À peine le rapport d’activités 2004 de Fedasil était-il mis sous presse qu’un protocole d’accord entre l’Agence fédérale pour l’accueil des demandeurs d’asile etl’Office des Étrangers faisait l’objet de vives critiques de la part d’une série d’associations1. En cause : l’encadrement que Fedasil offrirait aux arrestationseffectuées dans ses centres en vue d’un éloignement (selon le nouvel euphémisme administratif pour « expulsion »). C’est ainsi que, depuis début juillet– soit un mois déjà avant la mise en oeuvre du protocole contesté –, 56 résidants de centres d’accueil ont été arrêtés et 39expulsés.
Que dit le protocole ?
Le protocole enjoint les directeurs de centres d’accueil de fournir à l’Office des Étrangers des listes reprenant les données des résidants accueillis dans leur centre(nom, prénom, numéro de dossier à l’Office, nationalité, ainsi que « tout autre renseignement pertinent en vue de l’éventuel éloignement ») – unensemble d’informations, théoriquement déjà en possession de l’Office puisque toutes ces données doivent être communiquées par les centres aux communes. Parailleurs, Joan Ramakers, directeur adjoint de l’Accueil chez Fedasil2, précise que les listes transmises ne font pas état du caractère « éloignable» ou non des personnes concernées. On le sait, sont considérés comme « éloignables » les demandeurs d’asile déboutés ayant reçu unordre de quitter le territoire (OQT) et ce, même s’ils ont introduit un recours au Conseil d’État. Le recours n’est donc pas suspensif, alors même que suite à unejurisprudence de la Cour d’arbitrage, le demandeur débouté a droit à l’aide matérielle et donc à l’hébergement dans un centre d’accueil. Résultat :une situation que Christian Dupont3, (ministre de l’intégration sociale – PS) qualifie de « pas tenable à long terme ».
Les griefs des associations
C’est d’ailleurs là le premier (et ancien) grief des associations, qui, indépendamment de la problématique du protocole, déplorent l’absence de droit au recourseffectif.
Au-delà de cette critique « généraliste », elles s’insurgent aussi face à la confusion des rôles que créerait le nouveau protocole d’accord endéplorant qu’in fine, ce seront les travailleurs sociaux des centres qui devront gérer les conséquences des arrestations, alors même qu’ils ne sont pasofficiellement invités à participer aux arrestations. Autrement dit « le climat de confiance devant prévaloir dans la relation entre les travailleurs sociaux des centres etles résidants s’en trouve profondément sapé. »
Enfin, sur un plan plus juridique, la Ligue des droits de l’homme, refuse que la police puisse pénétrer librement dans les chambres d’accueil en semant la panique parmi lesoccupants, contrevenant ainsi au principe fondamental d’inviolabilité du domicile.
C’est pour toutes ces raisons que demandeurs d’asile et associations organisaient ce vendredi 26 août une manifestation, au cours de laquelle près de 400 personnes ontréclamé, entre autres, la suspension des arrestations dans les centres – ce qui a été obtenu.
Une collaboration forcée
Pour justifier l’attitude de Fedasil, le cabinet Dupont rappelle que l’Office des Étrangers avait décidé unilatéralement, au début du mois de juillet, « dereprendre l’éloignement à partir des centres d’accueil. Confrontée à cette situation à laquelle elle ne peut légalement s’opposer, Fedasil a demandéqu’un protocole d’accord soit établi avec l’Office des étrangers, dans l’unique but d’encadrer ces pratiques et d’assurer la mission première de Fedasil : l’accueil etl’accompagnement des demandeurs d’asile ». Ainsi Joan Ramakers explique que le protocole empêche par exemple les arrestations en pleine nuit et permet à Fedasil de fournir àl’Office des renseignements susceptibles d’éviter l’arrestation et l’éloignement des personnes concernées (situation médicale, par exemple). Entré en vigueur le 3août, le protocole d’accord fait actuellement l’objet d’une suspension qui devrait permettre de l’évaluer.
Joan Ramakers pointe cependant la difficulté d’organiser des réunions avec tous les partenaires concernés : l’Office des Étrangers, Fedasil et l’ensemble des zones depolice concernées (pour lesquelles les arrestations dans les centres sont un travail déplaisant et administrativement lourd). « De toute façon, nous aurons uneréunion la semaine prochaine avec l’Office des Étrangers et je ferai part de mon mécontentement quant aux événements récents. »
Beaucoup d’inquiétude et un message flou
Sur le plan local, la vague d’arrestations a semé l’inquiétude dans les centres d’accueil. Une cinquantaine de personnes hébergées au centre pour réfugiésde Jumet ont par exemple trouvé refuge dans la basilique Saint-Christophe de Charleroi, où elles ont entamé une grève de la faim.
