Garderie, école de devoirs, activité culturelle le mercredi après-midi, club sportif le week-end, stage de vacances… Un monde après l’école, celui de l’extrascolaire. La plupart des enfants issus de milieux précarisés n’y ont pas accès. Trop cher, surtout. Trop compliqué, aussi, de s’y retrouver, de s’y inscrire, de s’y rendre. Conscientes de ces inégalités, certaines structures d’accueil adaptent leurs pratiques pour rendre leurs activités plus accessibles.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Plus de 30% des enfants de un à 15 ans vivant dans un ménage à risque de pauvreté ne peuvent pas exercer régulièrement des activités de loisirs en dehors du logement, contre 3% des enfants vivant dans un ménage sans risque de pauvreté1. Dans son baromètre des parents 2018, La Ligue des familles s’est quant à elle penchée sur l’accès à la garderie scolaire. Résultat: 48% des parents du niveau socio-économique inférieur déclarent que leurs enfants fréquentent la garderie, contre 74% pour la catégorie supérieure.
Les inégalités n’épargnent pas le secteur de l’accueil extrascolaire. Un secteur qui brasse large. Troisième lieu de vie des enfants – aux côtés de la famille et l’école – l’extrascolaire englobe tant l’encadrement pendant la pause de midi et la garderie que des activités éducatives, culturelles ou sportives, après l’école, le mercredi après-midi, le week-end ou pendant les congés scolaires. Une multitude d’activités, à des prix et qualités variables, proposées par différentes structures, dans leurs locaux ou ceux mis à disposition par l’école.
Des activités extrascolaires qui participent, sans nul doute, au développement de l’enfant. Antoinette Servais, chargée de projets chez Bruxelles Accueil et Développement pour la jeunesse et l’enfance (Badje), en énumère les bienfaits: «Ces activités permettent à l’enfant d’acquérir de nouvelles compétences en dehors de celles travaillées dans un cadre plus formel et scolaire. Elles renforcent l’estime de soi, stimulent la curiosité, travaillent la cohésion sociale, la vie de groupe, l’esprit de coopération, la participation… Elles permettent à l’enfant d’exprimer ce qu’il veut, ce qu’il aime.»
«Il y a une corrélation entre pratique régulière des activités extrascolaires et réussite scolaire.» Matteo Detemmerman, Éclosion asbl
La liste est longue. Et pourtant, la plupart des enfants en situation de précarité en sont privés. Les inégalités frappent, non sans répercussions sur le développement de l’enfant. Et sur ses résultats scolaires. Car celui qui a accès à l’étude surveillée ou à des activités visant son épanouissement et renforçant ses compétences aura plus de facilités sur les bancs de l’école. «Il y a clairement une corrélation entre pratique régulière des activités extrascolaires et réussite scolaire», souligne Matteo Detemmerman, animateur à Éclosion asbl, une association bruxelloise visant l’épanouissement des enfants et des jeunes via des activités culturelles, artistiques et sportives.
Ces freins à l’extrascolaire
Pour les familles en situation de précarité, l’accès à l’extrascolaire est jalonné d’obstacles. Le principal étant financier. Les prix pratiqués dans le secteur extrascolaire sont fluctuants, d’une activité à l’autre, d’une structure à l’autre, et «ne sont pas pour autant gage de qualité», informe Marie Grailet, chargée de communication chez Badje.
Sur le terrain, l’équipe d’Éclosion asbl est régulièrement confrontée au manque de moyens des parents. «Pour certains parents, même un euro reste un frein, explique Matteo Detemmerman. Ils doivent ‘choisir entre une tartine dans le cartable et une activité extrascolaire’, comme le disait Bernard De Vos. Le choix est vite fait…»
Au-delà du coût, d’autres barrières se dressent entre les enfants en situation de pauvreté et les activités extrascolaires. La mobilité en est une. «Pour certaines familles, c’est difficile de se déplacer pour se rendre sur le lieu de l’activité», remarque-t-on chez Badje. Un constat d’autant plus prégnant en milieu rural2.
Badje pointe également le manque d’accessibilité à l’information. «L’extrascolaire est très morcelé: on y trouve les écoles de devoirs, les clubs de sport, les activités dans l’école, en dehors…, explique Marie Grailet. Pour un parent moins aguerri, qui ne maîtrise pas la langue ou les codes culturels, c’est compliqué de s’y retrouver, de savoir comment ça s’organise… Difficile aussi d’anticiper l’inscription à une activité extrascolaire, pour une famille en situation de pauvreté, qui doit réfléchir au jour le jour, sur la base de son besoin quotidien.»
Un constat partagé par Éclosion. L’asbl propose des activités dans trois écoles bruxelloises, aux réalités socio-économiques très différentes. Matteo Detemmerman en parle: «À Auderghem ou Watermael-Boitsfort, les parents téléphonent, envoient un e-mail, utilisent tous ces moyens de communication. Quand on discute avec eux, ils comprennent tout de suite. Là où, à Schaerbeek, les parents rencontrent plus de difficultés à savoir comment s’inscrire sur internet. Et il y a la barrière de la langue, dialoguer est plus compliqué. C’est un réel frein pour eux. Parfois aussi, les parents se méfient du milieu associatif, qui leur est inconnu.»
