Dans la famille «vaccin contre le Covid-19», il y a le clan des «anti». Une minorité bruyante qui monte au créneau et véhicule de fausses informations. Certains imaginent que Bill Gates nous balance des micropuces dans l’organisme qui, grâce à la 5G, permettront de contrôler les individus. D’autres craignent que le vaccin modifie notre code génétique. Une frange des «anti» exprime son opinion de manière assez radicale, comme en témoignait Sacha Daout, journaliste de la RTBF, à l’issue de son émission À votre avis, sur la Une. Il évoquait les «dégâts» de ceux qui ont «refusé d’entendre même les réponses les plus irréfutables et qui ont propagé des rumeurs, des infos bidon».
«Il est fondamental que la population sache que des citoyens construisent ensemble des recommandations dans le domaine éthique.» Chloé Mayeur, bioéthicienne chez Sciensano
Derrière le tintamarre, l’armée des sceptiques n’est pas bien nombreuse en Belgique. Selon la cinquième enquête de santé «Covid-19» de Sciensano, publiée en décembre, ils n’étaient que 15% à ne pas vouloir se faire vacciner. Et ce, pour de multiples raisons, parfois simplement par «peur des aiguilles», parfois pour plastronner face à une maladie qu’ils ne craignent pas. Parfois par un scepticisme viscéral contre le principe même de la vaccination (lire: «Anti-vaccins: la piqûre de rappel», Alter Echos n°468, novembre 2018). Ce mouvement anti-vaccin est aussi le reflet d’un mal plus profond. «Il y a des raisons politiques bien ancrées, analyse Florence Caeymaex, professeure à l’Université de Liège en éthique et philosophie politique, présidente du comité consultatif de bioéthique. C’est le symptôme de nos failles démocratiques. Beaucoup de gens ont le sentiment que les savoirs sont confisqués par l’élite. L’enjeu, c’est de reconstituer la confiance des citoyens.»
Convaincre les hésitants
Loin devant ce mouvement des opposants, il y a ceux qui adhèrent à la campagne de vaccination. Un chiffre qui augmente rapidement (59,5% en décembre, +10% par rapport à la précédente enquête de Sciensano), mais qui est bien supérieur en Flandre (67%), qu’à Bruxelles (55%) et, surtout, en Wallonie (47%).
Le baromètre interuniversitaire de l’ULB, de l’UCL et de l’université de Gand, basé sur un échantillon de 16.000 personnes, confirme cette tendance. La progression fulgurante de la «motivation vaccinale» est notable, passant de 56% en décembre à 77% en janvier. Pour Vincent Yzerbyt, professeur à la faculté de psychologie et de sciences de l’éducation de l’UCL, l’un des directeurs de l’enquête, cette augmentation de l’adhésion vaccinale est due au discours pédagogique des «autorités et des experts» et au fait que l’expression citoyenne n’a pas été accaparée uniquement «par ceux qui sont contre. Mais aussi par des individus favorables qui ont montré leur engouement pour la vaccination sur les réseaux sociaux. Cela a eu des effets d’entraînement».
Ceux que visent aujourd’hui les autorités, ce sont les hésitants. Leur nombre est important, surtout au sud du pays. La communication à leur égard est cruciale. «Une partie de la population exprime des doutes, ajoute Vincent Yzerbyt. La première des attitudes à adopter est de ne pas prendre de haut des personnes qui posent des questions légitimes.» Sans cela, «les gens réagissent à l’encontre de la position qu’on veut leur imposer».
L’information est donc l’une des clefs de voûte de la stratégie vaccinale. «Informer et répondre aux interrogations légitimes des citoyens est un devoir essentiel en démocratie et un préalable à la confiance», pouvait-on lire dans l’avis n°75 du comité consultatif de bioéthique de Belgique.
Informer, oui. Mais la Belgique reste la Belgique. Les autorités ont décidé de compliquer un peu la donne. «Le fédéral a comme mission l’information et la confiance de la population. Les Régions sont chargées de la motivation vaccinale, explique Yvon Englert, délégué Covid-19 pour la Région wallonne. Cette répartition est un peu théorique, car motivation et confiance vont ensemble. Dans la pratique, nous sommes tous dans le même bateau, nous répondons aux questions pour que les citoyens surmontent l’hésitation vaccinale.»
