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Une prison «mamans admises» à Haren ?

Dans la future prison de Haren, des « unités de vie » devraient accueillir les femmes détenues avec leur bébé et favoriser le maintien des relations avec leurs enfants. On annonce même des « maisons ouvertes » aménagées pour diminuer l’impression d’enfermement ainsi que la présence d’éducateurs payés par la Communauté française comme soutien à la parentalité. Un projet qui ravit tous ceux qui dénoncent depuis longtemps l’impact désastreux de l’incarcération sur les enfants.

©Flickr Coincoyote

Dans la future prison de Haren, des «unités de vie» devraient accueillir les femmes détenues avec leur bébé et favoriser le maintien des relations avec leurs enfants. On annonce même des «maisons ouvertes» aménagées pour diminuer l’impression d’enfermement ainsi que la présence d’éducateurs payés par la Communauté française comme soutien à la parentalité. Un projet qui ravit tous ceux qui dénoncent depuis longtemps l’impact désastreux de l’incarcération sur les enfants.

Les femmes ne sont pas nombreuses en prison. Elles constituent à peine 4% du nombre total de détenus. Mais la toute grande majorité d’entre elles (85%) avaient un enfant de moins de 6 ans au moment de leur incarcération. Une dizaine de bébés de moins de 3 ans vivent avec leur mère détenue et, en Communauté française, une petite soixantaine d’enfants de moins de 6 ans voient plus ou moins régulièrement leur mère en prison. Et pas du tout dans de bonnes conditions. Cela fait des années que des pédiatres, l’ONE et le délégué général aux Droits de l’enfant dénoncent un système carcéral néfaste pour les enfants en bas âge.

«C’est toute l’ambiance carcérale, visuelle et auditive qui est inappropriée pour un enfant en bas âge, explique Marylène Delhaxhe, conseillère pédiatrique auprès de l’ONE. Ce sont les cris, les bruits des portes, la promiscuité, les relations tendues avec les autres détenues ou avec les gardiennes. Ce contexte carcéral n’est pas sans conséquences sur le développement de l’enfant. Même si on n’a pas de suivi à long terme sur ces enfants, on constate, dans les pouponnières, certaines séquelles du séjour en prison. Ils ferment toutes les portes, ont peur du bruit. Chez les enfants en bas âge, on voit apparaître des phobies nocturnes, des angoisses d’abandon. Si la mère est dépressive ou en conflit avec d’autres détenues, l’enfant ne va pas bien non plus. La prison est une ‘ambiance’ à risques, poursuit la conseillère pédiatrique de l’ONE. Il y a une contradiction constante entre la logique sécuritaire et la logique sociale et psychologique.»

Pour les agents pénitentiaires, les enfants en prison sont une charge supplémentaire et la défense de leurs intérêts n’est pas une priorité. «Si une mère veut sortir avec son enfant dans le jardin parce qu’il fait beau, elle ne peut pas le faire si ce n’est pas le moment prévu par le règlement.» Marylène Delhaxhe constate que cette logique sécuritaire prend de plus en plus le pas. On est moins souple qu’auparavant face aux incidents de la vie pénitentiaire, comme l’hospitalisation subite de l’enfant.

Enfin, l’aspect «imprévisible» de la détention a aussi un impact non négligeable sur la qualité des liens. Ainsi, les transferts entre prisons interrompent les démarches entreprises par la mère pour recevoir la visite de l’enfant. Chez les enfants vivant hors de la prison, ce sont les petits de moins de 6 ans qui courent le plus de risques de n’avoir des contacts avec leur mère que d’une manière irrégulière, exceptionnelle, voire jamais, constate une étude menée par l’Université de Liège et le Fonds Houtman. Ce rapport dénonce également l’absence de formation spécifique des agents pénitentiaires dans leurs contacts avec les enfants des détenues, même si des progrès apparaissent dans certaines prisons dans l’octroi de certains services (soins) ou de certains biens (jeux, alimentation adéquate).

