Souvent décrié par les opérateurs de terrain, le plan d’activation des chômeurs est presque continuellement « sur le grill ». Mais existe-t-il unealternative crédible ?
Le moins que l’on puisse dire, c’est que le plan d’activation des chômeurs s’est pris une véritable volée de bois vert ces derniers mois. S’il est régulièrementcritiqué depuis sa mise en place en 2004, celui que l’on connaît aussi sous l’appellation de « plan d’accompagnement des chômeurs » a en effetrécemment subi les attaques successives de la fédération des CPAS1, de la Fédération bruxelloise des organismes d’insertion socioprofessionnelle(Febisp)2 ou encore du Collectif solidarité contre l’exclusion3. Des opérateurs qui, outre les griefs classiques (fragilisation des publics les plus affaiblis,exclusion, manque de preuves quant à l’efficacité du dispositif en ce qui concerne la mise à l’emploi) ont chacun soumis un carnet de doléances personnalisé auxdécideurs politiques. En mars, la fédération des CPAS dénonçait ainsi le poids que faisait peser le plan d’activation des chômeurs sur les CPAS wallons,contraints de prendre en charge de plus en plus de chômeurs sanctionnés par l’Onem. « En 2008, les CPAS de Wallonie ont pris en charge 2 637 bénéficiairesayant subi une sanction de l’Onem, soit une augmentation de 22 % par rapport à 2007 » déclarait il y a peu Ricardo Cherenti, conseiller à laFédération des CPAS. Un phénomène qui aurait eu pour effet d’entraîner un surcoût net à charge des CPAS estimé à plus de 18 millionsd’ euros.
Un mois plus tard, en avril, c’est au tour de la Febisp de faire feu : « La politique d’activation mise en œuvre à partir de 2004 […] est en contradiction avec ladémarche d’insertion socioprofessionnelle » tonne la Fédération dans une note publiée sur le sujet. Concrètement, la Febisp reproche au plan d’activationd’engorger les services d’accueil des organismes d’insertion socioprofessionnelle (OISP). Cependant, le problème ne se limiterait pas à ce seul phénomène :« D’autres opérateurs n’ont pas vraiment constaté d’augmentation du nombre de personnes se présentant à eux, mais ils ont constaté un autrephénomène inquiétant : à l’heure actuelle, les demandeurs d’emploi s’inscrivent dans un parcours d’insertion pour recevoir une attestation et plus pour se placer dans unprocessus d’insertion durable » affirme à ce sujet Pierre-Alain Gerbeaux, coordinateur ISP à la Febisp. Quant au Collectif solidarité contre l’exclusion, ildénonce, le 13 mars 2009, l’augmentation plus que sensible du nombre d’exclusions définitives par l’Onem en 2008 : + 76 % par rapport à 2007 selon la structure, quis’indigne.
Des solutions ?
Si les critiques fusent, un point étonne cependant. Parmi tous les détracteurs du plan, bien peu en sont à prôner la suppression pure et simple de celui-ci. Ainsi, ducôté de la Febisp, on propose d’empêcher le facilitateur de l’Onem d’agir en tant qu’agent d’accompagnement du demandeur d’emploi, comme cela semble arriverrégulièrement à l’heure actuelle. Cette situation entraîne en effet une confusion grandissante entre la fonction des opérateurs régionaux (Forem, Actiris etVDAB), dont le rôle est justement de faire de l’accompagnement et celui de l’Onem, dont la tâche devrait se limiter à la sanction du chômeur pas ou peu actif dans sarecherche d’emploi. « Nous pensons également qu’il serait bon de supprimer le contrat d’activation, passé entre le facilitateur de l’Onem et le demandeur d’emploi et den’avoir qu’un seul contrat, signé par un professionnel de l’accompagnement, ajoute Pierre-Alain Gerbeaux de la Febisp. Nous sommes aussi pour la mise en place d’une véritable politiqued’accompagnement et pas pour le maintien de la politique de contrôle telle qu’elle est menée aujourd’hui. Il faut également créer plus d’emplois qui soient dequalité. Mais nous ne plaidons pas pour un retour à la situation « pré-2004 ». Cela reste très utopique. Parmi nos membres, les gens sont assez réalistes, il nes’agit pas de revenir au pointage communal… »
Pour ce qui est du Collectif solidarité contre l’exclusion, on reste également assez « modeste » dans les revendications. « Nous demandonspremièrement que l’on ne sanctionne pas un demandeur d’emploi à qui l’on n’aurait pas proposé un emploi convenable déclare Yves Martens, animateur du Collectif.Deuxièmement, il faut aussi investir dans l’accompagnement. Il faut supprimer le transfert d’information des opérateurs de formation vers les organismes régionaux et l’Onem. Ilfaut enfin que la formation soit respectueuse du projet professionnel du demandeur d’emploi. » Quant à la Fédération des CPAS, elle dit ne pas avoir encore depropositions claires à formuler. « Nous allons bientôt mettre sur pied un groupe de travail dont le but sera de définir ce qu’est pour nous un plan d’accompagnementidéal », déclare Ricardo Cherenti.
