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Regard critique · Justice sociale

Economie

Économie sociale : une conférence européenne pour faire le bilan

Le 25 octobre 2011, la Commission européenne se fendait d’une communication au Parlement européen concernant les entreprises sociales. Trois ans après, une conférence a fait le point à Strasbourg. Alain Coheur président de Social economy Europe, nous raconte.

Le 25 octobre 2011, la Commission européenne se fendait d’une communication au Parlement européen concernant les entreprises sociales. Trois ans après, une conférence a fait le point à Strasbourg. Alain Coheur président de Social economy Europe, nous raconte.

Par le biais de sa communication de 2011, la Commission entendait poursuivre l’objectif de « présenter un plan d’action à court terme pour accompagner le développement des entreprises sociales, acteurs clés de l’économie sociale et de l’innovation sociale ». Un plan composé de onze actions clés. Qui marquait pour certains l’intérêt de l’UE à l’égard de l’entrepreneuriat social. Après trois ans de travail, une conférence a été organisée par la Commission à Strasbourg, les 16 et 17 janvier 2014. Alain Coheur y était. Il est président de Social economy Europe, qui représente l’économie sociale au niveau européen. Entretien.

Alter Échos : Quel regard portez-vous sur le déroulement de la conférence ?

Alain Coheur : Il s’agissait d’une initiative de la Commission européenne. Un moment très intéressant, qui a beaucoup mobilisé la société civile. La Commission a d’ailleurs travaillé sur cet aspect, ce qui était important : l’initiative doit venir de la société civile, c’est la nature de l’économie sociale.

A.É. : L’idée de la Commission, c’était de conclure ? De marquer le coup avant l’arrivée de la nouvelle Commission ?

A.C. : Oui. Voilà trois ans que la Commission travaille sur l’entrepreneuriat social. Cette dynamique a été portée principalement par le commissaire Michel Barnier. C’était le moment de faire le bilan, à travers différents ateliers.

A.É. : Une déclaration a été rédigée à la suite de ces deux jours. Vous avez participé à sa rédaction.

A.C. : Je faisais partie du groupe de quatre personnes qui ont participé à la construction de cette déclaration, avec la Commission européenne. Il fallait laisser une trace. La Commission en avait besoin pour deux raisons, que je partage. Un, on ne sait pas qui va reprendre l’économie sociale dans la nouvelle Commission. Et deux, on ne sait pas si le nouveau commissaire aura envie de continuer le travail mené depuis trois ans. Ne va-t-il pas se dire « On rase tout et on recommence à zéro » ? Il était donc important de produire un texte, de sortir avec un consensus le plus large possible. Il fallait aussi montrer que la Commission n’a pas fait quelque chose ex nihilo dans son coin, qu’elle a ensuite jeté en pâture au secteur. Qu’il s’agissait d’un processus mûrement réfléchi, pour être ensuite partagé.

A.É. : Votre constat ?

A.C. : À Strasbourg, cela a été assez intelligemment construit. Il y a eu différents ateliers, avec des prises de parole où chacun pouvait apporter ses idées. Dans chacun d’entre eux se trouvaient des récolteurs d’idées qui se sont réunis et ont ramené un maximum d’idées. Il a fallu faire le tri, et c’est ce qui a abouti à l’annexe de la déclaration, qui liste une série d’idées et de suggestions émises par les participants. Et puis il y a la déclaration en elle-même, plus formelle car elle se voulait rassembleuse. Ce document, on l’a vraiment passé à la moulinette. Il n’a pas été balancé comme ça par la Commission.

A.É. : Il a fallu trouver un équilibre entre les deux « modèles » du secteur ? L’anglo-saxon et le « continental » ?

A.C. : Mon objectif était de ramener les deux conceptions à un équilibre. Jusqu’à présent, on était plutôt dans un schéma de confrontation entre les deux logiques. Il y avait un risque de sortir de cette conférence en creusant le fossé. Il y a heureusement eu un consensus pour éviter cela, pour avoir une déclaration commune, portée par l’ensemble du secteur. La Commission a beaucoup travaillé pour cela. Cela dit, il ne faut pas oublier que c’était une conférence sur l’entrepreneuriat social, pas sur les entreprises d’économie sociale. Il ne faut pas non plus accuser la Commission de ne pas avoir fait ce qu’on lui demandait de faire. Elle se situait dans sa logique de l’initiative de 2011… Sa priorité n’a pas été de dynamiser les entreprises d’économie sociale. Sa priorité a été de dynamiser un secteur qui est l’entrepreneuriat social, influencé par le modèle anglo-saxon, basé sur l’individu, sur la conception de charities (NDLR bénévoles). Alors que le modèle continental met notamment en avant une dynamique collective, un projet de société.

