«La peur biaise nos choix entre sécurité et liberté.» «Le pilotage politique des enjeux universels semble confisqué.» «Les progrès des technologies sont si rapides que leurs usages sociaux sont inchoisissables.» Et cetera. En une heure comme celle-ci, vu d’aujourd’hui, ce que nous avons fait il y a 20 ans en créant Alter et lui faisant faire ses premiers pas, cela m’apparaît avoir trempé dans cette idée simple et précieuse que la liberté et la démocratie – pour tous – sont des fins en elles-mêmes et requièrent des moyens libres.
Cette idée, l’actualité récente pourrait bien être en train de nous indiquer à quel point elle reste le programme, le sens de l’action, pour tout organe d’information indépendant dans les 20 ans qui viennent. Pour le dire autrement, la production de savoirs communs (par l’enquête, par le débat, par l’engagement), l’action collective, l’expérimentation sociale et institutionnelle, la réinterrogation permanente de nos outils, tout ce travail du social, l’air de rien, cela contient – et donc conditionne – les réponses à la question de notre devenir commun.
C’est devenu le cas depuis que nous sommes entrés dans la modernité, depuis qu’il est apparu que c’est nous, tous ensemble, qui avons collectivement prise sur notre devenir – pas un dieu, pas un super-chef, pas le destin, la nature ou la science. Mais une chose a changé depuis 20 ans, cette belle idée, ces affirmations, cet engagement, ils peuvent sembler toujours aussi banals, mais ils ne vont plus complètement de soi. Il y a quelque chose en eux qui court incroyablement à contre-courant, quelque chose de potentiellement hyper-radical et subversif.
Peut-être que je vieillis, peut-être que je suis trop sensible à l’esprit du temps. Mais cela ne change rien en réalité: pour les 20 ans qui viennent, un fil rouge sera de participer à ce qui dans notre culture et dans nos institutions opte pour l’expansion de la démocratie plutôt que pour son recul. Se battre avec toujours la même idée, en réinventant plus de choses et en en jetant autant d’autres à la poubelle.
C’est peut-être trop abstrait, un peu général, mais je ne trouve pas de meilleure façon de dire en 2015 quel sera le visage d’une presse sociale indépendante dans 20 ans.
Thomas Lemaigre, chercheur et enseignant en politiques sociales, cofondateur d’Alter
A l’occasion de notre numéro spécial 20 ans, Alter a donné carte blanche à des anciens de l’Agence, des lecteurs fidèles ou des personnalités que l’on interroge régulièrement dans nos colonnes. Lire les autres cartes blanches