Révélé cet été, le reportage « Femme de la rue » a secoué l’opinion publique et fait réagir la classe politique. Les propositions – anciennes et nouvelles – ont fusé pour condamner le sexisme en rue. Pourtant, le phénomène ne date pas d’hier. Plus largement, il interroge sur la place laissée à la femme dans l’espace public. Car il faut bien le reconnaître, l’aménagement urbain et la mobilité restent encore trop souvent des fiefs masculins, où l’on pense de manière fonctionnelle.
« Chienne » « Salope ». Les mots claquent au rythme de la promenade de Sofie Peeters. Le film reportage « Femme de la rue », tourné en caméra cachée, va faire le buzz… entre autres chez les partisans des thèses racistes. Car, le film a été tourné dans les quartiers bruxellois de la Gare du Midi, de Lemonnier et d’Annessens, qui concentrent une importante population d’origine immigrée et où vivent la plupart des auteurs des insultes. Sofie Peeters se défend de vouloir stigmatiser une communauté : son intention était dénoncer le sexisme verbal. Sur le web, aux côtés des commentaires racistes et de ceux qui estiment « qu’elle l’a bien cherché », d’autres rappellent que le sexisme est aussi l’affaire de « messieurs et jeunes hommes propres sur eux, honnêtes et respectables (qui) tiennent plus de charognards de la branlette », ou encore que « la connerie n’est pas réservée qu’à un seul « groupe d’individus » ». Quelques-uns font le lien avec le phénomène de gay-bashing qui a également défrayé l’actualité des derniers mois.
Des sanctions ? Et puis quoi ?
Rapidement, le débat est ouvert. Des discours politiques, il ressort qu’une solution est de sanctionner. Et aussi de travailler sur l’éducation des jeunes. Ce qui ne convainc pas certaines organisations de terrain.
Pour Marianne Hiernaux, responsable communication au Réseau Flora1, les sanctions n’auront toujours qu’une portée individuelle et ne seront pas forcément éducatives. « La logique de l’amende administrative va à l’encontre de celle de recréer du lien social, de la cohésion sociale. Faire partir tout le monde de l’espace public – comme les jeunes – , c’est faire mourir la ville, explique-t-elle. Je ne suis pas sûre que ce soit la bonne solution. Remettre de la vie dans les quartiers a plus d’impact. Tout comme miser sur le collectif pour refaire du lien plutôt que sur la répression. » Anne Snick, coordinatrice de Flora, insiste sur la notion de co-production qui favorise l’innovation sociale et sociétale. Et elle observe davantage chez les femmes qui, face à un problème, ont tendance à s’entraider pour dégager une solution collective.
Plus de collectif pour une meilleure cohabitation
Il y a donc des solutions plus structurelles et collectives à mettre en oeuvre. Un constat partagé également par Claudine Liénard, chercheuse à l’Université des femmes[x]2[/x], pour qui l’insécurité pose la question de la cohabitation dans l’espace public. Lors du Colloque « Pour que mobilité rime avec égalité », organisé par Conseil wallon de l’Egalité entre Hommes et Femmes (CWEHF)[x]3[/x] le 14 mai dernier, la chercheuse démontrait que les femmes vivent une mobilité inégale dans leurs modes de déplacement de manière générale, car elles se déplacent plus à pied et en transports en commun, et moins en voiture, contrairement aux hommes. Elles sont donc plus exposées. Claudine Liénard propose « d’intégrer davantage de femmes dans les métiers et fonctions des secteurs de la mobilité et de l’aménagement du territoire », « de favoriser la présence des deux sexes dans les dispositifs de la participation politique », ou encore « d’intégrer le vécu des femmes dans la mobilité officielle », car les femmes vivent et imaginent une mobilité autre.
Autre intervenante du colloque, Dominique Poggi, sociologue et chercheure indépendante, insiste aussi sur l’importance de l’apport des femmes pour décloisonner l’espace urbain : « A Montreuil, on a observé qu’il y avait un square qui était squatté quand on a fait les marches par trois hommes, pas des jeunes, alcoolisés. Et qui se comportaient de manière telle que le square était déserté, et pas seulement par les femmes, par tout le monde. Et puis, a contrario, il y avait un square, pas très loin, qui avait été conçu en concertation avec les habitants, pensé par la municipalité et les services en concertation, et bien ce square était accessible à tout le monde, c’est- à-dire que les femmes avaient pensé aux enfants, aux personnes âgées, aux personnes handicapées… (…) donc quand les femmes font des propositions concrètes et transversales, bien souvent ce sont des propositions qui sont inclusives, et qui profitent à l’ensemble des habitants et des habitantes. »
Il y aurait donc tout à gagner à consulter ou inclure davantage de femmes dans les réflexions autour des politiques de la ville, d’urbanisme et de mobilité. Un constat pointé également par une récente étude de Garance (voir encadré). Ce serait sans doute un moyen beaucoup plus efficace pour faire de l’espace public un lieu plus sécurisant et convivial pour tous.
Fin septembre, l’absl Garance a présenté la brochure « Espace public, genre et sentiment d’insécurité ». Soutenue par le secrétaire d’Etat chargé de l’Urbanisme de la Région de Bruxelles-Capitale, l’étude se veut « un outil pratique destiné aux élu/e/s et aux professionnel/le/s de l’urbanisme, de la mobilité et de l’aménagement du territoire ». Elle est le résultat de marches exploratoires (lire « Marcher pour contrer l’insécurité ») organisées par l’asbl.
Après avoir fait le constat que « les politiques d’urbanisme en général et l’aménagement de l’espace public en particulier sont rarement soumis à une analyse genrée, la brochure explique les avantages à intégrer une analyse de genre dans l’urbanisme :
• la prise en compte des besoins invisibles entraîne « l’amélioration de la qualité des projets » par la prise en compte, par exemple, du besoin de sécurité. Cela a pu être observé dans d’autres pays qui pensent leur espace public de manière genrée. Ce qui n’est pas sans importance, d’autant que le sentiment d’insécurité entraîne des stratégies d’évitement, le repli sur soi, et la perte du lien social. En d’autres termes, limiter sa mobilité ou sa liberté de mouvement à un impact direct sur le bien-être et la participation citoyenne ;
• la participation réduit les coûts : « Par son accent sur des méthodes participatives, une meilleure acceptation des changements par la population qui en est actrice. Une prévention des fautes et l’évitement de corrections et changements coûteux par une meilleure planification en amont. La remédiation aux conflits d’utilisation et à l’exclusion en identifiant ces problèmes. »
1. Réseau Flora :
– adresse : rue du Progrès 323/7, à 1030 Bruxelles
– tél. : 02 204 06 40
– site : http://www.florainfo.be
2. Université des femmes :
– adresse : rue du Méridien, 10 à 1210 Bruxelles
– tél. : 02 239 38 25
– site : http://www.universitedesfemmes.be/
3. Conseil wallon de l’Egalité entre Hommes et Femmes (CWEHF)
– voir rubrique Conseils spécialisés sur : http://www.cesw.be