Le plan de cohésion sociale wallon vit ses derniers mois. Un nouveau plan doit lui succéder en 2019 mais il ne s’agit pas d’un copié-collé du précédent. Pour Dominique-Paule Decoster, chargée de cours à l’Université de Mons et spécialiste du développement local, c’est la conception même de la cohésion sociale qui est transformée.
Alter Échos: En mai 2017, le parlement wallon a adopté un nouveau décret sur la politique de cohésion sociale. En quoi diffère-t-il du précédent?
Dominique Paule Decoster: D’abord, il faut souligner que le décret précédent est toujours d’application jusqu’au 31 décembre 2018, ce qui correspond à la fin de la législature communale. Le plan actuel s’ancre dans un processus de développement local des communes et dans une politique d’animation des quartiers. Ce processus ne sera plus développé avec le nouveau décret. Celui-ci cible et finance les actions des communes comptant un public précaire, qui luttent contre la pauvreté plutôt que d’encourager les actions collectives de convivialité.
AÉ: C’est donc davantage un plan de lutte contre la pauvreté qu’un plan de cohésion sociale?
DPD: C’est exactement cela. Le plan va devenir le bras de la politique régionale de lutte contre la pauvreté. Il s’adresse à des publics bien précis comme les familles monoparentales, les personnes âgées isolées mais plus au citoyen lambda. Pour moi, il s’éloigne de la notion de cohésion sociale. On est davantage dans de l’action individuelle, presque «thérapeutique» que dans l’action collective.
«Le décret de 2017 restreint l’ouverture aux communes qui sont déjà engagées dans une politique d’inclusion sociale.»
AÉ: Vous voulez dire que l’action des communes sera ciblée sur les personnes précarisées mais que celles-ci seront moins actrices, moins impliquées?
DPD: On part en tout cas de l’idée que ce n’est pas par l’action collective et citoyenne que la personne précarisée va s’en sortir. C’est la plus grosse différence avec le décret de 2008. Cela pose aussi toute la question de la place des CPAS. Le décret de 2017 cible les publics fragilisés, qui très souvent dépendent du CPAS. On aurait donc pu envisager que les CPAS soient désignés pour assumer la direction du plan de cohésion sociale de leur territoire mais les villes garderont la main sur cet outil.
AÉ: Pourquoi, selon vous, le CPAS n’est-il pas au poste de pilotage?
DPD: Il y a une sorte de schizophrénie. Si on a un plan de cohésion sociale qui joue vraiment son rôle, cela suppose que tous les citoyens d’un territoire participent et mènent des actions ensemble, et on comprend alors que ce soit la commune qui soit aux commandes. Mais, s’il s’agit de lutter contre la pauvreté, alors c’est le CPAS qui devrait être l’acteur désigné.
AÉ: Toutes les communes ne pourront pas accéder au nouveau plan de cohésion sociale. Pour quelles raisons?
DPD: Le décret de 2017 restreint l’ouverture aux communes qui sont déjà engagées dans une politique d’inclusion sociale et notamment celles qui ont développé une politique de logements sociaux sur leur territoire. C’est très différent de la Flandre, où le plan de cohésion sociale est obligatoire et fait en quelque sorte «entonnoir» avec toutes les politiques de lutte contre la pauvreté. Cela dit, il faut rappeler que les arrêtés d’exécution du décret 2017 ne sont toujours pas sortis et qu’entre-temps, on a changé de gouvernement. Le nouveau plan pourrait prendre une tournure différente de celle envisagée par la coalition précédente…
AÉ: Dans quel sens?
DPD: Le gouvernement actuel pourrait même abroger le décret, pourquoi pas? Ou en tout cas le modifier car, pour l’instant, les communes libérales qui sont souvent plus riches, sont exclues car n’entrant pas dans les critères du nouveau décret. Personnellement, j’habite dans une commune de la banlieue dite «verte» de Charleroi. Il existe aujourd’hui un plan de cohésion sociale mais, dans l’avenir, la commune sera exclue car considérée comme trop favorisée. Pourtant être pauvre dans une commune riche est très difficile.
«On ne fait pas confiance à l’usager, alors que, dans un plan de développement local, tout repose sur la confiance dans les individus comme dans les institutions.»
