Après la régie des quartiers, voici la régie d’habitat rural. Un premier projet pilote de ce type est aujourd’hui développé dans une ferme en Val de Sambre parle Fonds du logement wallon. Ses missions : l’insertion socioprofessionnelle et la dynamisation des alentours.
Le décor est impressionnant. Lovée dans le creux d’un terrain légèrement en pente, la ferme de la Forestaille, près de Lobbes, semble tout droitsortie d’un roman de Paul Harding. Construite de lourdes pierres grossièrement taillées, la bâtisse aux toits partiellement effondrés est disposée en carré,délimitant une cour de pavés inégaux au bout de laquelle monte vers le ciel une tour dont la date de construction est gravée dans le roc : 1666. Autour, champs etforêts s’étendent à perte de vue, survolés par des nuées d’oiseaux luttant contre un vent bien frais malgré le soleil généreux qui baigne lesenvirons.
Dans cette ambiance de bout du monde, certains indices laissent cependant deviner que quelque chose se trame. Plusieurs cheminées fument, des lumières sont allumées auxfenêtres et puis, surtout, des bruits de marteaux et de scies électriques brisent le silence et trahissent la vérité : nous ne sommes pas au moyen-âge, et lavieille ferme1 est en pleine rénovation. Elle a été choisie par le Fonds du logement wallon2 pour accueillir la première régie d’habitatrural, baptisée « Régie d’habitat rural en Val de Sambre »3.
Les régies des quartiers comme inspiration
Inspiré de l’exemple des régies des quartiers, le projet de régie d’habitat rural poursuit les mêmes missions : développer la dynamique des« quartiers » (ici, il s’agit plus des environs) et accompagner à l’insertion socioprofessionnelle des demandeurs d’emploi peu qualifiés. Mais l’initiative ruralejouit d’un statut un peu particulier. « Ce projet est unique et pilote en Région wallonne, explique Annie Dubreucq, déléguée à la gestionjournalière de la régie pour le Fonds. L’arrêté qui réglemente les régies n’en prévoit en effet pas en milieu rural, mais bien en milieu urbain et dansles quartiers de cités de logements sociaux. Pour mettre en place le projet, nous avons donc dû obtenir un accord de la Région wallonne pour l’assimiler aux régies dequartier et pouvoir bénéficier des subsides régionaux. » Le CPAS et la commune de Lobbes, tout aussi impliqués, car membres fondateurs, ont également dûdonner leur aval4.
Lancée en juin 2010, l’initiative de Val de Sambre en est donc à ses débuts, même si le projet avance bien. Le projet ISP, centré sur le maraîchagebiologique et l’entretien d’espaces verts, tourne à plein régime puisque dix stagiaires sont actifs à la régie et qu’une liste d’attente est déjàconstituée. « Ils proviennent principalement du CPAS et bénéficient de contrats Forem de trois mois renouvelables jusqu’à un an maximum5 »,explique Jean-François Tesain, médiateur social. Il ajoute que le projet englobe Thuin, Merbes-le-château, Lobbes et Erquelinnes. Avant de se mettre au maraîchage età l’entretien d’espace vert, les stagiaires ont également pu se frotter de facto à une « filière bâtiment » puisqu’ils ont étéimpliqués dans la remise en état des lieux. « Il a notamment fallu retaper la grange et déblayer la cour qui était recouverte de plusieurs centimètres deterre », sourit Jean-François Tesain.
