La qualité des logements était au coeur d’un colloque international, vendredi 24 novembre dernier aux Moulins de Beez. Invités par l’Administration wallonne du Logement,experts étrangers, représentants associatifs et politiques wallons ont croisé leurs points de vue sur les solutions à mettre en œuvre en la matière. Lescontours d’un contrôle technique immobilier ont été esquissés.
D’un droit du locataire à la responsabilisation des propriétaires
« S’appuyant sur la Constitution, qui consacre le droit à un logement décent depuis 1993, l’une des priorités de la politique wallonne du logement concernela lutte contre l’insalubrité », a rappelé Bernard Hubeau, président de la journée et médiateur à la Région et à laCommunauté flamandes 1.
D’après Nicolas Bernard2, professeur aux Facultés universitaires Saint-Louis, « l’instauration du permis de location a permis d’assainir lasituation de 6 500 logements ces dernières années. Mais cela reste peu en regard des 20 000 à 30 000 petits logements et logements collectifs qui étaient ciblés parle dispositif. Et dérisoire face aux 29 % de logements qui, en Wallonie, nécessiteraient une réparation plus ou moins importante. » Le chercheur de poursuivre enidentifiant les limites de ce dispositif : « Il repose soit sur une plainte d’un locataire, soit sur une visite d’office des contrôleurs de la Région. Le premier casfait face aux hésitations des locataires, non assurés d’être relogés en cas de contrôle aboutissant à une déclaration d’insalubrité.Le second cas pèche par défaut de personnel en nombre suffisant. » Pour aller plus loin, il faut donc inverser la logique et responsabiliser le propriétaire, conclutl’universitaire.
Des expériences étrangères inspirantes
Au niveau européen et au Québec, une série d’initiatives existent pour mener une politique de qualité des logements. Certaines d’entre elles,présentées lors du colloque, pourraient inspirer les responsables belges.
Embrasser le paysage réglementaire
L’expérience française était présentée par Serge Contat 3, directeur général de l’Agence nationale pourl’amélioration de l’habitat. Les normes de décence adoptées en 2002 en France ont rencontré les mêmes écueils que le permis de location wallon.Contat a dès lors insisté sur l’importance de trouver un équilibre entre contrôle et aides, assurances, définitions des normes pour obtenir une politiquecohérente et efficace.
L’autorécupération par les occupants
De son côté Yann Maury, professeur à l’École nationale des travaux publics d’Etat4, a attiré l’attention sur les risques deréduction de l’offre de logements locatifs privés à bon marché consécutive à l’amélioration de la qualité des logements. Et defaire un détour par l’Italie où l’État se serait désinvesti d’une politique de logement active depuis 1998. Par contre, des initiativesd’autorécupération et de réhabilitation de logements abandonnés sont soutenues par les autorités régionales à travers des conventionssignées avec les collectifs d’occupants. Ce qui fait de ces derniers les « inventeurs de la mise en conformité de leur propre logement ».
Au Québec, seul 8 % des logements nécessiteraient des réparations majeures. « L’intervention des pouvoirs publics en matière de qualité des logementslocatifs repose sur une responsabilisation des autorités locales et sur un équilibre entre droits des locataires et devoirs de bailleurs », explique Pierre Cliche, directeurgénéral de la Société d’habitation du Québec5. Les investissements de sécurisation des logements doivent y rester rentables, sachant que dessubventions ne sont octroyées que pour des aménagements en faveur des personnes âgées ou handicapées. « Une politique de contrôle de la qualitéserait contre-productive si elle ne reposait pas sur une offre quantitativement suffisante » conclut le Québécois.
Des objectifs … et le contrôle par un tiers
En Norvège, la récente réforme du code de l’urbanisme et du logement attribue la responsabilité de la qualité des logements aux professionnels et non plusaux maîtres d’œuvre. Selon Karine Denizou, de Sintef Building and Infrastructure6, l’expérience, qui repose sur l’assignation d’objectifsà atteindre et l’auto-déclaration de conformité de la part des professionnels, débouche sur de nombreux défauts de construction. Les inspections, àl’initiative des autorités locales, n’ont lieu le plus souvent qu’a posteriori. Cette situation démontre par l’absurde la nécessité de se doterd’un système de contrôle efficace par un organisme tiers.
Comparer la valeur d’utilisation
De Suisse, c’est principalement le système d’évaluation de logements (SEL) que nous retiendrons. Mis au point dans le cadre de la promotion par les pouvoirs publics delogements à coût et loyer modérés, il permet de déterminer la valeur d’utilisation d’un bien. Celle-ci est calculée par l’écart entrele maximum théoriquement possible et la note obtenue pour le logement évalué. Cette note se base sur l’attribution de points à 39 critères répartis surtrois thèmes (logement, environnement immédiat, implantation) et multipliés par un facteur de pondération. Créé dans les années 70 et simplifiéen 2000, le SEL est constitué de critères peu techniques qui en fait un outil de comparaison très accessible à tout le monde. « Désormais, c’est uninstrument qui sert aussi de base, par exemple, pour des concours d’architecture », précise Félix Welder de l’Office fédéral du logement(Suisse)7.
