En un siècle, on est passé d’une prison conçue comme un lieu de rédemption et d’isolement à une vision de la détention comme un temps devant être mis à profit pour préparer sa réinsertion dans la société. Dans ce contexte, maintenir le lien avec le monde extérieur est bien sûr essentiel. Cette question était au coeur des discussions menées à l’initiative de la Cocom en vue de créer un plan stratégique pour les détenus bruxellois. Mais c’est une autre actualité qui a retenu la Une des médias cette semaine. En réponse aux attentes des gardiens de prison, confrontés à une inflation de la violence et des tentatives d’évasion, la Chambre examinait un projet de loi de la ministre fédérale de la Justice, Annemie Turtelboom, aux relents plutôt sécuritaires
La grève du zèle menée par les agents pénitentiaires de Forest, en 2012, pour protester contre la surpopulation carcérale aura laissé des traces dans les esprits des travailleurs sociaux et des psychologues qui, pendant six mois, n’ont pas pu accéder à l’intérieur de la prison. « Les agents ont refusé de nous ouvrir malgré les injonctions de l’administration de la justice et de la direction. Quelle image cela donne-t-il de notre travail ? Aujourd’hui, on a le sentiment que nos services sont à peine tolérés. On a parfois du mal à faire comprendre l’importance de notre mission », s’emporte Benoit Englebert, président de la Fédération bruxelloise des institutions pour détenus et ex-détenus (Fidex)1.
Lequel s’inquiète également de l’impact de la vétusté des prisons et du caractère de plus en plus sécuritaire des procédures pénitentiaires sur le travail social. « Les prisons bruxelloises sont tellement vieilles qu’il nous a fallu plus d’un an pour pouvoir installer une ligne téléphonique dans un local. Les travailleurs sociaux doivent parfois attendre une heure pour qu’on leur amène un détenu. Les horaires de visites n’ont cessé de se restreindre au fil du temps. Il y a quelques années, on pouvait rencontrer des détenus pendant l’heure du midi. Aujourd’hui, les horaires ont été réduits de 9 h à 12 h et de 14 h 30 à 17 h », énumère le président de la Fidex. Dans le même temps, le rôle et les missions des services extérieurs d’aide aux justiciables n’ont cessé de croître, pointe-t-il par ailleurs : « La tâche des services extérieurs est devenue d’autant plus importante que les services psychosociaux internes des prisons n’ont plus le temps de s’occuper de l’accompagnement des détenus, tant ils sont accaparés par leur mission d’évaluation en matière de libération conditionnelle ou de congés pénitentiaires. »
Imbroglio de compétences
Le 30 avril, Evelyne Huytebroeck (Ecolo) et Brigitte Grouwels (CD&V), les deux ministres chargées de l’aide aux personnes à la Commission communautaire commune invitaient les acteurs de terrain et du secteur à une journée, dixit, « afin de fléchir et de construire ensemble l’avenir de l’offre d’aide et de services qui permettra d’offrir une aide globale, intégrée et de qualité aux détenus des prisons bruxelloises ». L’objectif sous-jacent était de jeter les bases d’un plan stratégique pour les cinq années à venir.
Dans ce contexte, les participants ont souligné la nécessité de sécuriser et d’assurer la place des services d’aide extérieurs dans l’enceinte des prisons, notamment en y sensibilisant les agents pénitentiaires lors de leur formation. D’autres thèmes ont également été débattus avec cœur, comme la concertation entre les différents pouvoirs compétents, à l’aune des nouveaux transferts prévus dans le secteur de l’aide aux justiciables par la sixième réforme de l’Etat.
A l’instar de l’emploi et de la formation, de la santé et bien d’autres secteurs encore, les compétences en matière d’aide aux justiciables à Bruxelles sont éclatées entre différents niveaux de pouvoirs, rendant délicat l’exercice d’une politique concertée. Pour rappel, lors de la deuxième réforme de l’Etat en 1980, l’aide aux détenus a été communautarisée sur base d’une distinction entre aide volontaire et contrainte. En clair, l’aide imposée restait aux mains de l’Etat fédéral tandis que l’aide apportée à la demande du détenu tombait dans l’escarcelle des Communautés. Résultat : « Bruxelles connaît une configuration assez complexe en matière d’aide sociale aux détenus : huit services agréés par quatre niveaux de pouvoir distincts et trois protocoles d’accord conclus avec le fédéral et réglant les modalités de collaboration avec les services psychosociaux des prisons », peut-on lire dans la lettre d’information du secteur bicommunautaire bruxellois2.
