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Emploi/formation

Un nouveau décret pour les entreprises d’insertion wallonnes

L’objectif du texte est double: accueillir quelques compétences en provenance du fédéral et favoriser le développement du secteur. Mais a-t-il tenu compte de certaines remarques effectuées par la Cour des comptes ?

04-06-2015 Alter Échos n° 403
Petit problème de chiffres ? Taux d'insertion des personnes passées par une EI selon la Cours des comptes : 27,1%. Du côté du cabinet Marcourt, la dernière évaluation de 2007 aurait affiché 80% de taux d'insertion. © Louis Theillier

L’objectif du texte est double: accueillir quelques compétences en provenance du fédéral et favoriser le développement du secteur. Mais a-t-il tenu compte de certaines remarques effectuées par la Cour des comptes?

L’occasion fait le larron. Tant qu’à acter la régionalisation de programmes fédéraux d’économie sociale, pourquoi ne pas aussi réformer l’un ou l’autre décret régional? C’est ce qu’a dû se dire Jean-Claude Marcourt (PS), ministre wallon de l’Économie sociale, en se penchant sur le dossier des entreprises d’insertion (EI). On l’oublie parfois, mais les EI pouvaient jusqu’ici disposer de deux agréments. L’un était fédéral, l’autre régional. L’agrément fédéral permettait à des projets portés par des CPAS, des asbl ou encore des sociétés commerciales à finalité sociale (SFS) d’avoir accès à la mesure Sine (réductions ONSS, déduction d’une allocation de travail, aux articles 60). Le régional wallon, quant à lui, ne s’adressait qu’aux seules SFS. Et leur proposait une aide à l’encadrement – via le financement d’accompagnateurs sociaux – et une aide financière par travailleur afin de compenser le manque de productivité de celui-ci.

Depuis, la sixième réforme de l’État est passée par là, régionalisant les programmes fédéraux d’économie sociale. En gros, tout ce qui était prévu par le fédéral pour les EI passe donc aux Régions. Du côté wallon, on a donc décidé de modifier le décret relatif aux entreprises d’insertion pour y intégrer ce qui était prévu au niveau fédéral. Il n’y aura donc plus qu’un seul texte, totalement wallon. Mais dans les faits, cela ne changera finalement pas grand-chose. «On aura un texte à deux niveaux, explique Dimitri Coutiez, conseiller en économie sociale au cabinet Marcourt. Le premier reprendra tel quel ce qui était prévu au niveau fédéral. Et le deuxième niveau du décret concernera ce qui existait déjà, pour les EI, au niveau régional.»

Mais l’occasion fait le larron, disions-nous. Et le cabinet y a vu une opportunité pour introduire quelques autres modifications au décret. «Il imposait des charges administratives telles que cela freinait l’émergence de plus petits projets», continue Dimitri Coutiez. Pour les EI, celles-ci étaient censées remettre de nombreux justificatifs à l’administration au point «qu’il fallait qu’elles aient les épaules solides d’un point de vue administratif». Pour l’administration, près de 30 critères à respecter par les EI étaient à contrôler, dont certains «pas toujours vérifiables». Dorénavant, on fera plus simple: moins de critères – on passera à une quinzaine –, des critères vérifiables par l’administration, des justificatifs simplifiés pour les EI et une administration qui ne sollicitera auprès d’elles que des informations «qu’elle ne peut pas obtenir ailleurs».

Des subventions illégales?

«La volonté du précédent décret était d’éviter toute possibilité de fraude et on demandait un peu tout et n’importe quoi. Rendre les choses plus «légères» ne facilitera pas la fraude, mais donnera plus de possibilités à l’administration de gérer le système à distance.» Denis Morrier, président d’Atout EI