Les bailleurs au contrôle technique
En Belgique, un contrôle technique immobilier (CTI) pourrait être l’instrument par excellence pour responsabiliser les propriétaires de logements mis en location. Àce jour, aucun pays européen ne dispose d’un CTI à part entière. Mais une série d’initiatives étrangères [voir encadré]s’apparentent aux prémisses d’un pareil dispositif. En l’instaurant, la Wallonie ou la Belgique ferait figure de pionnière.
Ce qui, à ce stade, n’est encore qu’une idée, a été brossé à grands traits par son promoteur, Charles Mertens8, inspecteurgénéral à l’Administration wallonne du logement.
À défaut de statistiques précises d’habitabilité, les contrôles seraient lancés sur la base de la date de construction du bâtiment. Uncontrôle positif (échec) déboucherait sur une interdiction à la location et sur un délai de 12 à 18 mois pour la mise en conformité du bien. En cas denouvel échec, le loyer serait encadré et une priorité dans l’octroi de surprimes à la réhabilitation serait octroyée. En cas de contrôlenégatif (réussite), le loyer serait libre.
Les normes de référence du CTI seraient constituées des critères du permis de location, complétés par des critères liés àl’environnement immédiat du bien (espace vert, accessibilité en transport en commun, …) et à l’occupation du lieu. Le tout serait fondu dans un certificatunique incluant également les dispositions relatives à la performance énergétique, à l’installation électrique et aux ascenseurs, afin deréduire les coûts pour les propriétaires.
Parallèlement, une politique du relogement serait mise en place. Elle reposerait sur trois piliers : l’intensification de la captation de bâtiments disponibles par lessociétés de logement publiques, le développement de logements de transition solidairement répartis entre les communes, et la création de commissions derelogement.
Sur les grands principes d’un CTI
Pour Pierre Cliche, directeur général de la Société d’habitation du Québec, une question fondamentale subsiste en amont de la réflexion sur uncontrôle technique immobilier. « Le permis de location semble un excellent outil, pourquoi ne pas l’adapter et l’approfondir plutôt que de créer un nouveausystème ? » La culture de gestion publique du Québec, il est vrai, privilégie le libre fonctionnement du marché avec le moins de contraintes possible.
Son de cloche semblable chez Béatrice Laloux, directrice du Syndicat national des propriétaires 9. « Un contrôle technique nous laisse perplexes. Lespropriétaires ont un intérêt naturel à maintenir leurs biens en bon état. Il faut des règles, mais leur application ne peut être laissée àl’arbitraire de fonctionnaires en trop petit nombre pour effectuer un contrôle digne de ce nom et sans recours possible. En outre qui va payer pour tout ça ? Ne peut-on aussiévoquer la responsabilité des locataires dans l’entretien de la qualité des logements ? »
D’autres, à l’inverse, estiment que le CTI devrait aller plus loin encore. Comme Bernard Hubeau, qui se demande si la délivrance du certificat à l’issue duCTI ne devrait pas déboucher sur une objectivation et une régulation des prix plutôt que sur une totale liberté de fixation des loyers.
Autre proposition de modulation des principes directeurs qui devraient inspirer le projet de CTI : une répartition des responsabilités entre bailleurs, locataires et autoritéspubliques. En effet, pour Pascale Thys, de l’association Habitat et Participation10, « les situations particulières sont de plus en plus variées, comme le montrel’exemple romain d’autorécupération d’un squat [voir encadré]. Autre exemple, celui du double statut de propriétaire-locataire expérimentéà Londres par des personnes précaires qui ont réalisé l’autoconstruction en bois de leur habitation, financée et contrôlée par unesociété de logement social. »
Sur les modalités d’un CTI
Dans le panel politique, personne n’a remis en cause l’idée portée par Charles Mertens.
Willy Taminiaux (PS), président de l’Union des villes et communes de Wallonie (UVCW), a plaidé pour que soient lancées des études de faisabilité du CTI,par quartiers et par sous-régions, afin de coller au mieux aux spécificités locales. Il en a profité pour rompre une lance en faveur d’une annulation de la dette dela Région wallonne en matière de logement social (héritage de la régionalisation) afin de retrouver des marges pour une politique ambitieuse du logement. Sans oublierd’en appeler à un renforcement des moyens mis à disposition des communes, notamment en matière de dispositifs de relogement.
André Bouchat (CdH), président du Conseil supérieur du logement de la Région wallonne, a rappelé qu’il faut se donner les moyens d’une pareillepolitique, qui ne peut faire l’impasse sur une recherche de collaboration avec les acteurs privés, les propriétaires. Selon lui, une priorité consisterait àétablir des loyers de référence par bassin de vie et à renforcer la réflexion à ce sujet avec le niveau fédéral.
