Le SRDU (Secrétariat régional au développement urbain)1 a organisé, au cours de la semaine du 19 au 23 novembre, une réflexion sur le devenir deBruxelles. Colloque international, « Demain la ville »2 a réuni des experts européens pour se pencher sur les enjeux auxquels les métropoles de petite oude moyenne taille (comme Bruxelles) sont confrontées.
L’événement se déroulait en trois temps : d’abord, un colloque international sur le devenir des villes qui s’est tenu à Flagey les 19 et 20 novembre ; ensuite, des« focus groupes » qui se sont penchés sur le devenir spécifique de Bruxelles les 21, 22 et 23 novembre ; et enfin, des conclusions ont étéprésentées le 23 novembre. Les interventions étaient riches et s’adressaient davantage à des spécialistes qu’au tout-venant.
En entrée du colloque, Pascal Roggero, maître de conférences en sociologie et démographie a insisté sur la difficulté d’appliquer des politiques publiquesà des territoires aussi complexes que sont les villes. Selon lui, on peut « parier sur un ressourcement démocratique par le local, là où les décisionspubliques sont en prise directe avec la vie quotidienne et où les responsabilités peuvent s’incarner plus aisément. On le sait, les expériences de démocratieparticipative ne parviennent pas , très généralement, à associer les populations à la définition des politiques publiques. Les mécanismestraditionnels de captation de parole publique par quelques leaders d’opinion et l’atonie politique des populations découragent les élus les mieux intentionnés, les autress’accommodant de cet échec avec plus ou moins de cynisme. » Les processus participatifs pourraient toutefois être réinventés en recourant davantage à Internet,estime-t-il. Cependant, il faut aussi garder à l’esprit qu’une « collectivité territoriale » n’est pas l’autre.
Pour suivre, la réflexion s’est répartie entre trois ateliers thématiques, lesquels se sont eux-mêmes subdivisés en trois groupes de travail.
Mixité urbaine et cohérence territoriale
L’atelier « mixité urbaine et cohérence territoriale » s’est donc réparti en trois sous-groupes pour réfléchir à la problématique d’unemixité socio-spatiale :
• « Mixité. Oui! Mais quelle mixité? » : Jacques Donzelot, maître de conférences en sociologie politique à l’Université de Paris X, aproposé de retourner le concept de mixité. Pour lui, rien ne sert d’imposer une mixité réactive pour lutter contre les différentes formes de cloisonnements, qu’ils’agisse de relégation ou de gentrification. Il insiste sur la nécessité de réfléchir à une mixité proactive pour que les groupesréfléchissent à un développement de la ville. Face à la gentrification et pour favoriser la mixité, il suggère de jouer sur le développement del’offre de logements : réquisition de logements vides, développement du logement acquisitif, densification de l’habitat, etc. ;
• « De l’observation territoriale au développement de projets » : Alessandro Balducci, professeur de politiques urbaines et territoriales à Milan, est parti del’exemple de Milan pour illustrer son propos. L’extension de celle-ci s’est traduite par un étalement urbain avec une fragmentation économique, sociale et administrative. De nouveauxliens sont apparus entre les personnes sur un mode de réseaux plutôt que géographique. Milan a commencé à développer un « projet de ville de villes». Selon lui, Bruxelles a besoin d’un observatoire qui déborde de Bruxelles et soit indépendant des Régions. Son ère territoriale doit privilégier desmontages de collaborations entre communes à géométrie variable, en fonction des thématiques. Il faut également développer des outils de gestionstratégique : par exemple, un forum ouvert pour réfléchir à vivre ensemble.
• et « Gouvernance participative : le défi de processus de création de politiques pluralistes » : Artur da Rosa Pires, professeur de politiques de développementspatial et planification à Aveiro (Portugal), s’est penché sur la nécessaire mise en place d’une vision partagée. Se basant sur des expériences portugaises, ilsouligne l’importance des réseaux pour partager des expériences de leadership spontané. Beaucoup d’associations bruxelloises étaient présentes dans le groupe et ontcritiqué le modèle participatif bruxellois. Aussi, plusieurs recommandations ont été émises par le groupe : les participants ont souligné l’importance de lamémoire, de l’évaluation des outils mis en place ; l’importance de la professionnalisation ; et l’importance d’améliorer la communication, l’information et les processus departicipation.
