Parmi les constats de départ du Plan jeunesse et de son groupe de travail 6 : la fragmentation des politiques qui, à l’échelle du jeune, perdent en cohérence ou poursuivent des buts divergents. Le Plan jeunesse, dont un des objectif est de « mettre en place un référentiel commun », va-t-il permettre d’évoluer vers une politique de la Jeunesse globale et intégrée ? Petit coup de sonde.
Les politiques Jeunesse sont aujourd’hui mises en œuvre de manière segmentée. Un découpage qui coïncide entre autres avec le saucissonnage des différentes compétences ministérielles. Conséquence : plusieurs « référentiels » politiques coexistent. Autrement dit, plusieurs idéologies distinctes, voire contradictoires, constituent autant de cadres de référence des politiques publiques pour envisager les problématiques de la jeunesse et tenter d’y apporter des réponses. L’émancipation des jeunes, la sécurité et l’ordre public, l’activation vers l’emploi, la réduction des risques sont quelques-uns des concepts sous-jacents de ces référentiels.
Couacs et chocs du travail en réseau
Sur le terrain, quand on ambitionne de travailler de manière transversale, ces référentiels s’entrechoquent, entrent en confrontation. Petit décryptage avec Abraham Franssen, sociologue aux Facultés universitaires Saint-Louis. « Les partenariats impliquent des acteurs différents qui relèvent de secteurs différents, l’Aide à la jeunesse, l’Emploi, l’Action sociale…, qui sont porteurs de philosophies et de missions différentes. C’est logique et normal. Mais c’est forcément source de malentendus, de tensions, de divergences », relève-t-il.
La prévention est un des exemples les plus notables de cette confrontation des politiques sur le terrain (voir AE 350). Entre celle qui est pratiquée par les services d’aide en milieu ouvert (AMO), centrée sur le jeune et son contexte social, et celle des services communaux de prévention, axée sur la prévention du sentiment d’insécurité, le fossé semble presque infranchissable. Et c’est d’autant plus troublant quand les acteurs utilisent les mêmes concepts, mais à des sauces différentes.
Loin d’être une panacée, le travail en réseau se caractériserait donc plus par des couacs et des ratés que par une intégration harmonieuse des actions, nous explique le sociologue. Difficultés de communication, circulation des problèmes entre les intervenants (phénomène de la « patate chaude »), logiques de pouvoir et d’instrumentalisation réciproque… entraînent finalement une superposition, un morcellement voire une cacophonie dans les actions menées. Le mythe de la fluidité et de l’intégration s’écroule. « On se trouve plus souvent dans une situation de coopération conflictuelle, explique Abraham Franssen. Ce qui est intéressant, à condition que ce soit assumé par les acteurs et qu’il n’y ait pas de volonté d’hégémonie de leur part. Il s’agit d’organiser un cadre qui permette aux acteurs d’être en désaccord. »
Il se trouve que la création d’un référentiel commun « porteur d’une vision globale de la politique de jeunesse » était la raison principale de la mise sur pied, en 2010, de la Conférence interministérielle jeunesse. Cette CIM et le Plan jeunesse suffiront-ils à amener un peu de cohérence dans des logiques d’actions parfois si divergentes ? Entre espoir et scepticisme, les avis divergent…
Cohérence : la quête du Graal
D’un côté, des points de vue positifs, sans être dithyrambiques. « Outre le fait que son élaboration a déjà eu le mérite d’ouvrir le débat entre des gens issus de secteurs très différents, le Plan jeunesse pourrait être un bon levier pour amener plus de cohérence dans les politiques si tout le monde « joue le jeu » et est prêt à y mettre du sien », nous répond Catherine Demonty, du Conseil de la jeunesse, qui souligne que la volonté du GT6 est de permettre la reconnaissance et la valorisation des projets transversaux qui fonctionnent déjà sur le terrain, ainsi que de diminuer les obstacles, principalement administratifs et financiers, auxquels ces projets se heurtent. Isabelle Polain, de la DG Enseignement obligatoire de la Fédération Wallonie-Bruxelles abonde ce sens : le Plan jeunesse devrait amener plus de coordination entre les acteurs et une meilleure articulation du système.
