Un article publié dans les Échos du crédit et de l’endettement n°76, octobre-novembre-décembre 2022.
Depuis 2005, le CAMD organise des ateliers de prévention du surendettement à l’intention d’une série de publics fragiles et susceptibles de rencontrer des problèmes d’endettement au cours de leur parcours. Ces personnes fréquentent des organismes relevant de l’insertion socioprofessionnelle et de la promotion sociale, de l’accueil des primo-arrivants dans le cadre du parcours d’intégration ou encore de l’accueil de jeunes en difficulté financière ou en rupture familiale. L’objectif: apporter une assistance aux personnes sur les solutions au surendettement et l’existence et les activités de services de médiation de dettes.
Délibérément le CAMD et les animatrices chargées de ces ateliers, Anne-Marie Trivier et Denise Douin, ont refusé l’appellation d’«éducation financière» pour qualifier ces ateliers, car il s’agit de mettre en lumière avec les participants les différents facteurs qui peuvent mener au surendettement et qui, tant s’en faut, seraient exclusivement imputables aux comportements inappropriés des consommateurs, gérant mal leur budget et usant et abusant du crédit. Selon les initiatrices du projet, il s’agit notamment durant ces ateliers de considérer les conditions socio-économiques dans lesquelles les personnes en fragilité sont amenées à vivre et de ne pas dédouaner la société, les prêteurs, les huissiers… de toute responsabilité dans la survenue des difficultés des personnes.
Ces ateliers sont conçus comme des espaces d’échanges, de discussions et de débats, afin d’apporter des informations pour être mis en capacité de mieux comprendre le système dans lequel les personnes évoluent, pour ouvrir un questionnement sur les possibilités d’adapter son mode de vie (et non donner des injonctions en ce sens) et informer et former sur les ressources disponibles dans le paysage de l’aide sociale.
Interroger la prévention
L’étude effectuée par la FDSS à propos de ces ateliers s’est basée sur l’observation de séances d’animation, une analyse collective avec l’équipe du CAMD et des entretiens avec les participants aux ateliers et les professionnels des organismes commanditaires des ateliers. Il en ressort la nécessité d’appréhender les différentes échelles de responsabilité à prendre en compte pour lutter contre le surendettement et dès lors d’interroger la prévention qui a tendance depuis plusieurs décennies à prendre un tournant individualiste, en s’adressant à des publics cibles à qui il est demandé d’adopter des comportements permettant – soi-disant – d’écarter les risques auxquels ils seraient exposés. Les ateliers sont donc conçus pour éviter une lecture centrée exclusivement sur la responsabilité individuelle des personnes.
La question qui se pose est donc de savoir comment parler d’argent et de gestion budgétaire en tenant compte du fait que les risques de se surendetter relèvent davantage des inégalités sociales qu’à des comportements inadaptés. Il s’agit d’adopter une approche juste et nuancée, sans éluder la possibilité d’améliorer sa gestion budgétaire, mais en reconnaissant les rapports différents que les individus peuvent entretenir avec l’argent et l’existence de modes de vie pluriels, ainsi que les réalités socio-économiques vécues par les personnes. Les ateliers peuvent par exemple inviter les participants à tenir compte d’une temporalité plus longue. Comme l’explique cette participante, «je faisais déjà ça, simplement, tous les mois, je marque ce que j’ai en sortie, mon loyer, mon électricité, toutes mes charges, ce que je peux me permettre en nourriture […]. C’est vraiment le budget, mais jamais forcément annuel, avec voyage… L’outil qu’elles ont montré, c’est nettement mieux, parce que ça fait un meilleur budget. Je peux me rendre compte de ce que je peux mettre de côté»1.
Il en ressort la nécessité d’appréhender les différentes échelles de responsabilité à prendre en compte pour lutter contre le surendettement et d’interroger la prévention qui a tendance depuis plusieurs décennies à prendre un tournant individualiste.