Philippe Fontaine (MR), député wallon, a insisté sur l’importance d’aboutir, le cas échéant, à un permis unique dans un dispositiffondé sur l’incitation plus que sur la sanction. Tout en posant la question : « Avons-nous les moyens de mener un diagnostic large et systématique ? »
Monika Dethier-Neumann (Ecolo), députée wallonne, a salué l’idée en mettant en avant son articulation avec d’autres dispositifs susceptibles d’enmultiplier l’impact. Ainsi de la suggestion de phaser le CTI dans une logique territoriale, sur la base de la situation dans les quartiers, plutôt que sur la base plus linéaire del’ancienneté des logements. Ou encore de renforcer les déductions fiscales pour investissements énergétiques, au bénéfice des propriétaires.
David Praile, du Réseau des associations de promotion du logement (RAPeL)11, est revenu sur le constat largement partagé de l’insuffisance de l’offre delogements à loyer modeste en Wallonie. Selon lui, cette situation « crée une tension entre la nécessité de réagir à la mauvaise qualitéd’une part importante du parc immobilier et les exigences de dignité humaine qui imposent que chacun dispose d’un logement, digne certes, mais d’un logement ». Dans cesconditions, un contrôle de la qualité, systématique et strict, serait peu praticable sans jeter à la rue nombre de locataires. Il plaide dès lors pour un dispositifqui tolère des solutions souples et flexibles, telles l’autorénovation et l’autoconstruction, au moins à titre expérimental.
La réflexion se poursuit
« Le débat est lancé, et bien lancé ! C’est ce que nous voulions », s’est réjoui Charles Mertens à l’issue de la journée.« J’ai appris que l’UVCW comptait organiser des ateliers techniques sur ce sujet en 2007. Pour ma part, je suis occupé à intégrer toute une série decritiques et suggestions entendues ce 24 novembre, dans la réflexion sur un contrôle technique immobilier. » La lutte contre l’insalubrité reste une priorité depremier ordre, pour le haut fonctionnaire wallon. « Dans le « parc social de fait »12 – comme disent les Français – les pouvoirs publics doivent aider les propriétairesprivés à mettre leurs logements aux normes. Avec des normes claires, précises mais pas inatteignables non plus, sous peine alors de bloquer le processusd’amélioration de la qualité. »
Connaissant la ténacité et la passion du patron du logement en Wallonie, nul doute que la réflexion va se poursuivre et que le projet de contrôle technique rebondirasous peu.
1. Vlaamse Ombudsdienst Leuvenseweg, 86 à 1000 Brussel (Belgique) – tél. : 02 552 48 48 – courriel :klachten@vlaamseombudsdienst.be.
2. Facultés universitaires Saint-Louis, bd du Jardin Botanique, 43 à 1000 Bruxelles (Belgique) – tél. : 02 211 78 44 – courriel : bernard@fusl.ac.be
3. Agence nationale de l’Habitat, av. de l’Opéra, 8 à 75001 Paris (France) – tél. : +33 (0)1 44 77 39 39.
4. École nationale des Travaux publics de l’État, rue Maurice Audin à 69518 Vaulx en Velin Cedex (France) –tél. de Yann Maury : +33 (0)4 72 04 77 54 – courriel : maury@entpe.fr.
5. Société d’Habitation du Québec, Direction des communications rue Louis-Alexandre Taschereau 1054 à Aile Saint-Amable, 3e étage Québec,Québec G1R 5E7 – tél. : +1 1 800 463 4315.
6. Sintef Building and Infrastructure, Head office, Oslo Forskningsveien 3 b P.O.Box 124 Blindern N-0314 Oslo (Novègre) –courriel : karine.denizou@sintef.no – tél. : +47 22 96 58 13.
7. Office fédéral du logement – Stochengasse 6, 2540 Granges (Confédération Helvétique)-tél. : +41 (0)32 654 91 11- courriel : info@bwo.admin.ch.
8. DGATLP Division du logement, rue des Brigades d’Irlande, 1 à 5000 Namur (Belgique)- tél. : 081 33 22 65 -courriel : ch.mertens@mrw.wallonie.be.
9. Syndicat national des Propriétaires, rue du Lombard, 76 à 1000 Bruxelles – tél. : 02 512 62 87 –courriel : info@snp-aes.be.
10. Habitat et Participation asbl, place des Peintres, 1/4 à 1348 Louvain-la-Neuve – tél. : 010 4506 04 – courriel : habitat.participation@swing.be.
11. RAPeL c/o Relogeas, rue de Monceau-Fontaine, 42/11 à 6031 Monceau Sur Sambre – tél. : 071 31 40 07.
12. Logements privés à loyers peu élevés.