Quatre réformes de l’Etat plus tard, de nouveaux transferts importants sont prévus. Quelles compétences seront transférées de la Justice vers les Communautés ? Avec quels moyens ? Comment cela se concrétisera-t-il à Bruxelles ? Quel en sera l’impact sur les services qui travaillent au sein des prisons ? A vrai dire, les réponses apportées du côté du cabinet du secrétaire d’Etat aux Réformes institutionnelles, Servais Verstraeten, ne permettent pas d’y voir encore beaucoup plus clair à ce stade. Tout juste pressent-on que les Maisons de justice, le droit sanctionnel des jeunes et les mesures de dessaisissement seront défédéralisés.
Vers un trajet de détention
Contrairement aux politiques francophones, qui font reposer l’aide aux détenus essentiellement sur des services spécifiquement constitués pour cette mission, la Flandre, qui s’est dotée d’un plan stratégique il y a dix ans, mise sur l’ouverture des prisons aux services généralistes de l’insertion socioprofessionnelle, de la formation, de la santé, etc. « Les justiciables ne sont pas stigmatisés puisque les services qui s’adressent à eux sont les mêmes que ceux qui s’adressent à n’importe quel citoyen. D’autre part, cela assure une forme de continuité pour préparer leur retour dans la société », observe Isabelle Etienne, coordinatrice de l’aide aux justiciables de la Cocom.
L’objectif du plan stratégique qui se dessine à Bruxelles n’est pas de reproduire le modèle flamand. Mais bien de réfléchir à des pistes pour assurer un accompagnement cohérent depuis l’entrée jusqu’à la sortie de prison. Une façon d’y arriver pourrait être la création d’un « trajet de détention » sur mesure, dans lequel chaque détenu peut s’investir et préparer son retour à la société dès son arrivée. « Aujourd’hui ce suivi existe, mais pas pour tous les détenus et pas de façon systématique. Si une personne ne fait pas de demande, elle peut se laisser vivre. Certains détenus ressortent sans aucune préparation. Il faut changer les mentalités, mettre en place un trajet qui les responsabilise, leur conseiller d’utiliser leur détention pour se préparer. » Ainsi, un accueil a été mis en place depuis quelques années à la Maison d’arrêt de Forest et, plus récemment, à Saint-Gilles, pour présenter les différents services d’aide. « Mais il ne faut pas oublier que les personnes incarcérées à Bruxelles sont en détention préventive. Au moment où elles reçoivent cette information, leur préoccupation est surtout de savoir si elles vont être libérées. Organiser cet accueil demande beaucoup de travail pour peu de résultats. Dans l’idée d’un trajet, on pourrait imaginer de revoir les prévenus après quinze jours, quand ils sont davantage dans les conditions psychologiques d’accepter leur détention. » De la même façon, juge Isabelle Etienne, la libération devrait être davantage préparée. « Certaines personnes se voient libérées du jour au lendemain. Elles reçoivent un kit de sortie de la main des gardiens, on leur donne l’adresse d’un service à consulter, et personne ne se soucie de ce qui peut se passer ensuite. Faire accompagner ces sorties par un travailleur social permettrait de donner une dimension plus humaine à l’évènement. »
Surpopulation, problème d’accès, d’acheminement des détenus… La vétusté des maisons d’arrêt de Forest, Saint-Gilles et Berkendael, a plus qu’à son tour été pointée du doigt. A moyen terme, celles-fermeront définitivement leurs portes pour être remplacée par la prison de Haren, dont la construction doit débuter en 2014 pour s’achever en 2016. Avec une capacité de près de 1190 places, la « mégaprison » d’Haren n’a pas manqué d’effrayer les riverains comme les travailleurs sociaux. Mais l’inquiétude de ces seconds s’est rapidement mutée en espoir devant le projet annoncé d’une prison plus ouverte sur le monde extérieur. « Saint-Gilles et Forest correspondent à une vision passée de la détention, où la prison est considérée comme un lieu de rédemption, d’isolement et de prière. Aujourd’hui, la prison doit être pensée comme un lieu qui prépare la réinsertion dans la société », commente Catherine Zicot, responsable du projet de la prison de Haren au SPF Justice et ancienne directrice de la Maison d’arrêt de Forest. Au-delà de l’espace, qui est pensé pour faciliter l’accès aux visiteurs et intègre des locaux pour les services d’aide, c’est tout les processus de travail qui s’en retrouvent simplifiés. A Saint-Gilles, c’est le travailleur social qui doit se rendre au détenu. Ici, c’est le détenu qui rendra au travailleur social, prend Catherine Zicot comme exemple. « Aujourd’hui, on demande au personnel pénitentiaire d’intégrer davantage la présence des travailleurs sociaux. Mais c’est très difficile dans les conditions actuelles. (…) A Forest et Saint-Gilles, les détenus les plus et les moins dangereux sont mélangés. Du coup, c’est le régime de sécurité le plus drastique qui s’impose à tous. À Haren, les détenus les plus dangereux seront isolés. Dans les autres zones, les détenus pourront se déplacer par eux-mêmes via un système de badges ».