« La dépendance au sentier »
Si cette remise en question somme toute très légère du plan peut étonner, elle n’est pas pour autant inexplicable. « Ce type de situation peut s’apparenterà ce qu’on appelle quelquefois la « dépendance au sentier », affirme Bernard Conter, chercheur politique emploi/formation à l’Institut wallon de l’évaluation, de laprospective et de la statistique (Iweps)4 et qui s’exprime, à ce sujet, à titre personnel. Il est en effet quelques fois compliqué d’inventer quelque chose de nouveau,de trouver une alternative. Je rappelle à ce sujet que la ministre fédérale de l’Emploi actuelle, Joëlle Milquet (CDH), était dans l’opposition lorsque le ministre del’époque, Frank Vandenbroucke (SP.A), fit adopter le projet de plan d’accompagnement des chômeurs en 2004… »
Une posture politique de suivi qui peut se révéler également intéressante dans le sens où elle dédouanerait quelque peu le monde politique de sesresponsabilités. « La politique à l’égard des demandeurs d’emploi a radicalement changé après 2004, explique ainsi Jean Faniel, chercheur au Centre derecherche et d’information sociopolitiques (Crisp)5. D’une logique d’aide, on est passé à une politique où ces mêmes demandeurs d’emploi doivent trouver dutravail eux-mêmes, où ils doivent se former. Un système qui, d’une certaine manière, exonère les pouvoirs publics et les employeurs d’une de leurs principalesmissions : créer de l’emploi. »
Est-ce à dire que des remises en question du plan d’accompagnement sont impossibles à l’heure actuelle ? Bernard Conter de l’Iweps nuance, tout en ouvrant le débat :« Je
ne vois personnellement pas quel rapport de force pourrait véritablement changer la donne à l’heure actuelle. Mais on pourrait imaginer des pistes de réflexion.Ainsi, une solution radicale pourrait consister à repenser complètement le système, à faire fi du plan, et à entrer dans une optique sociale-démocrate depolitique keynésienne, faite de réduction de temps de travail, etc. Une deuxième optique serait de procéder à des aménagements dont le concept tourneraitautour de la notion de qualité. Souvenons-nous que lorsqu’elle présidait l’Union européenne, en 2001, la Belgique avait insisté, dans le cadre de la stratégie pourl’emploi, pour que la notion d’emploi de qualité soit inscrite dans les textes. Une série d’indicateurs avait alors été mise en place mais elle n’a presque plusété réévaluée depuis. Les indicateurs sont aujourd’hui perdus dans l’ensemble des « indicateurs emploi ». Il faut croire que le concept est passé de mode maisje pense qu’il serait peut-être intéressant de réactiver cette notion de qualité et de la confronter à la manière dont est mené l’accompagnement.Celui-ci mène-t-il à des emplois de qualité ? Que veut dire « activer » ? De combien de temps les conseillers emploi disposent-ils pour traiter un dossier ? Quelle est la place del’individu là-dedans ? Si l’on évalue le plan d’accompagnement des chômeurs, il faut prendre cela en compte. »
Une optique qui pourrait avoir des conséquences sur le comportement des demandeurs d’emploi. En effet, selon Bernard Conter, on serait passé depuis quelques années d’uneoptique d’insertion socioprofessionnelle à une logique de Work first consistant à travailler d’abord et à affiner le projet professionnel par après.« Or, ajoute-t-il, si l’on entre dans une logique de qualité de l’accompagnement, la question des conditions légitimes motivant le refus d’un emploi par un chômeurserait alors posée. Est-ce qu’un demandeur d’emploi peut, par exemple, refuser un poste d’intérimaire en arguant qu’il est plutôt à la recherche d’un emploi stable? »
L’impact de la crise
Un autre paramètre pourrait également influencer le devenir proche du plan d’activation des chômeurs : la crise. « Une position semble apparaître depuis peu,notamment dans le chef de la FGTB, et qui tend à vouloir « profiter » de la crise pour bloquer le plan en le retirant ou en le vidant de sa substance, déclare Jean Faniel du Crisp. Eneffet, le plan n’a de sens que s’il y a des offres d’emploi disponibles sur le marché. Or, vu le contexte actuel de crise économique, les organismes régionaux ne sont plus enmesure de faire quoi que ce soit pour placer les gens au chômage… » Et en effet, du côté de la FGTB wallonne, on tient un discours qui semble confirmer dans les grandeslignes les propos de Jean Faniel. « Nous sommes actuellement en crise, est-ce que cela a encore un sens d’appliquer ce dispositif alors qu’un grand nombre de personnes sont en train deperdre leur emploi et qu’il serait peut-être mieux de déployer toute l’énergie