Winkel

Journaliste

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