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Une politique de cohésion sociale, deux « écoles »

Les priorités 2011-2015 pour la Cohésion sociale laissent-elles encore de la place aux projets « socioculturels » ? Au-delà de la « polémique », ce sont deux visions de la cohésion sociale qui semblent s’affronter.

25-01-2013 Alter Échos n° 352

Il y a deux ans, la cohésion sociale voyait sa programmation 2011-2015 « recadrée » autour de trois priorités : le soutien et l’accompagnement scolaires, l’alphabétisation et l’apprentissage du français pour adultes peu ou non scolarisés et l’accueil/accompagnement des primo-arrivants. Deux priorités (« actions intergénérationnelles » et « mixité/égalité homme/femme ») présentes dans la programmation 2006-2010 étaient abandonnées. Une décision qui faisait suite à une recherche menée par l’Igeat et l’Observatoire de la santé et du social de la Cocom. « Elle a montré que les éléments de difficultés à Bruxelles étaient l’échec scolaire des enfants et adolescents inscrits, l’absence de connaissance du français dans les quartiers concernés par la cohésion sociale et la question des primo-arrivants », détaille-t-on au cabinet de Charles Picqué (PS), ministre Cocof en charge de la Cohésion sociale.

D’après le cabinet, « on n’a pas modifié de par ce fait la cohésion sociale », puisque ces trois priorités étaient déjà présentes dans la programmation 2006-2010. Néanmoins le but de cette opération semblait clair : il s’agissait de « professionnaliser » un secteur parfois qualifié de « fourre-tout » autour de thématiques répondant à certains enjeux bruxellois.

Une opposition de styles

Face à cette situation, une crispation du secteur s’était fait sentir. Et pour cause, les trois priorités de la programmation 2011-2015 étaient présentées par l’appel à projet comme ayant un caractère excluant. Un point qui, couplé à l’abandon des deux priorités, mettait en danger les initiatives dites « socioculturelles » (centrées sur le théâtre, le cirque, les cultures urbaines, etc.), même si une circulaire interprétative a permis de récupérer des projets en ballotage (voir encadré). « La question relative aux réalités interculturelles, un gros enjeu à Bruxelles, a disparu », déplore Alain Maron (Ecolo), député au Parlement bruxellois et conseiller communal à Saint-Gilles. « Charles Picqué est en train de tuer le décret en gommant sa spécificité et en instrumentalisant la cohésion sociale. On dit « Vous pouvez encore faire du théâtre, mais il faut le faire, par exemple, dans le cadre du soutien scolaire » », continue-t-il.

Des activités recevables

La circulaire interprétative prévoit que les activités socioculturelles pourront être recevables dans le cadre d’un projet complémentaire qui se fera dans le cadre d’un partenariat incluant un ou des opérateurs de cohésion sociale dont l’action principale rencontre les objectifs prioritaires. Seuls les projets reconnus dans le cadre du contrat communal (ensemble des projets sélectionnés au niveau communal) précédent peuvent introduire des projets complémentaires, ce qui rend difficile l’émergence de nouveaux projets socioculturels. Sauf s’ils se trouvent sur les budgets d’initiative du ministre, d’après le cabinet de Charles Picqué.

Au cabinet de Charles Picqué, on assume les décisions prises. « Oui, nous avons fait le choix de ne pas subsidier le socioculturel qui ne vivrait que par lui-même. Il s’agissait de sortir de l’occupationnel. » Plus généralement, il semblerait que deux « écoles » de la cohésion sociale s’affrontent avec d’un côté une vision « socio-économique », incarnée par les priorités 2011-2015, et une autre visant « une construction d’une identité urbaine commune qui transcenderait les divisions ethniques, religieuses, culturelles », d’après Andréa Rea, professeur de sociologie à l’ULB1, qui regrette qu’il y ait « trop de social et pas assez de culturel » dans la capitale. Cette opposition de style est en quelque sorte confirmée par le cabinet Picqué lorsque celui-ci déclare à propos de la programmation 2011-2015 que « l’on est sorti de la cohésion sociétale pour aller vers la cohésion sociale ».