mise à sanctionner à aider les victimes de la conjoncture actuelle ? »,déclare Thierry Bodson, secrétaire général de la FGTB wallonne6. Avant d’ajouter : « Nous ne disons pas qu’on ne peut pas sanctionner quelqu’un qui arefusé un emploi valable. Mais pour ce qui est du rôle de l’Onem, qui est d’obliger les gens à prouver qu’ils cherchent du boulot, c’est non. Est-ce que la crise va nous pousserencore un peu plus à nous opposer au plan ? Oui, d’autant plus que les gens se présentant dorénavant dans les organismes régionaux appartiendront à deux types depublic différents. Les chômeurs longue durée et les victimes de la crise. Deux profils différents qui nécessiteront deux approchesdifférentes… »
Du côté de la CSC, si la position se fait un peu moins tranchée, la substance reste la même. « Lors du dernier Comité de Gestion de l’Onem, nous avonsdemandé une adaptation du plan d’accompagnement des chômeurs en regard de la situation de crise actuelle, nous dit Marie-Hélène Ska7, secrétaire nationalede la CSC. Nous ne sommes pas opposés au plan d’activation, mais pas sous sa forme actuelle. » Quant à savoir si la demande a été bien reçue :« Tout le monde cherche une manière de procéder sans renoncer au plan auquel certains sont assez attachés. Dont le patronat. »
Néanmoins, si l’on en croit Jean Faniel, la crise pourrait également influencer la position de certains politiciens au nord du pays. « Historiquement, l’idée ducontrôle des chômeurs vient de Flandre. Même les libéraux francophones sont restés discrets concernant ce dispositif, tout simplement parce qu’ils savent trèsbien que la situation est intenable en Wallonie et à Bruxelles, où le taux de chômage est très élevé. Or, avec la crise, la Flandre redécouvrelargement le chômage de masse alors que si vous regardez les chiffres, le « côté francophone » ne sent pas encore vraiment passer le boulet. Politiquement et syndicalement, celapourrait avoir une influence. Ainsi, au niveau politique, la position d’un Frank Vandenbroucke face à l’activation pourrait finir par passer pour de l’autisme. De même, ducôté des syndicats, si l’on considère par exemple les métallos, ceux-ci étaient très divisés, entre le nord et le sud du pays, face au plan. L’aileflamande y était plutôt favorable. Dans le futur, ce genre de clivage va s’atténuer… » Lisez : le train de l’activation est actuellement lancé et dans quinzemois, quand les premières sanctions tomberont du côté flamand, certains au sud du pays pourraient commencer à ricaner…
Pour une politique non corporatiste
On le voit, la situation pourrait évoluer dans les semaines ou les mois qui viennent. Un constat qui pousse Bernard Conter à procéder à quelques mises en gardeconcernant un éventuel mouvement face au plan d’activation. « Je pense qu’il faut surtout éviter les réflexes corporatistes. Un « mouvement » qui regrouperait les seulsdemandeurs d’emploi aurait peu de chances de passer. Le contexte de crise que nous connaissons à l’heure actuelle n’incite en effet pas vraiment à la solidarité. Il y a des gensqui se lèvent tous les matins pour de tout petits salaires… Victimiser les chômeurs ne me paraît donc pas une bonne idée. Il faudrait plutôt avancer un projetassociant travailleurs et demandeurs d’emploi. En cela, la notion de « qualité de l’emploi » me paraît assez universelle… »
1. Fédération des CPAS, Union des Villes et Communes de Wallonie (UVCW) :
– adresse : rue de l’Étoile, 14 à 5000 Namur
– tél. : 081 24 06 11
– courriel : commune@uvcw.be
– site : www.uvcw.be
2. Febisp, Fédération bruxelloise des organismes d’insertion socioprofessionnelle et d’économie sociale d’insertion :
– adresse : Cantersteen, Galerie Ravenstein, 3 bte 4 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 537 72 04
– courriel : secretariat@febisp.be
– site : www.febisp.be
3. Collectif solidarité contre l’exclusion :
– adresse : place Loix, 7 bte 27 à 1060 Bruxelles
– tél. : 02 535 93 50 – courriel : info@asbl-csce.be
– site : www.asbl.csce.be
4. Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique (Iweps) :
– adresse : rue du Fort de Suarlée, 1 à 5001 Belgrade (Namur)
– tél. : 081 46 84 11
– courriel : info@iweps.be
– site : www.statistiques.wallonie.be
5. Centre de recherche et d’information socio-politiques (Crisp) :
– adresse : place Quételet, 1A à 1210 Bruxelles
– tél. : 02 211 01 80
– site : www.crisp.be
6. FGTB :
– adresse : rue Haute, 26-28 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 549 05 49
– site : www.accg.be
7. CSC :
– adresse : ch. de Haecht, 579 à 1030 Bruxelles
– tél. : 02 246 31 11
– site : www.csc-en-ligne.be