«Il faut saluer le fait que la vaccination soit volontaire, cela nous pousse à convaincre, c’est plus démocratique.» Yvon Englert, délégué Covid-19 pour la région Wallonne
Yvon Englert, Yves Van Laethem, le porte-parole interfédéral, Vincent Yzerbyt et bien d’autres figures désormais médiatiques de la pandémie, papillonnent de plateaux télé en webinaires pour porter la bonne parole. En Région wallonne, Yvon Englert égrène la liste des publics avec lesquels il a échangé. Le personnel et les résidents des maisons de repos et de soins. Les médecins généralistes, les pharmaciens, les dentistes, les syndicats, les mutuelles. «Des milliers d’ambassadeurs qui ensuite dialoguent avec les citoyens», lance-t-il. Selon lui, la clef pour restaurer la confiance, «c’est d’être transparent, dire ce que l’on sait, ce que l’on ne sait pas. L’idée, c’est de privilégier le dialogue direct plus que l’information ‘top down’. Il faut saluer le fait que la vaccination soit volontaire, cela nous pousse à convaincre, c’est plus démocratique, et on évite de dire ‘on ne discute pas’.»
Et, effectivement, cela discute. Dans un des webinaires organisés par la Cocom à destination du personnel des maisons de repos, Yves Van Laethem prend chaque question qui lui parvient, sans sourciller. «Les multinationales pharmaceutiques sont-elles bien celles qui profitent de la crise?» «Quels sont les effets indésirables du vaccin?» «Ce vaccin provoque-t-il des paralysies faciales?» «Dans les MRS, 90% des résidents sont favorables au vaccin (lire dans ce dossier «Laissés pour compte, les travailleurs des maisons de repos ont pris les choses en main»). Le personnel est parfois un peu plus hésitant, détaille Sven Heyndrickx, porte-parole d’Iriscare. Mais à mesure qu’il constate qu’il n’y a pas vraiment d’effets secondaires sur les résidents, sa confiance augmente peu à peu.» Pour Yvon Englert, le fait qu’un dialogue de ce type existe est le signe d’une «vraie démarche participative».
Information, dialogue et participation
L’information circule. Elle visera de plus en plus le grand public à mesure qu’il sera lui-même concerné par la vaccination. «Informer, un préalable nécessaire mais sans doute non suffisant pour créer la confiance», stipulait le comité de bioéthique dans son avis n°75.
Pour certains observateurs de terrain, malgré les efforts de communication, les autorités restent encore trop engluées dans l’info qui vient «du haut» et pas assez dans l’échange structuré et participatif qui s’intéresserait à toutes les franges de la population; c’est d’autant plus vrai dans un contexte marqué par des restrictions de libertés, via les confinements successifs. Si Pascaline d’Otreppe, de la Fédération des maisons médicales, reconnaît que la campagne de vaccination est «plus participative que ce que l’on a vu lors des opérations de ‘testing’ et de ‘tracing’», elle rappelle que ces derniers mois «ont été marqués par l’accumulation de consignes, de restrictions, et que la vaccination pourrait être perçue comme la consigne de trop».
L’adhésion aux consignes dépend aussi de la «confiance de la population à l’égard des autorités, souligne Damien Favresse, du Centre bruxellois de promotion de la santé. Dans une frange de la population, souvent la plus fragilisée, il s’agit plutôt d’une défiance. Les gens, dès lors, ne répondent pas aux injonctions. Le problème est plus profond qu’une mauvaise communication.» À Forest, l’association de promotion de la santé «Forest Quartier santé», qui travaille en priorité avec des publics précaires, avait entamé un effort de réflexion sur la vaccination avec ses bénéficiaires. Avant que le second confinement vienne compliquer la donne. «Mettre en place des démarches participatives prend du temps, témoigne Bruno Vankelegom, directeur de l’association. Mais l’information scientifique, bien qu’indispensable, ne suffit pas. Seule, elle amplifie les inégalités en favorisant ceux qui savent chercher l’information, la trier, l’utiliser. L’objectif, ici, c’est que les gens puissent faire des choix en connaissance de cause. Pour l’instant, ils ne s’y retrouvent pas, l’information est plutôt descendante.» (Lire aussi dans ce dossier «Les patients, ces experts oubliés».)
