De nombreux migrants européens vivent en situation de – grande – précarité à Bruxelles. Dans le cadre du projet Prodec (Protéger les droits des citoyens mobiles de l’Union en situation de précarité), les travailleurs de rue de l’asbl Diogenes ont collecté en 2018 et en 2019 des données sur ce public. Elles ont été analysées par Bruss’Help dans le rapport «Migrants intra-européens en situation de sans-abrisme à Bruxelles»1 et présentées ce mercredi 9 décembre au cours d’un webinaire organisé par la Fédération européenne des associations nationales travaillant avec les sans-abri (Feantsa).
En 2019, les travailleurs de rue de Diogenes ont été en contact avec 319 citoyens de nationalité UE non-belge, la grande majorité d’entre eux (80%) étant de nationalités polonaise et roumaine. Parmi ces migrants européens, 17% sont en Belgique depuis plus de dix ans et 25% y sont en famille. Cette catégorie de migrants a augmenté drastiquement ces dernières années : alors que Bruxelles accueillait en 2004 moins de 700 personnes roumaines déclarées, celles-ci étaient plus de 6.000 en 2011, a d’ailleurs relevé le ministre de l’Action sociale et de la Santé Alain Maron (Cocof et Cocom).
Situation de séjour précaire, difficulté d’accès à un revenu et à un emploi sont, sans surprise, les grands facteurs contribuant à la vulnérabilité de ces personnes. Mais s’il en est bien un qui influe sur tous les autres, c’est le statut de séjour, qui, quand il est irrégulier, exclut les migrants européens de toute possibilité d’obtenir un revenu légal – même constat d’ailleurs pour les migrants extra-européens (relisez aussi l’article «Comment Utrecht prend en charge les sans-abri sans titre de séjour», AÉ n°488, 18 novembre 2020, Tine Danckaers). Ces personnes en séjour irrégulier sont dès lors surreprésentées parmi les personnes dormant dans la rue, ont plus souvent recours aux hébergements d’urgence et elles ne sont souvent pas couvertes par une assurance santé (la plupart de leurs soins reposent sur l’aide médicale urgente). Cette précarité de séjour empêche aussi l’accès à un travail alors que la recherche d’un travail est la principale cause de migration (c’est le cas pour 70% des personnes rencontrées en 2019). La combinaison de l’absence de titre de séjour, de revenu et de logement place ces migrants européens dans une situation de vulnérabilité qui peut perdurer de nombreuses années et être la source de problèmes de santé, dont des troubles psychiques et d’assuétudes.
«Malgré l’existence d’un cadre législatif européen qui facilite, théoriquement, la libre circulation pour les citoyens européens, ces personnes ont à plusieurs égards des conditions de vie plus précaires que celles des Belges et que des ressortissants de pays tiers, souligne le rapport de Diogenes et Bruss’Help. En particulier, les citoyens européens font davantage face au sans-abrisme de rue et à l’absence d’aides sociales et de revenus en général.» D’où la nécessité d’agir sur la domiciliation et la régularisation de ces personnes qui n’ont pourtant, pour la plupart, jamais été en contact avec un avocat. Le ministre Alain Maron a rappelé son engagement pour augmenter considérablement le budget Housing First d’ici la fin de la législature (relisez son interview réalisée en janvier dernier) et a mis en avant le lancement d’un «plan d’urgence logement» en collaboration avec la ministre bruxelloise du Logement Nawal Ben Hamou. 150 nouvelles places d’hébergement vont aussi être ouvertes prochainement dans trois hôtels, des lieux qui, «comme les logements de transit, sont une première étape vers la régularisation de statut», a souligné le ministre de l’Action sociale et de la Santé.
- «Migrants intra-européens en situation de sans-abrisme à Bruxelles. Une étude basée sur les données récoltées par les travailleurs de rue de Diogenes», Diogenes, Bruss’Help, Feantsa, par Mauro Striano, avec l’équipe de Diogenes.
En savoir plus
«Sans-abrisme: l’autre pandémie», interview de François Bertrand et Martin Wagener, par Manon Legrand et Marinette Mormont, Alter Échos hors-série «Un toit pour tous. Et pour toujours», septembre 2020.
«Sébastien Roy: ‘L’urgence, c’est le premier maillon de l’insertion’», Alter Échos n°487, octobre 2020, Marinette Mormont.
«Nous espérons un effort des Etats pour ne pas remettre ces personnes à la rue», Alter Échos web, 24 juillet 2020, Marinette Mormont.