Un directeur de centre d’accueil (préférant rester anonyme) nous a indiqué ne pas avoir été prévenu par la police des arrestations à venir, alorsmême que cette obligation figure dans le protocole d’accord – dans le but d’atténuer un maximum l’effet que produit l’irruption de la police dans les centres: « 60 % desfamilles accueillies dans mon centre sont théoriquement éloignables; les opérations de ce genre créent donc évidemment du remous. Cependant, si le but étaitd’envoyer un signal de sévérité, le coup est manqué : une des familles arrêtées est revenue dire bonjour au centre une semaine après son arrestation.Elle avait été rapidement libérée et me paraissait en effet difficilement expulsable. »
Un cas qui n’est pas isolé puisque Joan Ramakers nous a déclaré avoir entendu parler de trois familles auxquelles pareille mésaventure serait arrivée. Parmielles, des Tchétchènes, alors même qu’il est bien connu qu’on ne rapatrie pas vers la Tchétchénie actuellement. Dans le même ordre d’idées, leCiré s’indigne de la tentative d’arrestation aux fins d’éloignement d’un jeune demandeur d’asile togolais, malgré le tout récent plaidoyer du HCR en faveur d’un moratoiresur les éloignements vers ce pays où « l’arsenal étatique – armées et milices – a violemment réprimé les opposants, sans faire dedistinction selon leur degré d’implication dans les activités ou le soutien à l’opposition ».
Bref, les critères choisis pour cibler les individus et familles à éloigner paraissent opaques à la plupart des acteurs. Contacté, l’Office des Étrangersn’a d’ailleurs pas souhaité répondre à cette question des critères mis en oeuvre pour sélectionner les « éloignables ».
Une solution législative ?
À plus long terme, c’est de la réforme de la procédure d’asile (Intérieur) et d’une nouvelle loi sur l’accueil (Intégration sociale) que pourrait venir uneclarification des rôles de chacun. En ce qui concerne la loi sur l’accueil, au cabinet Dupont, on déclare : « Cela fait dix ans qu’on attend cette loi : il est encore un peutôt pour donner une échéance précise. » Même si on indique par ailleurs y avoir beaucoup travaillé au cours de l’été. Cette loi, que leministre voudrait « garante d’un accueil de qualité, à la fois responsable et respectueux de la dignité humaine, pendant toute la durée de procédure »,doit encore faire l’objet d’arbitrages subtils entre les diverses forces de la majorité fédérale, symboliquement incarnées par l’Intérieur (Patrick Dewael, VLD) etl’Intégration sociale (Christian Dupont, PS).
Le rapport annuel de Fedasil : le vent froid de la realpolitik
Fin 2004, le réseau d’accueil pour demandeurs d’asile en Belgique comptait 15.637 places réparties dans les différents centres d’accueil ouverts (soit les 18 centresgérés directement par Fedasil et les 21 autres gérés par la Croix-Rouge) et les logements privatifs.
Au niveau des demandes d’asile proprement dites, la diminution entamée depuis l’année 2001 se confirme : 15.357 demandes ont ainsi été enregistrées en 2004,pour16.940 en 2003. Les chiffres placent, comme les deux années précédentes, la Belgique à la sixième place européenne en termes de demandes d’asileenregistrées.
La diminution paraît logique dans la mesure où le HCR (Haut-commissariat aux réfugiés) a constaté en 2004 une baisse de 20 % du nombre de réfugiésau niveau mondial (« facteur push »). Mais elle est également le résultat d’un travail sur le « facteur pull », commun à la plupart des paysouest-européens. Selon Fedasil, c’est surtout au nord (Danemark, Suède, Pays-Bas) qu’une politique d’accueil bienveillante a laissé la place à un modèle plusrestrictif : « Aujourd’hui en Europe, la charge semble se déplacer du nord au sud. La France est le pays qui a enregistré le plus de demandes d’asiles en 2004. Si les paysd’accueil traditionnels continuent à freiner les arrivées, ce sont les pays de transit – tels que l’Italie, l’Espagne mais aussi les nouveaux États membres à l’est del’Union – qui accueilleront une part croissante des demandeurs d’asile. »
Et Bob Pleysier, directeur général de Fedasil, de se demander « si le vent froid venu de la realpolitik du nord atteindra notre pays, et si oui, quand ». Une question quirésonne comme une prophétie dans les circonstances actuelles, mais aussi comme un simple constat au vu des chiffres récents : de 2000 à 2004, le nombre de demandeursd’asile enregistrés annuellement a baissé de 64 % en Belgique. Dans le reste de l’Europe des Quinze, cette baisse était de « seulement » 38 %.
Selon Fedasil, les défis auxquels il s’agira de répondre en 2005 restent la poursuite du développement du parcours d’accueil pour les plus jeunes, la construction duréseau d’accompagnement pour demandeurs d’asile qui rencontrent des problèmes psychiques, une offre plus flexible pour l’accueil organisé par les CPAS et une politique plusénergique en matière de retour volontaire.
1. Entre autres le Ciré , le MOC, la FGTB (bruxelloise et wallonne), Amnesty International, La Ligue des droits de l’homme, etc.
2. Fedasil, rue des Chartreux, 21 à 1000 Bruxelles – tél. : 02 213 44 11 – fax : 02 213 44 22 –courriel : info@fedasil.be
3. Cabinet, rue de la Loi, 51 à 1040 Bruxelles – tél. : 02 790 57 11 – courriel : christian.dupont@p-o.be