En France, Emmanuel Macron a mis sur pied un comité de 35 citoyens tirés au sort afin de faire remonter les questions liées à la vaccination et à la stratégie du gouvernement. Des questions émergent sur cet outil, au sujet de sa légitimité et de sa représentativité. Pour Florence Caeymaex, le risque d’une telle démarche, c’est qu’elle «serve d’outil de légitimation d’une politique décidée au préalable et que la marge de manœuvre des citoyens soit limitée». Il n’empêche, pour la philosophe, il est grand temps de faire bouger les modèles de décision dans le domaine sanitaire: «Il est nécessaire de s’éloigner radicalement du modèle où des experts consentent à donner leur avis. On a besoin de créer des lieux participatifs où l’information est partagée, discutée, mise en question, sur le plan tant social que médical, vu que ces dimensions sont imbriquées. Mais cela ne peut se passer que par des échanges décentralisés et locaux, où l’on parle de la vie quotidienne.»
«L’information scientifique, bien qu’indispensable, ne suffit pas. Seule, elle amplifie les inégalités en favorisant ceux qui savent chercher l’information, la trier, l’utiliser.» Bruno Vankelegom, Forest Quartier Santé
Des initiatives existent. Florence Caeymaex évoque une session de travail organisée par la Fédération des maisons médicales pour son personnel: «Les publics ont besoin de construire leur avis, en étant autorisés à émettre des critiques.» Et c’est bien cette logique que suit la Fédération des maisons médicales, comme le confirme Pascaline d’Otreppe: «Nous donnons les outils aux équipes pour qu’elles puissent donner leur avis, afin que la Fédération prenne une position commune claire à défendre auprès des usagers.»
À Sciensano, le panel citoyen
Quant aux «citoyens lambda», si ceux-ci existent, ils sont aussi consultés, via un panel de 103 personnes qu’a constitué Sciensano. Les heureux élus ont été sélectionnés parmi les 29.000 répondants à l’Enquête santé de l’institut scientifique. Six mille personnes ont manifesté le souhait de participer à ce forum de discussion sur la vaccination. Finalement, ce sont 103 personnes qui ont été tirées au sort en fonction de critères liés à leur conviction relative au vaccin, afin que toutes les sensibilités soient représentées.
Les 103 ont ensuite été réparties en petits groupes où les questions ont pu être posées à des experts. Une réflexion commune a dû émerger… en seulement deux heures. «Il s’agissait d’un véritable exercice délibératif, précise Chloé Mayeur, bioéthicienne chez Sciensano. Chaque participant devait poser des arguments pour et contre la vaccination, ainsi que répondre à la question ‘Comment devons-nous gérer une société composée de personnes vaccinées et non vaccinées en 2021?’» L’objectif était de formuler des messages clefs pour une stratégie de vaccination belge qui prenne en compte différents avis.» L’exercice portait à la fois sur les inquiétudes, les motivations et les besoins au sujet du vaccin lui-même, mais aussi sur la stratégie vaccinale. Les recommandations ont été présentées à Frank Vandenbroucke (sp.a), ministre de la Santé publique, ainsi qu’à son équipe et à des membres de l’administration. L’une des lignes directrices du rapport final est qu’une communication «claire, transparente, centralisée et cohérente» sur la vaccination devait guider les décideurs. Chloé Mayeur est enthousiaste: «Les participants ont montré un réel engouement pour le projet. Il est ensuite fondamental que la population sache que des citoyens construisent ensemble des recommandations dans le domaine éthique.»
«Beaucoup de gens ont le sentiment que les savoirs sont confisqués par l’élite. L’enjeu c’est de reconstituer la confiance des citoyens.» Florence Caeymaex, présidente du comité consultatif de bioéthique
Pendant ce temps, les séances d’info continuent. Elles vont se multiplier. Et si Yvon Englert, l’ancien recteur de l’ULB, a accepté de se jeter dans la fosse des sceptiques et de convaincre à tout va, c’est pour une simple raison. «J’en suis intimement convaincu. La vaccination, aujourd’hui, c’est ce qu’il faut faire pour se protéger individuellement, et, au niveau collectif, c’est la seule voie réaliste et à portée de main pour sortir de cette situation.»