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Une école peut-elle agir sur la ségrégation scolaire ? Interview d'un directeur

La ségrégation scolaire, c’est le fait que les élèves les plus faibles ont tendance à être concentrés dans les mêmes écoles endifficulté ; alors que les élèves les plus forts se rassemblent dans des établissements plus « sélectifs ». Cette ségrégation des publicsest, on le sait, une des sources des inégalités scolaires qui marquent notre système éducatif de manière particulièrement forte. Que peut fairel’équipe pédagogique d’une école face à cette réalité qui la dépasse souvent largement ? Interview d’un chef d’établissement,Francis Littré, directeur de l’Institut des Sœurs de Notre-Dame à Anderlecht1.

29-06-2007 Alter Échos n° 232

La ségrégation scolaire, c’est le fait que les élèves les plus faibles ont tendance à être concentrés dans les mêmes écoles endifficulté ; alors que les élèves les plus forts se rassemblent dans des établissements plus « sélectifs ». Cette ségrégation des publicsest, on le sait, une des sources des inégalités scolaires qui marquent notre système éducatif de manière particulièrement forte. Que peut fairel’équipe pédagogique d’une école face à cette réalité qui la dépasse souvent largement ? Interview d’un chef d’établissement,Francis Littré, directeur de l’Institut des Sœurs de Notre-Dame à Anderlecht1.

Alter : Une école peut-elle agir sur la ségrégation scolaire ?

Francis Littré : La capacité d’une école à agir sur la ségrégation scolaire est en réalité liée à son positionnementdans la hiérarchie des établissements qui l’entourent. Notre école est plutôt bien située dans cette hiérarchie et peu soumise à la concurrence.L’ouverture à une plus grande mixité sociale est donc plus facile pour nous que pour d’autres écoles. Les parents peuvent trouver des écoles bien mieuxpositionnées que la nôtre en-dehors d’Anderlecht. Mais pour les parents Anderlechtois qui cherchent une école à proximité, l’Institut constitue unpremier choix dans la commune. Comme il n’y a pas d’autre école de notre réseau marquée uniquement « enseignement général » dans la commune,on bénéficie de fait d’une sorte de « monopole ». On ne prend donc pas trop de risques à une ouverture modérée… Si la concurrenceétait plus grande, cela mettrait cette politique plus ou moins en danger.

Comment se concrétise cette politique ?

Sans prendre de grands risques, on a d’abord créé, il y a vingt ans d’ici, une première B (une première « accueil » pour lesélèves qui n’ont pas obtenu leur diplôme de fin de primaires), ainsi qu’une filière de qualification technique « éducateur ». Pour êtreun peu plus ambitieux, il « suffisait »… d’appliquer les nouvelles dispositions légales en matière d’inscription. C’est-à-dire laisser notreécole ouverte à tous les enfants d’Anderlecht qui se présentent, en les prenant dans l’ordre des demandes d’inscriptions; et non en fonction de leurs bulletinsde 6e primaire, pour prendre un exemple de pratique illégale. L’effet de cette simple application de la loi n’est pas mince : il n’est pas sans provoquer unecertaine mixité sociale. Notre école accueille en 1re secondaire autant d’élèves qui ont eu, en fin de primaire, 55 % que 90 %.

Cette politique d’inscription est clairement un choix du pouvoir organisateur (PO). Notre établissement se veut inscrit dans le quartier. Pour le PO, il fallait rester cohérent: nous voulant au service de la population anderlechtoise, il fallait mettre sur pied une politique explicite d’ouverture. Avant on baignait un peu dans le mythe de l’ouverture àautrui et puis, on a mis les actes en accord avec les discours.

Qu’en dit l’équipe pédagogique ?

Cette politique correspond à la sensibilité de la direction ; et le corps professoral est prêt à embrayer… pour peu que ça n’ait pas deconséquence majeure sur la difficulté du travail au quotidien. Et c’est là que notre choix peut se heurter à certaines réticences. Notre position plusprivilégiée se modifie. Notre école connaît une grande stabilité dans son recrutement : les élèves viennent toujours dans les mêmes proportionsdes écoles fondamentales environnantes. Mais ces écoles voient le profil de leur public changer. On constate en effet une certaine paupérisation des quartiers environnants. Etchez nous, au premier degré, les écarts de résultats se creusent et les phénomènes de décrochage se multiplient. Dans la mesure où il n’y a pasde sélection à l’entrée, le premier degré va en effet constituer un filtre. C’est ce que dit une association à propos de notre école : «Vous avez un atout, c’est l’ouverture, mais le problème c’est la sélection pendant les premières années ».

Face à cela, avez-vous développé de nouvelles politiques ?