Autre obstacle: l’offre d’activités extrascolaires accessibles à un public défavorisé est nettement insuffisante. Badje le remarque en Région bruxelloise: «Les places sont limitées et l’offre est inférieure à la demande, explique Marie Grailet. Une minorité d’enfants a accès aux écoles de devoirs, par exemple. Pourtant, tous les enfants devraient pouvoir accéder à ce type de soutien.»
Pour lever les barrières
Pour faciliter l’accès à leurs activités, certaines structures d’accueil adaptent leurs pratiques. En tant que fédération d’une soixantaine d’opérateurs de l’accueil des enfants et des jeunes en Région bruxelloise, Badje le constate: «Un certain nombre d’associations sont sensibles au fait que 40% des enfants bruxellois vivent sous le seuil de pauvreté, remarque Antoinette Servais. Elles veulent ouvrir leurs activités aux enfants de leur quartier et réfléchir aux façons d’accueillir ces enfants de la manière la plus adéquate possible.»
Badje les y accompagne, notamment au travers du projet «L’extrascolaire au cœur de l’intégration», une initiative du Fonds Baillet Latour en partenariat avec la Fondation Roi Baudouin3. L’édition 2019 soutient 23 associations, la plupart situées dans le croissant pauvre de Bruxelles. «Chaque structure s’adapte en fonction de ses réalités, poursuit Antoinette Servais. Pour aller à la rencontre des enfants, certaines associations organisent des activités gratuites dans l’espace public. Elles tentent aussi de créer des réseaux et des relais, en travaillant avec le CPAS du quartier. Des tarifs dégressifs sont proposés, sur la base des revenus ou du nombre d’enfants. D’autres associations organisent des stages plus chers permettant de financer des activités organisées tout au long de l’année.»
Depuis sa récente création, l’asbl Éclosion a toujours fonctionné dans cette optique, comme l’explique Matteo Detemmerman: «Notre objectif est de proposer la même qualité d’activités dans les écoles du sud et du nord de Bruxelles. Pour y parvenir, on recherche beaucoup plus de subventions pour les écoles plus populaires et on adapte les prix de nos activités en fonction de l’indice socio-économique des écoles. La gratuité est accordée aux familles en très grandes difficultés financières.»
L’équipe d’Éclosion asbl a également installé ses bureaux dans une école, à Schaerbeek, pour «être au plus près de notre public, pour rencontrer plus facilement les parents» et ainsi «lever la méfiance». Pour collaborer étroitement avec l’école, aussi. Selon Badje, renforcer cette collaboration entre l’extrascolaire et l’école est un enjeu stratégique essentiel pour le secteur, à encourager. «Si on veut toucher tous les enfants, il faut aller là où ils se trouvent, à l’école, souligne Antoinette Servais. Cette collaboration permet non seulement de tisser une relation de confiance avec les parents, mais aussi de travailler avec les équipes éducatives de l’école, de mutualiser les ressources et infrastructures…»
«Difficile aussi d’anticiper l’inscription à une activité extrascolaire, pour une famille en situation de pauvreté, qui doit réfléchir au jour le jour, sur la base de son besoin quotidien.» Marie Grailet, Badje asbl
Collaborer, tout en restant vigilant à l’accessibilité financière des activités. «Certaines écoles tendent vers la gratuité, mais si à côté de cela l’extrascolaire est très cher, on perd toute cohérence, lance Marie Grailet, de Badje. La structure d’accueil et l’école doivent porter un projet pédagogique commun visant à l’accessibilité pour tous les enfants, dans le but de l’intérêt supérieur de l’enfant.»
Un secteur à valoriser
Faciliter l’accès à l’extrascolaire va de pair avec d’autres revendications portées par le secteur de l’enfance et de la jeunesse. Réformer en profondeur les rythmes scolaires, notamment, et y intégrer de façon cohérente l’accueil extrascolaire pour tous. Refinancer le secteur, également, pour tendre vers la gratuité des activités et éviter les dérives possibles. Car, comme l’indique La Ligue des familles, «sans un investissement financier et une valorisation du secteur par les pouvoirs publics, l’accueil extrascolaire ainsi que son accessibilité et sa qualité sont voués à disparaître au profit de pratiques marchandes insécurisantes et excluantes»4.
La Fédération Wallonie-Bruxelles semble prêter une oreille attentive aux revendications du secteur. Sa déclaration gouvernementale accorde une place «aux activités extrascolaires diversifiées à haute valeur pédagogique, accessibles à tous les enfants» et à «la construction d’une politique éducative cohérente mêlant scolaire et extrascolaire». Du côté de Badje, «on a espoir que les choses bougent». La Ligue des familles s’en félicite également, mais attend de voir. «Il faut des moyens considérables pour atteindre cet objectif visant à tendre vers l’accessibilité pour tous, souligne Damien Hachez, chargé d’études. Nous verrons comment le gouvernement va réussir à atteindre ses ambitions. Le défi est de taille.»
1. Enquête sur les revenus et les conditions de vie, Direction générale statistique, 2014.
2. Selon une enquête sur les besoins en matière de temps libre menée auprès de 147 communes bruxelloises et wallonnes par l’OEJAJ, plus d’une commune rurale sur cinq témoigne de cette difficulté, contre moins d’une commune urbaine sur dix.
3. De ce projet sont nées des recommandations: «L’extrascolaire, un formidable outil d’inclusion sociale», juin 2017.
4. Dans « L’accueil extrascolaire : Quels rôles peuvent jouer les communes pour répondre aux besoins des parents en matière d’accueil extrascolaire ? », février 2017