Pendant des mois, les Berlinois ont battu le pavé par milliers contre la hausse des loyers dans leur ville et contre les grandes sociétés immobilières privées (relire «Face à la spéculation immobilière, Berlin reprend la main», Alter Échos n° 476). Galvanisée, la mobilisation a pris la tournure d’une véritable campagne politique: affiches, tracts, bus et militants vêtus de gilets aux couleurs jaune et mauve ont essaimé dans les rues de la capitale allemande jusqu’à venir à bout, au printemps dernier, des 175.000 signatures nécessaires (le double a été obtenu) pour l’organisation d’un référendum.
Climax atteint le 26 septembre dernier, en marge des élections législatives: un scrutin populaire appelle les Berlinois à s’exprimer pour ou contre la «communalisation» (sorte de nationalisation à l’échelle municipale) des grands groupes immobiliers détenant plus de 3.000 logements. Dans le viseur: douze compagnies immobilières qui détiennent à elles seules 240.000 logements à Berlin. Sur un total de 1,5 million d’appartements locatifs, 16 % sont donc détenus par de grandes sociétés foncières.
Malgré ces chiffres préoccupants et l’ampleur de la mobilisation citoyenne, peu de monde y croyait. C’est pourtant le «oui» qui l’a emporté. Sur un total de 1,8 million de votants, près de six Berlinois sur dix se sont exprimés en faveur de la gestion publique d’une partie du parc immobilier privé.
Et après? D’un côté, la liesse dans les rues. De l’autre, la nuance. Car le résultat du vote ne sera pas contraignant pour le Sénat de Berlin (l’organe exécutif local) et le coût de la mesure – quelque 30 milliards estimés pour une indemnisation aux prix du marché – risque de ne pas jouer en sa faveur.
Sur un total de 1,8 million de votants, près de six Berlinois sur dix se sont exprimés en faveur de la gestion publique d’une partie du parc immobilier privé.
Alors beaucoup de bruit pour rien? Peut-être. Mais il y a toutefois lieu d’être positif, voire optimiste. On peut d’abord se réjouir de ce que la ténacité d’une mobilisation citoyenne ait permis l’organisation d’un référendum, l’ampleur du vote en termes d’électeurs et le succès du «oui». Un rappel que le collectif peut faire bouger les lignes, voire influencer les rapports de force en politique.
Ensuite, cet épisode a permis de braquer les projecteurs sur un phénomène (la hausse des prix de l’immobilier) si pas tabou, souvent perçu comme inéluctable. Ces dix dernières années, l’attrait pour Berlin des grands groupes immobiliers, mais aussi l’augmentation de la demande en logements (+ 350.000 nouveaux habitants) a fait doubler les prix des loyers dans la capitale allemande (où huit personnes sur dix sont locataires).
La cocotte était sur le feu, elle s’est enfin mise à siffler. Face à ce cri d’alerte citoyenne, on imagine désormais mal la municipalité ne pas se saisir politiquement du dossier.
Et si les solutions «radicales» d’expropriation et de nationalisation effraient une bonne partie de la classe politique, elles s’appuient pourtant sur le droit, se défendent les promoteurs de la consultation populaire qui invoquent l’article 15 de la Constitution allemande, proclamant qu’en raison du bien commun ou d’un intérêt public majeur, «le sol et les terres, les ressources naturelles et les moyens de production peuvent être placés, aux fins de socialisation, sous un régime de propriété collective ou d’autres formes de gestion collective».
Une lecture qui pourrait trouver écho dans de nombreuses métropoles européennes – Londres et Paris en tête, mais aussi Bruxelles, où le loyer moyen a augmenté de 20% ces quinze dernières années. Berlin nous apprendra peut-être qu’il n’y a pas de fatalité.
En savoir plus
«Logement: le privé a la clef, les pauvres à la porte» (dossier), Alter Échos n° 469, décembre 2018.