A.É. : Pourquoi le modèle anglo-saxon ?

A.C. : On peut reprocher beaucoup de choses à la Commission, mais elle est parfois le reflet de ce qu’on lui demande de faire. Elle doit travailler avec le secteur, mais c’est aussi au secteur à l’alimenter. Or, depuis 2011, c’est plutôt le modèle anglo-saxon qui a alimenté la Commission. Les autres sont restés attentistes. Ça ne veut pas dire qu’ils sont restés sans réaction, mais on ne peut pas dire qu’ils ont été un moteur pour mettre en évidence le modèle continental.

A.É. : Comment l’expliquez-vous, vous qui êtes un tenant du modèle continental ?

A.C. : Le secteur a une difficulté historique et chronique à communiquer sur l’ensemble de ses réalisations, de ses réussites. Alors que le modèle anglo-saxon le fait très bien. Nous, face à ça, on a été débordés, figés sur nos acquis. Peut-être pas encore suffisamment organisés. Quand de grosses organisations existent depuis longtemps, il est toujours plus difficile de les faire bouger. Ça occupe beaucoup de place, ça représente plein d’emplois, mais quand il faut faire une manœuvre, c’est plus compliqué. À côté de ça, la Commission a un délai d’action qui est relativement court. Elle a cinq ans pour pouvoir agir, faire des propositions, mettre en œuvre une politique, ou en créer une nouvelle.

A.É. : Pour l’avenir, ce sera donc à travailler…

A.C. : La Commission a créé une dynamique qui doit continuer à être alimentée. Et on a le choix. Soit on laisse le modèle anglo-saxon continuer à nourrir le processus qui vient d’être lancé. Soit l’économie sociale traditionnelle alimente elle-même cette dynamique, influence le processus, et va chercher dans l’annexe de la déclaration de Strasbourg les points qui l’intéressent. Pour dire ensuite à la Commission sur quoi elle doit travailler. Si on reste de nouveau au balcon, il ne faut pas être surpris que d’autres avancent. Le vrai challenge, il sera là. C’est au secteur à être sur la balle rapidement. En octobre ou en novembre, dès que la nouvelle Commission sera en place, nous organiserons d’ailleurs une conférence pour essayer de lui donner directement un message concernant l’importance de l’économie sociale dans les politiques…

A.É. : C’est aussi aux États membres à être mobilisés…

A.C. : Il y a effectivement une trop grande frilosité de certains États membres. On aurait beau avoir une législation-cadre, c’est tout de même aux États à la transposer à un moment donné. Et sans cette dynamique nationale, on ne va pas très loin… Dans certains pays, notamment d’Europe centrale et orientale, on a beaucoup de mal à identifier quels sont les ministères compétents sur l’économie sociale. On a l’impression que c’est toujours marginal. Historiquement, ils n’ont pas encore rattrapé le fossé qui les sépare de l’Espagne, de la France, de l’Italie ou de la Belgique en ce qui concerne le rôle de l’économie sociale dans la société. Je pense que c’est une question de culture, de mentalité, d’histoire.

A.É. : Et la Commission européenne ?

A.C. : À la Commission, il existe encore tout de même une tendance à penser que l’économie sociale est une économie qui se tourne uniquement vers les pauvres déshérités. Et que « l’autre économie », c’est pour les gens qui ont de l’argent, des revenus. Même si cela évolue, je pense que dans le futur la Commission devra avoir une réflexion sur la vision qu’elle a de l’économie sociale d’ici 2020. Est-ce qu’on a un projet de société pour 2020 ? Ou bien est-ce qu’on lance un certain nombre d’initiatives qui vont répondre à des demandes ponctuelles ? Et s’inspire-t-on du modèle continental ou bien créé-t-on un autre modèle pour les pays comme la Pologne, l’Estonie ?

 On peut reprocher beaucoup de choses à la Commission, mais elle est parfois le reflet de ce qu’on lui demande de faire.

 

Aller plus loin

Alter Échos n° 354 du 18.02.2013 : Flirt continu entre l’UE et les entreprises sociales

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Julien Winkel

Julien Winkel

Journaliste

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