Il faut aussi être prudent pour ne pas tomber dans des impasses. Une animatrice soulève par exemple que «ça n’a aucun sens d’aller vers des personnes qui ont le RIS et de leur dire “on va voir comment mieux gérer votre budget”. Ça, c’est une aberration». D’autant que, pour bien des personnes participantes, le fait d’être très attentives à leurs dépenses est une préoccupation très présente dans leurs pratiques quotidiennes. C’est le cas de Mounia qui souligne cette inquiétude: «Moi je suis rodée. Je suis intervenue en disant que moi, mes courses, je les fais dans plusieurs magasins différents […]. J’ai appris à faire mes courses, une fois par mois. Les premières courses, je les fais sans mes enfants, pour les basiques.»2 Pour autant, une place est laissée au partage de bons plans amenés par les animatrices et les participants.
Enfin l’accent est également mis sur certaines pratiques à risque, notamment au moyen de l’outil de «la ligne du temps de la dette» qui passe en revue les effets à court, moyen et long terme d’une facture en retard de paiement. L’explicitation des différents types de crédit permet aussi d’interpeller sur la spirale du surendettement et les risques inhérents à ce type de produits financiers.
Encourager le recours aux droits et aux aides
La prévention du surendettement passe également par le fait de lutter contre le non-recours aux droits, aux services et aux aides. Dès lors, les ateliers sont conçus comme pouvant dispenser une information aux participants sur les droits, les protections et les aides auxquels les personnes vivant en précarité peuvent prétendre. Les différents services et acteurs du paysage de l’aide juridique, sociale et administrative sont cartographiés et les procédures pour les solliciter sont également exposées. Il s’agit donc de permettre d’accéder à des informations fiables.
Les ateliers permettent aussi d’informer les personnes sur le fait qu’une série d’aides existent, mais elles ne sont pas forcément renseignées au moment adéquat ou ne sont carrément pas proposées. Il est donc important de mettre les personnes en capacité de pouvoir revendiquer les droits ou les services auxquels ils peuvent prétendre. «Maintenant je sais que quand j’aurai un appartement, je sais comment faire pour le loyer, par exemple pour payer la caution si j’ai besoin ou pour les factures de chauffage, gaz, électricité, je sais comment faire pour avoir une aide» (Mohamed)3. Le fait d’être mis au courant des aides existantes constitue une véritable plus-value des ateliers.
Parfois aussi l’aide est connue, mais est vécue comme stigmatisante ou trop complexe pour engager les démarches. Le sentiment de honte ou la crainte d’être jugé interviennent aussi dans le non-recours: dès lors les ateliers se positionnent comme des espaces qui invitent à la mise en mouvement, à réagir sans attendre. Comme le souligne une participante, «les animatrices» insistent fort sur la prévention et sur le fait de «ne pas rester chez soi en ne faisant rien et en accumulant tous ces retards de paiement: “Agissez directement, quoi. On ne vous jugera pas en allant chez un médiateur de dettes”» (Elisa)4.
Emporwerment et approche de groupe
Les ateliers développés par le CAMD se reposent aussi sur une volonté de reconnaissance de l’expertise des participants sur leurs expériences de vie. Les ateliers partent en effet du postulat que chaque participant a vécu des expériences significatives à partager. Les interactions favorisent une meilleure articulation entre les informations théoriques et la manière dont les situations se déroulent dans la réalité.
Cette approche dite narrative où l’on part de l’histoire de la personne demande certaines conditions de confiance et une bienveillance dans la manière de concevoir ces ateliers comme des espaces sécurisés. Le fait de prendre le parti de l’échange permet une reconstruction collective de sens et une prise de recul sur sa propre situation, au regard des expériences vécues par les autres membres du groupe.
La reconnaissance des injustices sociales vécues par les participants peut aussi prendre place dans ces ateliers. La possibilité d’un regard critique sur le système, la politique, la justice… permet aussi d’exprimer un questionnement plus politique sur les enjeux de l’endettement, en gardant le juste équilibre entre une information objective et une analyse plus subjective de la situation.
1. Lotte Damhuis, Alexia Serré, Pauline Feron, Prévenir le surendettement via des ateliers collectifs ? Retour sur un dispositif, FDSS, Les Cahiers de la Recherch’action #13, juin 2022, p. 24.
2. Cahiers de la Recherch’Action #13, idem, p. 27.
3. Ibidem, p. 35.
4. Ibidem, p. 36.