Discrimination territoriale
Ici aussi, trois groupes de travail se sont réunis. L’atelier « discrimination territoriale » s’est scindé comme suit pour tenter d’apporter des réponses àl’évolution contrastée entre territoires prospères et territoires en difficulté :
• « Intelligence territoriale, pour un territoire apprenant » : le groupe rassemblé autour de Philippe Herbaux, délégué à l’Intelligenceterritoriale et économique de l’Université de Lille2, s’est emparé de la question de «l’intelligence territoriale » pour lutter contre la discriminationterritoriale des quartiers plus fragilisés. Néanmoins, avant de passer à l’action, il convient de s’informer. Mais comment faire à une époque où l’on estsubmergé par l’information ? En effet, si l’on attend d’avoir traité complètement toute cette information, on prend cinq ans de retard et la réponse sera forcémentdécalée. D’où la nécessité de recourir à l’intelligence territoriale, de confronter des visions d’experts et la mémoire locale (évaluation)pour arriver à un planning à long terme.
Ce modèle est-il applicable à un territoire comme Bruxelles? A priori, oui, puisqu’il faut un intérêt commun pour mettre en œuvre l’intelligence territoriale.Or, de par sa fonction de ville, Bruxelles est une communauté naturelle d’intérêts. Bruxelles peut effectivement faire appel à ses quatre universités pourdévelopper ce modèle. Il est important de partager, de mutualiser l’information entre tous les acteurs concernés, privés ou publics. Il faut aussi s’assurer que tout lemonde ait accès à l’information, donc investir à cette fin : l’introduction de l’intelligence territoriale aura effectivement un coût.
• « Entre démocratie et maîtrise des politiques : le management des échanges dans les régions métropolitaines » : au sein du groupe
de FrankHendriks, professeur en science administrative comparée à l’Université de Tilburg (Pays-Bas), il a été rappelé que la Belgique fonctionnait suivant le modede la démocratie consensuelle. Ce système peut-être complété par un processus de démocratie participative, mais qui a mis du temps à arriver.Dès lors, comment améliorer la concertation par une meilleure participation des citoyens? De nouvelles façons de travailler doivent être envisagées.
• « Des projets urbains de qualité : solutions spécifiques versus génériques » : pour Josep Acebillo, directeur de Barcelona Regional, agencemétropolitaine pour le développement de l’urbanisme et des infrastructures, les villes doivent se positionner comme des entités spécifiques. Étant donné ledéveloppement de la concurrence internationale, il faut développer un nouveau modèle de métropole. Pour lui, il faut lutter contre les déraillements urbanistiques.Par exemple, du point de vue architectural, il ne faut pas négliger l’aspect fonctionnel et utilitaire. Proposition a été faite de travailler par projet sur Bruxelles pour lesadapter à la structure de la ville. Il faut aussi oser plus, innover, pour développer l’espace public qui est propre aux villes européennes.
Projets urbains structurants
Le troisième atelier mettait l’accent sur la réalisation de projets urbains structurants. Cela implique « l’intervention d’outils qui mettent en évidence les atouts dela ville et assurent que sa ‘marque’ colle à sa réalité, mais ouvrent aussi des perspectives de réalisation de projets durables ». Il faut donc des « levierscapables d’impulser l’ensemble des acteurs publics et privés autour d’un projet urbain commun et mobilisateur ». Et donc à nouveau trois sous-groupes pour se pencher sur cet enjeu:
• « L’enjeu de l’innovation sociétale et de la communication dans les projets urbains structurants » : la discussion devait porter sur l’avènement du marketing urbain,la gouvernance, la créativité et l’innovation, la communication. Faute de temps, l’aspect gouvernance n’a pu être abordé. En revanche, on s’est interrogé sur laméthodologie et les outils nécessaires pour concevoir et mettre en œuvre un marketing urbain efficace, qui s’inscrive dans le développement durable et prenne donc en comptel’ensemble des aspects environnementaux, économiques, sociaux et culturels.
• « Innovation et gestion durable » : faire du développement durable une réalité urbaine devrait permettre de développer des projets viables enmatière de mobilité, de logement… Les participants à cet atelier ont toutefois souligner le manque flagrant d’outils opérationnels.
