Les chantiers amorcés sous l’ère PS-cdH n’aboutiront pas. Ceux annoncés par le gouvernement Borsus ne privilégient guère une approche sociale de la politique du logement. Requiem pour une réforme tant attendue?
Anne-Catherine Rizzo, vice-présidente du RAPel (Rassemblement des associations de promotion du logement) s’est résignée à l’idée: elle va devoir organiser une seconde conférence de presse avec la nouvelle ministre MR chargée du Logement en Wallonie, Valérie De Bue. Début juin, le RAPel avait invité son prédécesseur Pierre-Yves Dermagne à rencontrer sur le terrain quelques associations créatrices d’habitats innovants pour les plus démunis. «Nous lui avions dit notre inquiétude par rapport à la crise du logement. Pour accompagner les personnes les plus précarisées, les Associations de promotion du logement (APL) ont développé des projets créatifs comme le cologement, l’habitat groupé solidaire, le bail glissant… Mais les normes en matière d’urbanisme nous compliquent la tâche. Si une personne âgée veut accueillir un jeune chômeur ou un étudiant qui dépend du CPAS, ce dernier aura alors le statut de cohabitant. À moins de créer une nouvelle adresse donc un autre logement dans l’immeuble. Mais cela demande alors un permis d’urbanisme. Si l’immeuble est trop petit, on refusera la division en logements pour éviter les marchands de sommeil. La hantise de la fraude empêche les solutions innovantes en matière de logement. Nous sommes aussi freinés par le manque de ressources humaines. Une APL reçoit 80.000 euros par an, soit deux équivalents temps pleins pour suivre 20 ménages. Nous espérions un appui de la Région wallonne dans ce domaine. Dommage: nous avions senti une réelle ouverture chez le ministre Dermagne.»
Pour Ecolo, la politique wallonne du logement était déjà décevante et cela ne fera qu’empirer.
Anne-Catherine Rizzo n’est évidemment pas la seule dans le monde associatif à s’interroger sur l’avenir et à constater les dégâts provoqués par la mise à l’arrêt des chantiers entamés dans la politique du logement. Dans ce domaine en effet, tout ou presque est perdu: le projet de décret modifiant le code du logement bloqué alors qu’il était en troisième lecture, le projet de décret sur le financement du logement social. Aux oubliettes, les commissions paritaires locatives, la réforme du bail, le fonds d’investissement pour les logements sociaux, le bail étudiant… La nouvelle déclaration de politique régionale du gouvernement Borsus annonce, certes, la multiplication des expériences «housing first» et la mise en place d’allocations-loyer, mais, de manière générale, l’accent est surtout mis sur l’accès à la propriété. Le gouvernement affirme même vouloir mener une «politique volontariste» dans ce domaine. La majoration des droits d’enregistrement sur la troisième propriété a déjà été supprimée tandis que les droits pour la première propriété seront diminués. Pour le logement public, le nouveau gouvernement va supprimer l’obligation pour les communes de compter au moins 10% de logements sociaux sur leur territoire. Valérie De Bue a déjà annoncé une hausse des loyers mais également une amélioration de la performance énergétique des logements sociaux. «Pour les bénéficiaires d’un logement public, l’acquisition de son propre logement sera encouragée.» On parle aussi de partenariats public-privé dans la création de nouveaux logements sociaux ou «à loyer modéré».
Pas pire qu’avant?
