« Depuis une trentaine d’années, je constate toujours, hélas, les mêmes discriminations, les mêmes mise à l’écart, la même précarité. Nombre de ces femmes immigrées sont laissées-pour-compte en matière d’apprentissage linguistique, d’information sur le pays d’accueil, d’insertion dans la vie économique et professionnelle,… Pourquoi ? A cause de l’absence de prise en compte de leurs compétences et de leurs talents. Pour moi, c’est une question de dignité humaine qu’il faut résoudre d’urgence. » Ces propos durs sont de Latifa Gadouche de l’asbl Bruxelles Vivre Ensemble où elle a coordonné une enquête sur la situation des femmes immigrées ou d’origine étrangère vivant en Belgique.
Ce nouveau rapport, financé par le Fonds d’Impulsion à la Politique des Immigrés géré par le gouvernement fédéral, intitulé « Valorisation des savoir-faire, des compétences et des talents des femmes immigrées ou d’origine étrangère en Flandre, en Wallonie et à Bruxelles » retrace le parcours précaire d’une centaine de femmes immigrées confrontées aux problèmes de discrimination et à l’indifférence des autorités publiques chargées pourtant de faciliter leur intégration. « Ce sont des femmes talentueuses mais leurs talents ne sont pas valorisés dans la société d’accueil qui ferait mieux de changer de stratégie pour le bien de tous », ajoute Latifa Gadouche. L’enquête se penche d’abord sur les techniques de reconnaissance et de validation des compétences dans ce milieu. Ensuite, elle tente d’évaluer l’impact des structures d’information, d’orientation, d’enseignement du français ou du néerlandais et du système de reconnaissance des diplômes tout en épinglant les cas de discrimination ou l’absence de formation des conseillers d’orientation professionnelle.
Sur le plan méthodologique, les deux sociologues (Latifa Gadouche et Lina d’Amico) de l’association bruxelloise ont soumis un questionnaire de vingt pages à 101 femmes immigrées ou d’origine étrangère vivant en Belgique qui représenteraient, selon elles, « un échantillon représentatif » de la population étudiée parce qu’établi grâce à la coopération des associations de femmes actives sur le terrain local. Après avoir interrogé les candidates une à une en français, en arabe, en anglais, en néerlandais, en italien et en turc dans les trois régions du pays, les sociologues de Bruxelles Vivre Ensemble reconnaissent que cette « recherche-action » menée par le biais d’une enquête qualitative n’est pas neutre parce qu’elles devaient s’impliquer dans ce travail pour installer un climat de confiance et de partage des expériences.
Cours de conduite pour décrocher un emploi
L’étude indique que l’âge d’arrivée en Belgique des femmes immigrées se situe plus fréquemment entre 20 et 40 ans (55 %), l’origine des femmes interrogées se rapporte plus souvent aux pays du Maghreb (à Bruxelles et dans le Hainaut) ou à la Turquie (en Flandre) mais on retrouve aussi des femmes originaires des quatre coins du monde. Concernant les parcours scolaires, la plupart des femmes ont accompli une scolarité de niveau secondaire. L’analyse des revenus indique que seulement 13 d’entre elles travaillent à temps plein, 5 à temps partiel, 24 perçoivent une indemnité de survie des CPAS (Centres publics d’aide sociale), 14 sont au chômage, 9 perçoivent une indemnité de cohabitante, 3 femmes sont sans revenu et 29 autres sont entièrement à charge de leur conjoint. « Les stratégies pour trouver un emploi varient aussi d’une région à l’autre. Ainsi dans le Hainaut, par exemple, on a remarqué que le fait de soutenir l’accès au permis de conduire pour les femmes leur permettait de trouver plus facilement un emploi », ajoute Latifa Gadouche. Elle témoigne particulièrement du « travail remarquable » accompli par le médiateur interculturel de la Ville de Charleroi auprès des femmes d’origine étrangère vivant dans cette région. « Ce médiateur agit comme un référent permanent au service des femmes et les suit pas à pas dans leur parcours d’intégration, ce qui renforce la confiance en soi et l’intégration socioprofessionnelle des femmes en situation précaire. Je pense qu’il faudrait généraliser ce système de référent », précise-t-elle.
Le sentiment d’être victime de discrimination (racisme, sexisme, âge, religion) semble particulièrement présent chez les personnes interrogées puisque 66 % des femmes déclarent avoir subi l’une ou l’autre forme de discrimination sur le marché de l’emploi, au travail, lors d’une formation, lors d’un contact avec une autorité ou lors d’une activité extrascolaire quelconque. Les femmes noires et les musulmanes semblent les plus touchées par ces discriminations.
Savoir vert et métiers oubliés
Le rapport se penche aussi sur les sources d’information des femmes immigrées pour savoir comment elles se renseignent sur la Belgique, ses institutions, sa mobilité, sa culture, sa politique, son environnement social, son histoire ainsi que leurs droits et devoirs dans le pays. Le principal canal d’information apparaît comme l’entourage proche, les avocats, les associations de femmes et les assistantes sociales. « On plaide pour un renforcement du soutien financier et humain des associations de femmes car on a remarqué qu’elles jouent un rôle essentiel dans l’information à destination des femmes immigrées car il existe un réel problème à ce niveau », ajoute la coordinatrice de l’étude. Parmi les nombreuses recommandations de l’étude, on retrouve notamment un contrôle plus efficace de l’obligation scolaire jusqu’à 18 ans et plus particulièrement pour les filles, la promotion des rencontres entre filles d’écoles de quartiers favorisés et celles de quartiers défavorisés, la fin de l’orientation systématique des filles issues de l’immigration vers les filières d’enseignement professionnel, le développement des classes d’immersion linguistique dès la première année ou encore une meilleure procédure (plus humaine et moins chère) pour la reconnaissance des diplômes avec un accueil obligatoire des candidates par la commission des équivalences. Au niveau de l’insertion économique, le rapport ouvre des pistes d’embauche dans les métiers verts ou disparus (tourisme, gardiennes de parcs, cuisines du monde, écrivaines publiques).
De nombreuses pistes de réflexion qui mériteraient quelques mises en pratique pour éviter de laisser sur la touche ces femmes précaires mais talentueuses qui ne demandent sans doute qu’à se mettre au service de la société.
En savoir plus
Bruxelles Vivre Ensemble asbl
– Latifa Gadouche / Lina d’Amico
– adresse : avenue Jean de la Hoese, 62, 1080 Bruxelles
– tél. : 32 (0) 485 38 04 24