Avec notre environnement, tout d’abord. Une première initiative a été de prendre contact avec les écoles du même profil pour gérer les doublesinscriptions. Elles génèrent, en effet, une certaine insécurité quant au nombre d’élèves sur lequel on peut compter l’année suivante.Certains parents, lorsqu’ils s’adressent à une école, craignent ne pas avoir la garantie d’une place ; ou ils veulent avoir la possibilité de choisirjusqu’au dernier moment entre différentes écoles. Nous garantissons une place lors de l’inscription et demandons donc aux parents qui se sont aussi inscrits ailleurs defaire un choix définitif vers Pâques. Deuxième initiative : des contacts avec les écoles techniques et professionnelles du réseau pour organiser des informationscommunes et orienter au mieux les élèves. Enfin, des partenariats avec l’associatif ont été mis sur pied (le Casi-Uo2, Couleurs Jeunes3,l’Antenne scolaire4) pour renforcer les liens entre familles et écoles. Nous organisons des formations destinées dans un premier temps aux parents : comment suivre monenfant sur le plan scolaire ?, comment gérer le stress ?, que faire avec mon enfant accro aux jeux vidéos ?, etc. On va commencer à organiser des ateliers pourl’équipe pédagogique en septembre, notamment sur la base de certains de nos déficits mis en évidence par le travail avec les parents…

Et sur le plan plus proprement pédagogique ?

En termes organisationnels, on a pris l’option de mélanger les différents profils d’élèves. Il y a, dans chaque classe, plus ou moins la moitié defilles et de garçons, des élèves venant d’écoles primaires différentes et avec des résultats de tous niveaux. Les différences des moyennes derésultats varient dans une fourchette de 2 %. On effectue ce panachage sur la base des résultats à un examen standardisé externe : le diocésain ou le cantonal. Enfin de première, on re-mélange sur la base de nos propres résultats, mais à partir de la 3e le mélange devient plus difficile puisque lesélèves ont des horaires très différents en fonct
ion de leurs options. C’est l’antithèse des classes de niveau que nous avons connues avant.L’enseignant est toujours balancé entre deux possibilités. Ou on crée des classes de niveau et il doit donner cours à des classes fortes, mais aussi à desclasses très faibles où se polarisent des climats de travail et disciplinaires très difficiles à gérer. Ou alors, comme nous le faisons actuellement, onmélange les profils dans toutes les classes en espérant y créer des spirales positives (ce qui n’est pas toujours le cas). Mais alors, l’enseignant a du mal às’adresser à un public cible. Un élève s’embête tandis que l’autre est complètement largué.

Quels sont les résultats de cette politique de classes mixtes ?

Mitigés. La dynamique positive d’une classe dépend de bien plus de facteurs que ceux sur lesquelles nous répartissons les élèves. Le climat dans une classepeut aussi être très constructif – et il l’est très souvent – mais ne pas se traduire en bons résultats lors des examens. Il faudra analyser ça sur plusieursannées. En attendant, on a mis en place de la remédiation. Elle permet à ceux qui sont à 50-60 % de ne pas basculer dans l’échec. Mais ça n’aidepas ceux qui n’atteignent que 35 % : ils arrivent avec de telles lacunes. Je remplace parfois des enseignants et je peux m’apercevoir qu’un élève ne maîtrise pas lasoustraction ou que certains ont une écriture phonétique… Au bout de quelques semaines, ils sont largués par notre rythme d’apprentissage qui n’est pourtant pasexcessif. Il nous semble que nos exigences ne vont pas au-delà des socles de compétences (mais leurs formulations sont tellement vagues…). Nous ne parvenons pas à rattraperces élèves avec nos moyens. La directrice–adjointe a rencontré les écoles primaires fondamentales catholiques : ils font ce qu’ils peuvent mais sont tout aussidémunis que nous. Ces élèves vont assez vite entrer en rébellion pour se venger de l’école ou dans la passivité.

Comment gérer ces classes hétérogènes ?

Le problème est qu’il y a toujours 5-6 élèves qui ont besoin de l’enseignant à côté d’eux. Il faut différencier des parcoursd’apprentissage individuels au sein de la classe.
Mais c’est difficile pour une seule personne, et quand on dépasse les dix élèves à suivre individuellement dans la même classe…. Ma convictionc’est que, si l’on veut améliorer les pratiques pédagogiques, il faut un accompagnement proche et régulier des praticiens, des formateurs confrontés àla situation réelle du prof. Les enseignants sont en demande : « montrez-nous comment faire ». Ils ont besoin d’outils, d’échanges : une séquence de coursavec trois parcours cela suppose trois fois plus de temps de préparation.

1. Institut des Sœurs de Notre-Dame,
– adresse : 40 rue de Veeweyde à 1070 Anderlecht
– site : http://isnd.be/second

2. Centre d’action sociale italien – Université ouvrière
– site : www.casi-uo.be/casiuo.htm
3. Couleurs Jeunes
– site : www.paluche.org/…
4. Antenne scolaire,
– infos sur : www.anderlecht.be/VQprevention.php#antenne

Donat Carlier

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