Le cahier des charges de la prison d’Haren prévoit aussi la construction d’un centre ouvert pour femmes. Il hébergera des femmes dont on peut raisonnablement juger qu’elles ne présentent pas un danger pour la société. On y trouverait aussi une centrale de repassage et une vitrine pour présenter le travail d’artisanat réalisé par des détenues des différentes prisons de Belgique. « Ce centre ouvert sera une façon d’ouvrir la prison sur la société et de limiter la peur que peuvent susciter les détenus ».
A l’initiative de la ministre de la Justice Annemie Turtelboom (Open VLD), la réforme de la Loi Dupont entend répondre aux attentes des gardiens, confrontés à une inflation de la violence et des tentatives d’évasion. Le projet, voté ce mardi 14 mai en commission à la Chambre, rabote considérablement les droits des détenus, s’alarme Nicolas Cohen, avocat et vice-président de l’Observatoire international des prisons (OIP)2. Interview.
A.E. : Parue au Moniteur en 2005, la loi Dupont devait garantir un statut juridique aux détenus. Qu’en est-il huit ans plus tard ?
N.C. : La loi Dupont donne une lecture claire du statut du détenu, de ses droits et de ses devoirs. En ce qui concerne les contraintes, il semble que la loi soit bien entrée en vigueur. En matière de droits fondamentaux, en revanche, peu de choses ont été mises en œuvre.
Il y a toujours un manque de transparence en matière de décisions disciplinaires. Il n’existe pas de droit de plainte. Quand un détenu veut contrer une décision, il peut communiquer un billet d’écrou au gardien, mais n’a aucune information quant à savoir s’il a été traité ou non. Parfois, il peut recevoir une réponse orale. Mais cela ne laisse pas de preuve. (…)
Autre exemple, la loi, prévoyait la mise en place d’un plan de détention organisant le suivi social et psychologique dés l’arrivée en prison qui n’a jamais vu le jour. Laisser les gens livrés à eux-mêmes ne favorise pas la sécurité ! On ne voit que les aspects coercitifs de la sécurité, pas ses aspects sociaux.
A.E. : La réforme de cette loi prévoit des fouilles corporelles systématiques. L’OIP comme la Ligue des Droits de l’Homme ont dénoncé le caractère humiliant de cette mesure…
N.C. : Après chaque visite, le détenu pourra être soumis à une fouille à nu, de tous ses orifices. Cela concerne aussi des détenus qui sont en suivi de détention, qui sont libres la journée pour suivre une formation par exemple, et donc pour qui le tribunal a jugé qu’il pouvait accorder sa confiance ! Par ailleurs, cela ne fera que rallonger les procédures, alors que les gardiens se plaignent de la surcharge de travail.
A.E. : Le projet de loi qui vient d’être voté alourdit certaines sanctions disciplinaires. Qu’est-ce que cela signifie concrètement pour le détenu ?
N.C. : Tout manquement au règlement d’ordre intérieur devient désormais une infraction de deuxième catégorie, qui peut être sanctionnée par trois jours de cachot. Il faut savoir que ces règlements d’ordre intérieur sont édictés par les directions et changent d’un établissement à l’autre. Dans certaines prisons les sweats à capuche sont autorisés, dans d’autres ils sont interdits. Qu’est-ce qu’il va se passer avec un détenu qui vient d’être transféré et ne sait pas qu’il doit enlever son pull à capuche ? Il va faire trois jours de cachot ? Les détenus ne peuvent pas toujours prendre connaissance des règlements d’ordre intérieur comme il le devrait. Se pose aussi le problème d’accès à la langue pour ceux qui ne parlent pas français ou néerlandais. Tout cela crée un sentiment d’arbitraire qui, une fois de plus, semble peu propice au maintien de la sécurité.
A.E. : Dans ce projet de loi, le travail effectué par les détenus n’est pas soumis à un contrat de travail. On voit mal ce que cela vient faire avec la sécurité ?
N.C. : Cela reste un mystère ! Il y a aujourd’hui des détenus qui travaillent pour des sociétés commerciales et sont payés un euro de l’heure. Il s’agit d’un vrai travail, qui en tant que tel doit être soumis au Code du travail et aux règles en matière de salaire, de licenciement… Le projet de loi examiné à la Chambre dit s’aligner sur l’exemple français. Il suffit pourtant de faire une recherche dans Google pour apprendre que le prud’homme a décidé que le droit du travail devait s’appliquer dans le cas d’une détenue. Tout cela laisse le sentiment d’un projet de loi bâclé, rédigé dans l’urgence pour faire plaisir aux forces syndicales ou à l’opinion publique.
1. Fidex :
– adresse : avenue Albert, 29 à 1190 Forest
– tél. : 02 209 34 01
– courriel : benoit.englebert@ors.bgc.be
2. site : http://www.bico-info.be