Des clients aux petits légumes
Les terres appartenant à la ferme, 21 hectares de champs et de bois, ont également été partiellement aménagées pour faire notamment place au potager d’unhectare et demi dans les sillons duquel topinambours, salades, potirons, potimarrons, fenouils et autres poireaux sont cultivés. Des légumes qui sont ensuite acheminés versdifférents points de vente du coin (point de vente à Thuin, épicerie sociale du CPAS d’Erquelinnes, etc.) où sur le site de la ferme. Un élément importantpuisqu’il participe à la mission de redynamisation du « quartier » qui échoit à la régie. « Dès la création du projet, nousnous sommes dit qu’il fallait que les gens de la localité viennent ici, souligne Jean-François Tesain. La ferme était très importante dans le passé, ils sontheureux de voir le site revivre. Aujourd’hui, entre autres grâce au bouche-à-oreille, pas mal d’habitants viennent et reviennent acheter leurs légumes toutes lessemaines. » Ils sont accueillis et accompagnés par les stagiaires à qui la gestion de la vente des légumes a été confiée. Celle-ci s’effectue sousforme de colis ou par le biais de la cueillette puisqu’il est possible de se rendre sur le potager afin de faire son choix.
Le public également est invité sur le site à l’occasion d’événements, comme ce fut le cas lors de la fête des voisins au cours de laquelle 300personnes sont venues découvrir la régie. Un bon moyen pour celle-ci de se faire connaître et de décrocher des chantiers formatifs à l’extérieur pour lesstagiaires. « Le premier chantier que nous avons effectué a été l’entretien d’espaces verts dans un home pour personnes âgées, explique JonathanCuisenaire, ouvrier compagnon. Nous avons d’autres projets extérieurs sur le point de démarrer, comme l’entretien de sentiers communaux dont on n’a plus pris soin depuis 10 à 15ans pour certains. »
« Une vie de moine »
Du côté des stagiaires, on semble se plaire à la régie. Si tous y sont présents pour acquérir certaines compétences, plusieurs d’entre eux pointentl’isolement et le contact avec la nature comme une source de satisfaction supplémentaire, voire principale. « Le contact avec la nature est très important, il nous permet denous ressourcer », explique Emmanuel. Christophe quant à lui insiste sur le côté presque monacal de ses journées à la régie. « On estisolés ici, c’est une vie de moine qui me semble mieux que tout ce que je pourrais faire à l’extérieur. »
Deux témoignages qui n’étonnent pas Jean-François Tesain « Nos stagiaires n’ont pas toujours eu recours à des outils« appropriés » et sont socialement en décalage. Certains cherchent donc ici, par le côté particulier de la régie, à se reconstruire,à prendre du recul par rapport à un passé difficile… Cela dit, de nombreuses personnes soulignent également que les profils de nos stagiaires sont différe
nts deceux issus du centre de Charleroi, par exemple. Il y a chez eux un intérêt pour ce type d’environnement ou pour le travail à l’extérieur. » « Laculture de gens habitant ici n’est pas comparable à celle de personnes issues de quartiers plus urbains, ajoute Jonathan Cuisenaire. Je pense que leur éducation en milieu rural, leurmentalité est différente. »
Malgré cette différence, les deux « publics » seront amenés à se rencontrer dans le futur puisqu’une aile de la ferme sera transformée enespace d’habitat collectif pouvant accueillir, pour quelques jours, une dizaine de stagiaires issus de régies des quartiers. Autre chose : cinq logements de deux à trois chambrespour familles à revenus modestes seront aussi aménagés dans la ferme. De quoi apporter encore un peu plus de vie sur le site même si cet aspect du projet nécessiteraaussi la mise en place d’une cohabitation harmonieuse lorsque les premières familles viendront s’installer début 2013.
« Les jardins collectifs plantent leur réseau«
1. Achetée en 2008 par le Fonds wallon du logement.
2. Fonds wallon du logement :
– adresse : rue de Brabant, 1 à 6000 Charleroi
– tél. : 071 20 77 11
– site : www.flw.be
– courriel : contact@flw.be
3. Régie d’habitat rural en Val de Sambre :
– ferme Forestaille, 12 à 6542 Sars-la-Buissière
– tél. : 071 55 70 61
– courriel : rhrvaldesambre@gmail.com
4. L’EFT « L’Essor » fait aussi partie des membres fondateurs.
5. Le Forem octroie notamment aux stagiaires un euro de l’heure de « défraiement » et rembourse leurs frais de déplacement.