« Bruxelles pourrait être marquée par plus de projets culturels innovants qui peuvent être utilisés pour augmenter la convivialité, comme à Manchester ou Lille qui ont réussi leur reconversion autour de projets, notamment de proximité, où le public cible est partie prenante », continue Andréa Rea en expliquant ce manque de socioculturel par l’hégémonie « de ce qui a été développé par le passé à Bruxelles [NDLR notamment l’alphabétisation] et qui monopolise les budgets » au détriment des activités socioculturelles « qui ne sont pas poussées par des groupes puissants ».

Notons néanmoins que beaucoup d’intervenants parlent d’une certaine « latence » actuelle qui permettrait aux projets socioculturels de se maintenir en gardant une marge de confort pour accueillir un public pas toujours en adéquation avec les nouvelles priorités, une des difficultés rencontrées par beaucoup de structures.

Conséquences côté pile

Malgré cette « souplesse », quels ont été les effets du « recentrage » pour les structures qui avaient développé des projets socioculturels ? Côté négatif, la coordination cohésion sociale de Jette note qu’il y a eu des « projets sortants », dont certains importants, sans pour autant que des solutions de remplacement ne voient le jour. « Il s’agit notamment du projet « Mixture Urbaine » qui promouvait la cohésion sociale par les arts urbains. Un autre projet comme « Interquartier » a dû se raccrocher au soutien scolaire et concerne dès lors plus les enfants et moins les adolescents alors que la commune avait fait une priorité de l’accompagnement des ados », explique Anne-Françoise Nicolay, coordinatrice cohésion sociale à Jette2 qui souligne que pour pallier les manques ainsi créés, la commune a mis sur pied la plate-forme « Mieux vivre ensemble » dont le but est de travailler sur l’intergénérationnel et le multiculturel.  

… et côté face

Pour d’autres structures, il n’a pas fallu modifier les projets, tout simplement parce que ceux-ci se déroulaient déjà en partenariat avec d’autres organismes travaillant sur une des (ou les) trois priorités. Cirqu’Conflex3 − qui effectue un travail social basé sur le cirque − à Anderlecht, et le Brocoli Théâtre4 − qui collabore avec des structures travaillant sur le français avec des étrangers − à Forest, sont dans ce cas. « Le problème réside dans le fait que nous allons désormais devoir choisir nos partenaires de manière « orientée » [NDLR pour « coller » aux priorités] alors qu’avant cela se faisait de manière plus spontanée », souligne néanmoins Caroline Detroux, coordinatrice de Cirqu’Conflex.

Du côté du Brocoli Théâtre, on resitue le débat dans une perspective historique. « Sans le savoir peut-être, Charles Picqué redirige certains budgets artistiques vers ce pourquoi ils avaient été créés à la base », explique en guise de conclusion Gennaro Pitisci, directeur du Brocoli théâtre en faisant allusion au rôle d’« éducation populaire » dévolu au premier ministère de la Culture créé en France en 1959 et confié à André Malraux…

1. ULB, Institut de sociologie :
– adresse : CP 124, av. Jeanne, 44 à 1050 Bruxelles
– tél. : 02 650 33 72
– courriel : area@ulb.ac.be
2. Coordination cohésion sociale de Jette :
– adresse : ch. de Wemmel 100 à 1090 Bruxelles
– tél. : 02 423 12 09
3. Cirqu’conflex :
– adresse : rue Porselein, 17 à 1070 Bruxelles
– tél. : 02 520 31 17
4. Brocoli théâtre :
– adresse : rue de la Charité, 37 bte 33 à 1210 Bruxelles
– tél. : 02 539 36 87
– courriel : brocoli@skynet.be

Julien Winkel

Julien Winkel

Journaliste

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