Une révolution? Pas du tout, estime Stéphane Hazée, chef de groupe Écolo au parlement wallon. «J’y vois plutôt une certaine continuité avec le gouvernement précédent.» Écolo, il est vrai, a «flingué» la réforme du logement public qui, pour favoriser la mixité sociale, a augmenté le plafond de revenus nécessaires pour accéder à un logement social mais sans augmenter les logements disponibles pour autant. Les verts ont critiqué la grille indicative des loyers proposée par Paul Furlan jugée «totalement inutile» car fondée sur des paramètres bien trop généraux. Les formes alternatives de logement? «C’était du vent. Furlan n’a jamais rien fait de concret dans ce domaine.» Stéphane Hazée concède que Pierre-Yves Dermagne avait commencé à infléchir positivement la politique wallonne dans ce domaine mais qu’il n’a pas eu le temps de mener ses projets jusqu’au bout. «Avec la nouvelle majorité, on risque d’accentuer la logique acquisitive, poursuit le chef de groupe Écolo. D’accord, aider les jeunes ménages à acheter leur premier logement est positif mais je constate que les plus défavorisés, les locataires sont exclus des préoccupations du gouvernement MR-cdH. Une allocation-loyer est annoncée, c’est quelque chose que nous soutenons, mais cette allocation sera inopérante si elle n’est pas combinée avec une régulation des loyers.» En résumé, pour Écolo, la politique wallonne du logement était déjà décevante et cela ne fera qu’empirer.
Au cabinet de Valérie De Bue, l’extrême discrétion est de mise et on se contente de rappeler ce qui se trouve dans la DPR (déclaration de politique régionale). La ministre MR a annoncé dans la presse une augmentation des loyers dans les logements sociaux peu énergivores mais une diminution des charges dans ces habitations, ce qui au final devrait se solder par une opération neutre pour les locataires. Et c’est tout.
«Avec Dermagne et la réforme du code du logement, on aurait pu aller loin.», Christine Mahy, RWLP.
«C’est parce qu’elle découvre un secteur qu’elle connaît mal et notamment les contraintes budgétaires qui seront les siennes», analyse Christine Mahy, secrétaire générale du RWLP (Rassemblement wallon de lutte contre la pauvreté). Le RWLP a rencontré la nouvelle ministre pour lui faire part de ses revendications mais aussi sonder ses intentions. «Nous avons des points d’accord et de désaccord. Mettre fin à l’obligation de disposer de 10% de logements publics dans une commune, nous sommes contre bien sûr. Les allocations-loyer, c’est très bien mais comment les financer? La ministre ne le sait pas très bien non plus.» Les intervenants associatifs ont noté la bonne volonté de Valérie De Bue mais aussi sa méconnaissance du secteur. «Nous lui avons expliqué l’utilité des commissions paritaires locatives dont elle ignorait l’existence, des capteurs de logements, de tous les acteurs qui ont pour tâche de ramener les locataires vers le marché du logement privé. Sur le logement public, et à sa grande surprise, nous avons dit que nous n’étions pas opposés à une augmentation – légère – du prix des loyers si cela permet une amélioration de la qualité énergétique et si ça peut éviter que les sociétés de logement public aillent chercher des locataires aux revenus plus élevés, explique Catherine Mahy. Mais nous l’avons prévenue: les logements sociaux de bonne qualité sur le plan énergétique sont rares.»
Les associations actives dans le secteur du logement partagent la mauvaise opinion d’Écolo quant à la politique menée par Paul Furlan. Par contre, «avec Dermagne et la réforme du code du logement, on aurait pu aller loin», estime Christine Mahy. Quant à la nouvelle DPR, «on a surtout l’impression qu’ils ont cherché à se démarquer de la précédente», nous explique un militant wallon pour le droit au logement. La secrétaire générale du RWLP constate que le MR «part de zéro tout en ayant des représentations idéologiques négatives du mouvement associatif. Au cours de notre rencontre, nous avons voulu montrer que nous avions des choses concrètes à apporter et j’espère que le dialogue va pouvoir se créer avec la ministre».
Il reste à voir quels moyens financiers seront prévus pour une politique sociale du logement. Et ce qui aboutira réellement d’ici à 2019. «Au cours de la rencontre, l’un de nous a dit qu’il faudrait un plan Marshall pour le logement wallon, raconte Christine Mahy. La ministre nous a répondu que ce sera alors pour la prochaine législature.» Voilà qui est clair.
En savoir plus
«Régionalisation du bail à Bruxelles: les locataires laissés sur le carreau?», Alter Échos n° 450, Manon Legrand, 12 septembre 2017