Récolter des produits périodiques féminins et les redistribuer gratuitement aux femmes précarisées: c’est le pari de BruZelle, lancé il y a trois ans par Veronica Martinez et Valérie Machiels. L’association a déjà installé une quinzaine de boîtes dans des lieux publics bruxellois. Une fois par mois, les femmes sans abri profitent de la maraude pour s’approvisionner en serviettes hygiéniques.
Alter Échos: Comment a été perçu ce projet de boîtes dans des lieux publics bruxellois?
Veronica Martinez: Au départ, nous étions mal perçues. Nous avons rencontré beaucoup de difficultés à trouver des partenaires. Puis nous nous sommes concentrées sur des lieux symboliques: centres culturels, maisons communales, pharmacies, plannings familiaux. Les boîtes sont relativement discrètes, et elles ont rapidement été demandées. Naturellement, les gens y déposent des produits périodiques. J’insiste sur le fait que nous souhaitons uniquement collecter des serviettes hygiéniques. Compte tenu du physique et de la religion de chacune, les tampons ou coupes menstruelles ne sont pas forcément adaptés. Quand un bac est plein, Valérie, qui pilote les maraudes, vient le vider. Elle ramène ensuite la collecte chez elle et effectue un tri. Avec des proches, nous confectionnons des trousses en tissu. À l’intérieur, on y met une vingtaine de serviettes hygiéniques et un flyer expliquant à la bénéficiaire notre service. Le but est évidemment d’aider le plus de femmes possible. Via d’autres associations, nous arrivons à venir en aide à des sans-abri ou des étudiantes à Namur, Mons et Liège.
AÉ: Les règles sont-elles encore plus taboues chez les femmes sans abri?
VM: Pour une majeure partie des femmes, parler des règles est tabou. Évidemment, la société phallocrate dans laquelle nous vivons ne favorise pas la sensibilisation autour des règles. Si les règles avaient été une affaire d’hommes, on n’en serait pas là. La précarité menstruelle ne touche pas seulement les femmes sans abri. Elle atteint aussi les étudiantes, les femmes seules avec ou sans enfants, souvent travailleuses à mi-temps. Dans la rue ou les centres d’accueil avec lesquels nous travaillons, comme l’asbl DoucheFLUX, les femmes ne sont pas gênées quand elles demandent des serviettes. Lors des maraudes, les sans-abri nous sont très reconnaissantes. Parfois, elles veulent nous donner de l’argent. Nous leur expliquons alors pourquoi les produits périodiques féminins doivent devenir gratuits. Cependant, il est souvent difficile de trouver des femmes dans la rue. Elles, qui craignent pour leur sécurité, se «masculinisent» un maximum.
AÉ: Des pouvoirs publics inactifs au sujet des règles?
VM: C’est simple: l’État ne fait rien. Certains parlent de cette baisse de la TVA à 6% sur les produits hygiéniques féminins approuvée par la Chambre en juillet 2018. Honnêtement, je ne vois aucune répercussion sur les prix. Aujourd’hui, l’initiative citoyenne est la clé. Ces protections sont des produits de première nécessité, au même titre que l’eau et la nourriture. Cependant, il s’agit d’un produit vital uniquement pour les femmes. Même s’il est encore difficile d’établir une stratégie viable, je pense qu’un système de distribution gratuite, à la manière des préservatifs dans les rues, est envisageable. J’envisagerai cette distribution dans des maisons médicales, dans les plannings familiaux. Je pense qu’il n’est pas impossible d’avoir une accessibilité gratuite, discrète et 24 h/24. Viendra un moment où nous ne pourrons plus assurer seules cette distribution. Je pense que les élus locaux sont compréhensifs face à cette question de gratuité et de précarité menstruelle. Mais avant de pouvoir en faire un problème de santé publique au niveau fédéral…