Pie Tshibanda fuit le Zaïre en 1995. Originaire de Kolwezi, dans la région du Katanga, il dénonce l’épuration ethnique dont les Kasaïens font l’objet. Ildérange les autorités de son pays et devient un homme à faire taire. Le spectacle de Pie Tshibanda relate sa vie, et celle de tant d’autres hommes et de femmes qui ontvécu et vivent l’exil. Pie Tshibanda nous partage un parcours ponctué par des contes africains à nous faire goûter aux traditions de ces terres grillées par lesoleil, sous haute protection des esprits des ancêtres et livrées au pillage consenti de ses ressources naturelles. Une approche dans l’humour, par moments grinçant, quifait mouche à nos préjugés, nos peurs et nos regards en coin sur ces étrangers volontiers baptisés « la misère du monde ». « Un fou noir au pays des Blancs »1,un spectacle en tournée en Communauté française et coproduit par la Ligue des droits de l’homme et le Théâtre de Poche2.
Qu’est-ce que cela te fait qu’on t’appelle la « misère du monde » ? « Moi, je vois la misère du monde ici », glisse l’air de rien le conteur. Pie Tshibanda retraceles causes lointaines de l’exil au travers de l’histoire de l’Afrique et de ses multiples colonisations. L’arrivée de l’Union minière au Katanga sera unélément moteur de développement et de souffrance dans cette partie du Congo, à l’époque, dont le sous-sol regorge de minerais. Les Européens manquentde main-d’œuvre, qu’ils iront chercher au Kasaï (au centre du Congo) et dans les pays voisins. En moins de 50 ans, la descendance des familles immigrées du Kasaïaccède aux professions les plus prestigieuses du Katanga. La jalousie et la haine conduisent, en 1995, à une épuration ethnique des Zaïrois originaires du Kasaï. PieTshibanda, intellectuel et écrivain de renom dénonce les massacres. Pour sauver sa peau, il part seul, laisse sa femme et ses six enfants au pays.
« Chéri, y a un Noir qui veut te parler ! »
Arrivée glaciale et glacée à Zaventem, par -7c. Refoulé pour la première fois, Pie se regarde. « Avant, je pensais que j’étais un homme, tout court.J’ai su que j’avais une couleur dans votre regard. » La procédure de demande d’asile est un calvaire. Cinq ans sans voir femme et enfants, une éternité. EnAfrique, un papa absent, c’est comme un arbre dont on a coupé la racine. Pas de bénéfice de présomption d’innocence : « Ils m’auraient cru, sij’avais eu la gorge à moitié tranchée. » Pie Tshibanda remue ciel et terre et obtient ses papiers en neuf mois. Il bénéficie du support du Service d’aideaux personnes déplacées de Braine-le-Comte et, avec le temps, des habitants de son village, Tangissart, près de Court-St-Etienne. Grâce à l’intervention de laLigue des Droits de l’Homme, la famille de Pie obtient un visa humanitaire valable trois mois. C’était la panique dans le village à l’annonce de l’arrivéede la famille. « Quand l’Européen décide d’aider il peut devenir encombrant, tout le monde voulait venir à l’aéroport ! », se souvient Pie Tshibanda.
« Au moment où je vous parle, il y a des gens qui dépriment dans leur appartement. Ils ont peur de voir arriver le facteur. »
Pie Tshibanda s’adresse aux intervenants sociaux amenés à travailler avec des personnes étrangères et aux citoyens que nous sommes. Parlons de nos perceptions dumonde ; réfléchissons aux modèles culturels que nous proposons, voire imposons ; prêtons attention aux paroles qui mettent en doute l’identité de l’autre(vous êtes psychologue d’ici ou de là-bas ?) et interrogeons-nous sur les critères d’identité réciproques; préparons-nous à recevoir del’agressivité de personnes qui se sentent abandonnées et qui vivent des frustrations ; dans nos interventions, tenons compte des données culturelles (comme le respect de lahiérarchisation des forces vitales) qui permettent de comprendre et de dénouer parfois des situations difficiles.
Pie Tshibanda est aujourd’hui coordinateur de l’école des devoirs de Court-St-Etienne. Comme psychologue, il reçoit des demandes individuelles du Service d’Aideà la Jeunesse de Liège. Il intervient dans la formation d’assistants sociaux sur l’identité des femmes africaines et européennes et prépare un modulepour la police de Bruxelles sur la question de la délinquance de jeunes africains. En 2000, Pie Tshibanda a créé l’asbl « Rayon de soleil »3, une association qui favorise lesrelations Nord-Sud, soutient de petits projets de développement en Afrique, recherche des parrains pour des élèves africains démunis et répond à des appelsau secours.
1 Tshibanda, P., « Un fou noir au pays des Blancs », Bernard Gilson Ed., 1999.
2 Contacts pour la tournée au Théâtre de Poche, tél.: 02 647 27 26.
3 Rayon de Soleil asbl, rue de Villers 31 à 1490 Court-St-Etienne, président : Pie Tshibanda.
Archives
""Un fou noir au pays des blancs", étranger en terre étrangère"
Nathalie Cobbaut
28-01-2002
Alter Échos n° 112
Nathalie Cobbaut
Rédactrice en chef Échos du crédit et de l'endettement
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