Des éducateurs en prison

La future prison de Haren devrait transformer les conditions de vie des détenues et de leurs enfants. L’administration pénitentiaire a présenté, fin 2013, un projet qui prévoit la création d’«unités de vie mères/enfants» et d’unités spécifiques pour les femmes enceintes. Une unité serait créée dans la prison même (section fermée) et une autre serait placée en milieu «ouvert», c’est-à-dire en dehors du périmètre de surveillance de la prison. Cette «maison ouverte» aurait une infrastructure particulière (jardin, espace séjour, cuisine et mobilier adaptés) mais aussi des règles de vie différentes allant dans le sens d’un «effacement» maximal de l’enfermement. Les détenues auront droit à une formation, pourront travailler dans un magasin, explique l’administration pénitentiaire. On parle d’un atelier de repassage «accessible» à tous. Il y aurait également des possibilités de sortie pour l’enfant en famille avec l’aide de bénévoles et la formation du personnel pénitentiaire.

Tout cela rencontre parfaitement les recommandations du protocole d’accord signé le 23 mai dernier entre la Communauté française, le ministère de la Justice et l’ONE. Ce protocole règle le rôle de chaque partie dans l’accueil des enfants en bas âge auprès du parent détenu et l’accompagnement des femmes enceintes. Il évoque la création de ces «unités de vie» comme celles prévues dans la prison de Haren. Et avec elles la possibilité pour l’enfant de sortir de prison, d’avoir accès à des conditions d’espace, de sommeil, d’alimentation et des activités compatibles avec son âge. Le protocole prévoit aussi l’intégration dans la prison d’éducateurs et de pédiatres engagés par la Communauté française. Leur mission serait de veiller au bien-être de l’enfant et de soutenir la détenue en tant que mère. Ils devraient aussi assurer le maintien des relations avec l’autre parent et avec les proches de l’enfant. Leur présence est en tout cas annoncée dans la présentation de la future prison de Haren.

Marylène Delhaxhe soutient évidemment ce protocole, sauf sur un point qui la tracasse un peu. La durée maximale du maintien de l’enfant avec sa mère en prison est fixée à trois ans, conformément à la «loi de principe». «Trois ans, c’est beaucoup trop long, dit-elle. En France, la durée maximale de l’“enfermement” d’un enfant en bas âge a été fixée à 18 mois, aux Pays-Bas, à neuf mois. Même si la plupart du temps, les enfants ne restent pas en prison jusqu’à trois ans, nous aurions voulu voir diminuer cet âge maximal.»

Et que dire de la future prison de Haren? Marylène Delhaxhe reste prudente car elle s’interroge sur le nombre d’enfants qui se retrouveront bien dans les unités de vie «ouvertes». «On prévoit des enfants des deux côtés. Si quatre enfants sur cinq se retrouvent dans l’établissement fermé, le progrès sera limité. Les maisons ouvertes permettent de diminuer les effets néfastes de l’ambiance carcérale.» Un bon point aussi pour la présence prévue d’éducateurs de la Communauté française. Il faut, dit-elle, des personnes «ayant des qualités sur le plan psychologique. On éviterait les drames provoqués par le placement en urgence d’enfants, en raison des conflits entre la mère détenue et des agents pénitentiaires».

La prison de Haren pourrait «révolutionner» les conditions de vie des mères détenues et de leurs enfants mais cette révolution est très relative. Dans ce domaine, la Belgique est très en retard par rapport aux pays voisins. Au Danemark, il existe dans certaines prisons des «responsables d’enfants» qui accompagnent ceux-ci lors des visites. Les unités de vie mères/enfants existent depuis plus de dix ans dans beaucoup de pays européens : l’Espagne, l’Allemagne, les Pays-Bas. «Il y a quelques années, nous espérions lancer ce genre de projet lors de la construction de la prison de Marneffe, se souvient la conseillère pédiatrique de l’ONE. Mais cela a échoué. On n’avait pas l’esprit assez ouvert en Belgique.»

 

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Martine Vandemeulebroucke

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