Une thérapie de groupe pour donner un nouveau souffle à l’Union européenne (UE) au cours des prochaines décennies, telle est la promesse de la Conférence sur l’avenir de l’Europe, dont le coup d’envoi est prévu pour le 9 mai, pour la journée de l’Europe. Ce grand exercice de participation citoyenne doit permettre aux Européens, aux ONG, aux associations, aux entreprises et autres syndicats d’apporter leur pierre à l’édifice, en inventant l’Europe de demain, rien de moins. Mais alors, le futur de l’Europe rimera-t-il avec une Europe plus focalisée sur les enjeux sociaux? La Conférence pourrait du moins permettre d’avancer dans ce sens.
L’idée d’organiser un grand débat citoyen pour repenser les priorités de l’UE avait été formulée par le président français Emmanuel Macron en mars 2019. Cette Conférence sur l’avenir de l’Europe aurait dû être lancée en 2020 déjà, mais elle a subi de plein fouet les conséquences de la pandémie de Covid-19: à l’image des Jeux olympiques de Tokyo ou de l’Euro de football, il a fallu remettre l’événement à plus tard. Les retards se sont enchaînés, et des litiges institutionnels autour de la gouvernance de la Conférence n’ont pas arrangé les choses.
Le futur de l’Europe rimera-t-il avec une Europe plus focalisée sur les enjeux sociaux? La Conférence pourrait du moins permettre d’avancer dans ce sens.
Mais cette fois, les planètes semblent enfin alignées pour que les discussions puissent bel et bien commencer: Commission, Parlement et Conseil européens ont réussi à trouver un terrain d’entente quant aux modalités de fonctionnement de cette enceinte de réflexion inédite, et une plateforme numérique multilingue pour ouvrir les débats a été mise en ligne le lundi 19 avril.
Une série de thèmes à aborder a été élaborée pour donner un cadre aux discussions. S’y trouvent par exemple le changement climatique et l’environnement, la démocratie européenne, l’État de droit, la sécurité, le numérique, la migration, et, pandémie mondiale oblige, la santé. La «justice sociale et l’emploi» sont aussi au programme, et en la matière, l’UE a en effet fort à faire.
Tirer les conclusions politiques nécessaires
La plateforme en ligne permet ainsi de «faire des propositions», en répondant notamment aux questions suivantes: «Comment pouvons-nous réparer au mieux les dommages économiques et sociaux causés par la pandémie?», «comment investir dans notre marché unique pour garantir une croissance économique durable et créer de nouveaux emplois?» ou «comment l’Union européenne peut-elle promouvoir les droits des citoyens et veiller à ce que l’économie profite à tous?»
Les décideurs européens ont promis d’en tirer les conclusions politiques nécessaires, sans toutefois s’engager à «rouvrir» les traités européens – ceux-là même qui disposent que l’UE ne détient pas la compétence sociale.
Cette idée d’aller vers une économie plus «inclusive» et plus «équitable» est régulièrement mise en avant par les décideurs européens. Mais ces derniers se retrouvent rapidement rattrapés par la réalité des traités: la compétence «sociale» reste dans les mains des 27 États membres. Ce sont eux qui décident quelles politiques mener, et l’UE ne joue qu’un rôle d’ «appui», en multipliant les recommandations en ce qui concerne les niveaux de rémunération ou de conditions de travail par exemple.
Il n’en reste pas moins que l’emploi – comme la santé – est apparu comme une préoccupation absolument centrale des Européens pendant la crise sanitaire, et il ne serait pas étonnant de voir ces derniers réclamer à l’Europe de jouer un rôle plus moteur qu’à l’heure actuelle sur ces questions. Le fruit des débats de la Conférence est ensuite censé remonter jusqu’aux décideurs européens. Ils ont promis d’en tirer les conclusions politiques nécessaires, sans toutefois s’engager à «rouvrir» les traités européens – ceux-là même qui disposent que l’UE ne détient pas la compétence sociale.
Cette Conférence, qui vise donc à améliorer le fonctionnement de l’UE, autant sur le plan institutionnel qu’en matière de définition de ses politiques, doit durer jusqu’en 2022. Mais ce n’est pas la première fois qu’une vaste «catharsis» de l’Europe est au programme: ce genre de pari a déjà été tenté, encore récemment en 2018 (avec les consultations citoyennes sur l’Europe), sans jamais réellement tenir ses promesses. Pourtant, cette fois, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen l’a assuré: «Les citoyens doivent être au cœur de toutes nos politiques. Je souhaite qu’ils jouent un rôle de premier plan dans la détermination des priorités de l’Union européenne. Ce n’est que tous ensemble que nous pourrons bâtir notre Union de demain.»
Le social au coeur de l’avenir de l’Europe
Mais reconnecter au projet européen des citoyens désabusés par l’Europe, plus encore par temps de crise sanitaire mondiale, reste un pari très ambitieux.
David Sassoli, le président du Parlement européen, souligne pour sa part que les citoyens «jouent un rôle dans la prise de décision, et ce en dépit de la pandémie de Covid-19». Et l’ex-journaliste italien d’ajouter: «La démocratie européenne, de nature représentative et participative, continuera à fonctionner quoi qu’il en soit, car notre avenir commun l’exige.»
Les citoyens européens, eux, semblent bel et bien prêts à prendre leur part dans les grandes décisions touchant à l’avenir de l’Europe: un récent sondage «Eurobaromètre» montre ainsi que 76% d’entre eux estiment que la Conférence sur l’avenir de l’Europe est «un progrès significatif pour la démocratie en Europe».
Un récent sondage «Eurobaromètre»montre ainsi que 76% d’entre eux estiment que la Conférence sur l’avenir de l’Europe est «un progrès significatif pour la démocratie en Europe».
Également interrogés sur «ce qui serait le plus utile pour l’avenir de l’Europe», les Européens considèrent à 35% que des «niveaux de vie comparables» et, à 30%, qu’une «solidarité plus forte entre États membres» seraient les deux évolutions les plus utiles pour le futur. Les thématiques plus éloignées du champ social arrivent pour leur part bien plus bas dans le classement: l’indépendance énergétique est ainsi citée par 19% des sondés, la capacité industrielle de l’Europe par 16% d’entre eux ou une éventuelle armée commune par seulement 10%.
Reste maintenant à la Conférence sur l’avenir de l’Europe de confirmer ces tendances et de «faire le tri» entre les propositions réalistes pour le futur et les autres – aussi bien dans le domaine du social que de celui dans la lutte contre le changement climatique, de la transition numérique, de la culture ou de tous les autres, nombreux, à propos desquels les Européens tiennent à avoir leur mot à dire.