Du côté d’Atout EI, la fédération wallonne des entreprises d’insertion, l’information est accueillie, on s’en doutait, avec bienveillance. «La volonté du précédent décret était d’éviter toute possibilité de fraude et on demandait un peu tout et n’importe quoi, déplore Denis Morrier, président d’Atout EI. Rendre les choses plus ‘légères’ ne facilitera pas la fraude, mais donnera plus de possibilités à l’administration de gérer le système à distance.» Si le président d’Atout EI tient à effectuer cette précision, c’est notamment parce qu’un rapport de la Cour des comptes daté de janvier 2015 avait occasionné quelques remous dans le secteur. Il faut dire que le document n’était pas toujours très tendre avec les entreprises d’insertion et la Commission consultative et d’agrément des entreprises d’économie sociale. Selon le document, 20,25% des décisions d’octroi d’agrément prises entre 2010 et 2012 concernaient des EI qui, d’après l’analyse de l’administration, ne respectaient pas l’ensemble des critères d’agrément. Précisons qu’une partie des problèmes constatés à ce niveau concernait le non-respect d’un critère relatif à la taille de l’entreprise. Pour être agréée, celle-ci devait respecter la définition de la petite entreprise. Celle-ci stipulait notamment que la taille de l’EI devait être limitée à moins de 50 équivalents temps pleins. Elle devait également avoir soit un chiffre d’affaires annuel soit un total du bilan annuel n’excédant pas 10 millions d’euros. Or, d’après la Cour des comptes, ce critère de petite entreprise n’aurait pas été respecté dans 40 avis sur 237 entre 2010 et 2012… Depuis, ce critère de taille de l’entreprise a été fortement élargi dans un nouveau décret «EI» du 19 décembre 2012. Il devrait l’être encore plus dans le texte à venir puisque celui-ci devrait être ouvert aux grandes entreprises – plus de 250 équivalents temps pleins. Ce type de problème ne se produira donc plus. Ce qui n’empêche pas le cabinet Marcourt de se positionner sur la question. «À aucun moment, la Région wallonne n’a été en infraction à ce niveau», précise Dimitri Coutiez.

Notons que, dans son analyse, la Cour des comptes indiquait également qu’elle observait «la mise en place d’une jurisprudence fluctuante liée à l’importance relative que la commission, l’administration ou l’inspection sociale accordent à un critère. Pour un même critère d’agrément, l’examen des dossiers met en évidence des discordances entre les avis de la commission et ceux de l’administration et/ou de l’inspection». Cette remarque a-t-elle poussé le cabinet à mettre en place une hiérarchisation des critères dans le nouveau texte? «Non, mais nous avons diminué le nombre de critères. Et ceux-ci seront opposables et objectivables», souligne Dimitri Coutiez.

Une évaluation en 2017?

Le rapport de la Cour des comptes épinglait aussi un autre phénomène. Les aides octroyées aux EI agréées pour l’engagement d’un travailleur, cumulées avec toutes les autres formes d’aide ou de réduction de charges en vigueur, ne peuvent jamais dépasser le montant du coût salarial brut de ce travailleur ni des charges y afférentes. Dans son rapport, la Cour estime pourtant que certaines EI actives aussi dans les titres-services réalisent des marges bénéficiaires sur le coût salarial brut allant de 7 à 53% en prenant en compte toutes les charges d’exploitation. Ce qui fait réagir le cabinet Marcourt et Atout EI, qui dénoncent un rapport «comptable». «La mesure titres-services n’est pas une aide à l’emploi», argumente Atout EI dans un communiqué de presse. La comptabiliser dans les aides octroyées aux EI pour engager un travailleur serait donc incorrect. Pour le cabinet Marcourt, le rapport ne tient de plus pas compte des – bonnes – conditions de travail offertes par les EI, des formations proposées aux travailleurs. «Tout cela a un coût», explique Dimitri Coutiez.

Enfin, la Cour des comptes pointait aussi du doigt les résultats des EI en termes d’insertion. «(…) Les dispositions relatives aux EI ne définissent ni objectifs précis ni indicateurs de mesure du niveau d’insertion socioprofessionnelle attendu pour les demandeurs d’emploi concernés. La Cour des comptes a recommandé aux autorités régionales de fixer les objectifs de cette politique», a-t-elle d’ailleurs précisé dans un communiqué de presse. Avant d’asséner un chiffre, après de savants calculs: le taux d’insertio
n des personnes passées par une EI n’atteindrait que 27,1%. Du côté du cabinet de Jean-Claude Marcourt, on dit «s’interroger par rapport aux chiffres de la Cour des comptes. La dernière évaluation en date, de 2007, donnait 80% de taux d’insertion». Le nouveau décret ne contiendra pas d’objectifs en termes d’insertion. Mais le cabinet n’exclut pas d’effectuer une évaluation d’ici à 2017. Avant ça, il faudra faire aboutir le nouveau texte. Celui-ci est passé en première lecture devant le gouvernement le 7 mai dernier. Avant son adoption probable en 2016.

Julien Winkel

Julien Winkel

Journaliste

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