AÉ: Lors des débats sur le nouveau plan cohésion sociale, l’opposition avait souligné que les communes rurales wallonnes seraient les grandes perdantes. Vous confirmez?
DPD: Tout à fait. Il y a pourtant peu de services publics dans les communes rurales, peu d’accès aux transports publics, aux infrastructures de santé et moins d’associations, de mouvements citoyens actifs. Les critères retenus pour la lutte contre la pauvreté sont essentiellement urbains. Que ce soit au niveau européen comme régional, l’essentiel des subventions couvre la dorsale Meuse-Vesdre-Sambre, soit l’ancien sillon industriel, et il est vrai que c’est là aussi que se concentrent de grandes poches de pauvreté. Mais il ne faut pas oublier les communes rurales.
AÉ: Vous avez étudié de près le cas de La Louvière, qui a développé un plan de cohésion sociale en favorisant l’animation de quartier. Ce ne sera plus possible avec le nouveau décret?
DPD: Non, elle ne pourra plus reconduire sa politique de rénovation urbaine ni tout ce qu’elle faisait sur le plan culturel, comme le spectacle «Décrochez la lune» avec la fondation Dragone. Dans certaines communes, le plan de cohésion sociale avait mis en route des jardins collectifs. Ce ne sera plus possible non plus.
AÉ: Est-ce un retour en arrière par rapport à l’idée que les personnes précarisées doivent aussi être les acteurs de leur vie? La participation culturelle fait partie des droits sociaux fondamentaux.
DPD: Le gouvernement court à l’urgence. La pauvreté augmente. On définit donc des priorités.
«Il faut pouvoir redonner du sens aux actions qui sont menées. Si on les programme dans un objectif de développement humain, je vous l’assure, la cohésion sociale entre les habitants s’instaure ou se réinstaure.»
AÉ: Il était possible de faire les deux. Un plan de cohésion sociale et un plan de lutte contre la pauvreté.
DPD: Oui, et c’est que ce j’espère encore voir se mettre en place car les sommes en jeu ne sont pas si importantes. Les plans de cohésion sociale doivent servir au développement local, mais aussi à redonner aux citoyens une confiance en eux-mêmes, confiance dans la société et dans les institutions. Par les projets de développement local, on permet d’identifier les «invisibles» d’un territoire, les jeunes, les mères isolées. C’est important de les retrouver, de leur donner la parole. Ce qui est central finalement, c’est le concept de dignité humaine, d’être citoyen à part entière et la puissance publique doit y contribuer. Or que voyons-nous? Une complexification des procédures pour obtenir accès aux droits. Les gens doivent sans cesse fournir des preuves, se justifier. On ne fait pas confiance à l’usager, alors que, dans un plan de développement local, tout repose sur la confiance dans les individus comme dans les institutions.
AÉ: Votre recherche de prédilection, c’est le développement local durable. Quel est son atout en matière de cohésion sociale?
DPD: C’est une approche holistique qui touche l’économique, le social, l’environnemental. Il faut commencer par faire le diagnostic d’un territoire, les atouts, les manques. La partie «diagnostic» est participative. Les habitants ont une expertise «d’usage» qui n’est pas nécessairement celle des autorités ou des experts. Si la commune conçoit un nouveau lotissement, il faut faire en sorte qu’une école communale s’y trouve aussi pour que l’espace soit partagé. Avec des collègues de l’Université de Mons, nous avons fait des propositions pour créer des jardins, des potagers collectifs à proximité des écoles. On peut cultiver la terre mais aussi observer, faire de la chimie, mesurer, rédiger des textes. Le fait que ce jardin soit visible permet aussi de faire de l’école un lieu de rencontre. Il faut pouvoir redonner du sens aux actions qui sont menées. Si on les programme dans un objectif de développement humain, je vous l’assure, la cohésion sociale entre les habitants s’instaure ou se réinstaure.
«‘La cohésion sociale se décline dans toutes nos politiques’, Rudi Vervoort», Alter Échos n°406, 8 juillet 2015, Cédric Vallet.
«Prévot: ‘La vie associative est le poumon de la cohésion sociale’», Alter Échos n°400, 7 avril 2015, Martine Vandemeulebroucke.