Le collectif des coursiers de Deliveroo entend créer une coopérative de livraison. But de l’opération: pouvoir travailler éthiquement, dans des conditions décentes. Alter Échos était présent à la réunion de lancement du projet.
«T’es venu en bagnole? Espèce de traître!» Moustache noire, mèche folle, Daniele abandonne un instant la miche de pain qu’il était en train de découper pour claquer une bise au nouvel arrivant. Celui-ci est un peu en retard, même s’il est loin d’être le seul. Le sous-sol dans lequel les deux jeunes hommes viennent de se saluer est presque vide. Il est pourtant 18 heures passées, heure à laquelle le collectif des coursiers de Deliveroo avait donné rendez-vous à ses sympathisants.
Malgré l’ambiance bon enfant, le moment est important. Considérant l’âpreté du conflit qui les oppose à la plate-forme collaborative de livraison (voir encadré), les coursiers ont décidé de diversifier leur action. Posé sur une table à côté des bières, sandwichs et saint-nicolas en chocolat proposés en guise de buffet, un tract résume bien la situation. «D’une part, nous pensons qu’il faut continuer à organiser les coursiers qui travaillent toujours chez Deliveroo, peut-on y lire. D’autre part, nous pensons que notre lutte doit également prendre une autre forme qui s’incarne à nos yeux dans l’idéal coopératif.» Les coursiers du collectif tentent visiblement de trouver «une alternative éthique et locale» – d’après Daniele – au modèle du géant de la livraison à vélo. Une solution de remplacement qui permettrait aussi aux coursiers d’être «payés dignement» et de se gérer de façon «horizontale». Ils entendent ainsi créer une coopérative de livraison, censée venir tailler des croupières à Deliveroo. C’est que le ressentiment est palpable. Parmi les personnes qui arrivent maintenant au compte-gouttes, on sent bien sûr une envie d’autre chose, mais aussi une colère sourde. «Cette alternative passe par un affrontement direct avec Deliveroo sur le marché», peut-on d’ailleurs lire sur le tract.
Tous indépendants?
La direction de Deliveroo souhaite imposer le statut d’indépendant à tous ses collaborateurs. Elle avait annoncé fin octobre mettre un terme à sa collaboration avec l’asbl Smart, qui permettait aux livreurs de bénéficier du statut de salarié pendant leurs prestations, et donc d’une protection sociale.
Pas une coopérative du PS…
Vers 19 heures, la salle s’est remplie d’une vingtaine de participants. Parmi eux, on compte beaucoup de coursiers ou d’ex-coursiers. Il y a quelques curieux aussi. Et puis, facilement identifiables à leur mise différente, des représentants du monde politique et syndical. On croise ainsi un représentant de la CNE. Un élu Écolo. Quand ce n’est pas une représentation un peu plus large du Parti socialiste. Manifestement, l’initiative intéresse beaucoup de monde… «Notre but n’est pas de créer une coopérative du PS», tente d’ailleurs de désamorcer Daniele sur le ton de la blague, une fois tout le monde assis en cercle.
Les coursiers du collectif tentent de trouver «une alternative éthique et locale» au modèle du géant de la livraison à vélo.
L’objectif de cette première réunion est de se compter, de recenser les compétences en présence. Et de définir les premiers contours du projet. Si tout le monde souhaite la mise en place d’une coopérative de livraison, reste à savoir de quel bois elle sera faite. Et là, les choses se compliquent. Ne livrera-t-elle que de la nourriture «éthique» ou bien élargira-t-elle son offre aux grandes chaînes de restauration rapide ou à d’autres biens? Commencera-t-elle «petit», sur une commune, ou bien sur l’ensemble du territoire bruxellois? Les débats tournent parfois à la confusion. D’autant plus que le choix du modèle coopératif n’est pas évident tant il existe une variété de coopératives…
Après une heure de débat et la constitution de petits groupes de travail, tout le monde se lève en se promettant de se revoir tous les mercredis soir. Les participants en conviennent, ce nouveau collectif devra se faire accompagner s’il veut faire aboutir son projet. La soirée n’a cependant pas été inutile. «On a au moins les contacts de toutes les personnes intéressées. J’ai déjà vécu des soirées de lancement où on avait oublié de les noter», lance un participant en guise de conclusion…
En savoir plus
«Les coopératives de travailleurs associés bientôt tendance?», Alter Échos n°459, 12 février 2018, Julien Winkel.
«Économie collaborative: une célèbre inconnue», Alter Échos n°435-436, 4 janvier 2017, Julien Winkel.