• « La valeur ajoutée d’une agence d’urbanisme dans une opération structurante d’aménagement » : Christian Brunner, directeur général de l’Agenced’urbanisme de l’agglomération marseillaise, a démontré tout l’intérêt d’une agence d’urbanisme. Créées par voie législative, ces agences ontessaimé en France. Le but était de partir de la ville et d’offrir une plus-value pour tous les participants. L’objectif n’est pas d’être une superstructure, l’objectif est quetous les partenaires soient sur le même pied dans l’optique de privilégier l’intérêt local. Appliquée à Bruxelles, cette agence devrait idéalementdéborder les frontières régionales. En même temps, cette agence doit être neutre, ne pas être soumise à des nominations politiques. Et surtout, il fautse lancer. Cette proposition a rapellé à certains Bruxellois la période du Conseil économique régional pour le Brabant des années 70 et 80, qui rassemblaittant des politiques, des entreprises, des sociologues, des juristes et des spécialistes de l’aménagement du territoire. Notons que cet organisme a été supprimé en1989 au moment de la création de la Région de Bruxelles-Capitale, car on le considérait dépassé.
Conclusions
Peter Hall, professeur de planification et réhabilitation à l’école d’architecture et de planification du Collège universitaire de Londres, émet quatresuggestions à destination des politiques urbanistiques :
• encourager et aider le financement de programmes stratégiques audacieux aux niveaux municipal et régional ;
• mettre au point des approches qui incitent les villes à faire mieux;
• se concentrer sur le capital humain ;
• élaborer des politiques de gestion de l’espace urbain.
Selon lui, Bruxelles a tous les atouts en mains pour assurer son développement international tout en assurant une qualité de vie à ses habitants.
Concrètement, cinq grandes pistes ont été dégagées à l’issue de la semaine « Demain la ville » :
• il faut évaluer ce qui a été fait et mutualiser l’information entre les différents acteurs publics ;
• il faut créer des outils opérationnels qui mobilisent l’ensemble des acteurs sur le territoire concerné ;
• il faut développer la coopération avec les voisins directs de la Région bruxelloise qui font partie de son hinterland économique ;
• il faut favoriser la mixité sociale que ce soit dans le logement ou dans les écoles ;
• enfin, la mise sur pied d’une agence d’urbanisme ou d’une agence de développement territorial permettrait un développement plus efficient de la Ville-Région.
L’ensemble des discussions déboucheront sur un mémorandum que le ministre-président Charles Picqué présentera au printemps 2008.
Qui construit Bruxelles?
Parallèlement à la semaine de la ville, le collectif Disturb s’était vu confier la mission d’organiser une action de sensibilisation des Bruxellois. À cette fin, ilsont mis en place un espace virtuel de débats sur le thème : « Qui construit Bruxelles ? Et comment ? »
3
. Les questions portaient sur l’identité de la ville, son urbanisation, ses structures de gouvernance, la qualité de l’architecture, etc.
Plusieurs internautes ont profité de l’occasion pour pointer ce qui pose problème à Bruxelles. Certains dénonçaient ce qui a été fait au Quartierdu Midi. D’autres commentaires concernaient la mise en place de la fameuse agence d’urbanisme. Exemple d’intervention :
« OUI à plus de transversalité dans les politiques de développement de Bruxelles ! Mais une agence d’urbanisme atteindrait-elle cet objectif ? Et comment ?
Vu la diversité des compétences visées, qu’entendez-vous par “dirigée par des personnalités de renommée” ? Renommées en quoi ? Enaménagement du territoire ? En architecture ? En environnement ? En mobilité ? En économie ? En gestion d’équipe et de projet ? En communication ? …
Cette agence d’urbanisme serait-elle indépendante du politique ? Quel serait s
on mode de financement ? Quelle garantie aurait-elle en termes de liberté de penser,d’analyser, d’exprimer ? Qui nommerait son personnel ?
S’il y a actuellement un manque de transversalité et de dialogue au niveau politique entre niveaux de pouvoirs et entre compétences, en quoi une agence d’urbanismepourrait-elle améliorer cela ?
Pour développer une « vision » humaniste pour Bruxelles, pourquoi ne pas tenter des conférences de citoyens ? En deux mots : un panel de citoyens désintéressés etinformés de façon approfondie par des experts de tous bords émettent un avis sur des questions de société, leur avis devant ensuite être pris en compte parles décideurs. » (posté par Lou, 23 novembre 2007).
3. Site : http://www.etcomment.org
1. SRDU :
– adresse : bd Adolphe Max 13-17 bte 4 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 500 36 36
– site : http://www.srdu.irisnet.be
2. Site : http://www.demainlaville.org