Alter Échos: Ce qui traverse surtout le film, c’est la question du collectif…
Michel Steyaert: Effectivement, l’axe principal du film est que le travail à domicile atomise, rend le travail individuel encore plus individuel qu’il ne l’était avant la crise. Laurent Taskin, professeur à l’UCL, dit dans le film que la question n’est pas tellement de savoir s’il y aura plus ou moins de télétravail, mais s’interroge surtout sur la manière dont il faut l’organiser afin de créer des moments collectifs qui vont faire sens, qui vont servir au bien-être du travail, mais aussi à l’objet que poursuit le travail et l’entreprise. Cette question-là est importante, cruciale aussi. Notamment pour les jeunes générations qui débarquent sur le marché du travail: transmettre un métier, des savoirs, des attitudes, cela se passe beaucoup par des moments collectifs.
AÉ: On voit aussi, et cela revient dans votre film à quel point, avec le télétravail, il est difficile de mettre des limites par rapport à son espace privé, par exemple…
MS: Cela pose en effet la question du fameux droit à la déconnexion. Dans ce flou qui s’installe entre sphère familiale et sphère professionnelle, dans tout ce qui a été vécu pendant les confinements successifs, il y a cette porosité entre temps de travail et temps privé. Comme on est seul, la capacité de pouvoir faire vivre ses droits, de pouvoir se déconnecter, de pouvoir ne plus travailler à certaines heures, devient de plus en plus compliquée, à cause de cette atomisation du travail, de cette solitude…
AÉ: Aspect qui revient aussi dans votre film: ce sont ces bureaux vides. Des bureaux qui risquent de rester vides encore longtemps, même si la situation sanitaire s’améliore…
MS: Pour les entreprises, le télétravail est un moyen de faire des économies d’échelle. Et s’il s’impose largement, il faudra s’interroger sur l’avenir sur ces lieux de travail. Un argument fort avancé pour promouvoir le télétravail, c’est notamment son aspect écologique, en évitant notamment les transports. Néanmoins, il semblerait, selon les premières études, qu’on en serait très, très loin, et en fait, c’est même loin d’être une solution écologique. On ferait une grosse erreur en vendant le télétravail de cette façon-là.
AÉ: Au fil de vos recherches, vous vous dites que le télétravail risque de devenir structurel?
MS: C’est assez clair et la raison principale est que tous les travailleurs rencontrés le réclament. Après cette crise, le télétravail va s’inscrire structurellement dans bon nombre d’entreprises. Les inconvénients du télétravail ne sont pas suffisamment importants par rapport aux avantages et le principal qui revient sans cesse, c’est cette capacité à quand même aménager son temps de travail avec sa vie privée… Je ne parlerais pas néanmoins de liberté pour ces télétravailleurs, mais c’est un changement indéniable.
À distance, 2021, 44′, Michel Steyaert – Outil pédagogique.
«Télétravail: les nouveaux ‘Temps modernes’»?, Alter Échos n° 494, juin 2021, Pierre Jassogne.
Retrouvez Alter Échos ce mardi 8 juin à 20h dans un débat avec le réalisateur du film au Point-Culture à Bruxelles. Plus d’infos sur le site nosfuturs.net