« Le Plan jeunesse était un beau défi, mais il n’aura aucun effet sur le terrain, parce qu’il manque de moyens et d’ambition », dénonce Pierre Evrard (de la Fédération de centres de jeunes en milieu populaire, FCJMP), se faisant l’écho d’une partie du secteur Jeunesse.
Pour Jean-François Guillaume, sociologue de l’ULg qui a accompagné le groupe de travail, « l’enjeu sera de réussir à articuler les deux champs d’intervention que sont l’accompagnement individuel et l’épanouissement personnel d’un côté, la citoyenneté et les projets collectifs de l’autre ». Le Plan jeunesse est en effet structuré selon deux axes : l’amélioration des conditions de vie des jeunes et la participation des jeunes. Une fraction que regrette le sociologue. « Le second axe me paraît plus enthousiasmant, mais plus complexe à mettre en œuvre. Il implique que les pouvoirs publics acceptent que les jeunes puissent s’engager ». Le défi à relever consiste donc à remettre le jeune en première ligne de ce Plan, continue-t-il. Et ce n’est qu’en se basant sur un diagnostic des besoins de ces jeunes que l’on pourra construire un référentiel commun. Vaste programme…
Tous dans le même bateau ?
« Cela dépend à quel niveau on se trouve, soutient quant à lui Abraham Franssen. Si le Plan jeunesse a pour ambition de mettre en place un référentiel commun au niveau des politiques de la Communauté française, on peut considérer que ce n’est pas impossible à atteindre, même si c’est déjà large. » Un socle idéologique commun semble en effet relier, non sans quelques contradictions, les différentes compétences de la Communauté française que sont la Jeunesse, l’Aide à la jeunesse la Culture et l’Enseignement. Il s’agit du référentiel émancipateur ou de la citoyenneté responsable, active, critique et solidaire (Cracs). « Si on élargit aux autres compétences, alors cela paraît moins évident ». Car entrent alors en jeu des préoccupations sécuritaires, d’activation ou encore de réduction des risques.
Pas évident donc, même si le sociologue note un certain rapprochement des logiques qui s’opère inéluctablement, dans le sens d’une invitation à chaque individu « à devenir un entrepreneur de lui-même ». « On est en train de créer les conditions pour un nouveau régime de gouvernabilité basé sur la construction d’un parcours individuel », explique Abraham Franssen. En témoigne par exemple l’incorporation du service citoyen dans le contrat de gestion d’Actiris, ou encore l’introduction du concept d’« activation sociale » [NDLR une activation qui n’est pas liée à l’emploi quand la personne est trop éloignée de l’employabilité]. Un rapprochement, donc. Mais pas de quoi éviter les couacs et hiatus dans lesquels s’empêtrent les acteurs de terrain qui travaillent en réseau.
À noter, également, le fait que le Plan jeunesse repose sur une ambiguïté dont il ne pourra se défaire que s’il est porté à un autre niveau : il veut brasser très large tout en partant du sectoriel. Construit au départ des secteurs de la Jeunesse et de l’Aide à la jeunesse, qui constituent le portefeuille de la ministre Évelyne Huytebroeck au niveau communautaire, il entend pourtant embarquer les autres secteurs dans le bateau. Mais est-ce bien réaliste ? On ne peut s’empêcher ici de faire référence à la « stratégie d’action jeunesse 2009-2014 du Québec ». Portée politiquement par le Premier ministre du Québec, elle propose la construction d’un discours intégré autour de six grands défis : l’éducation et l’emploi, l’entrepreneuriat, la santé, les régions, la diversité et l’environnement. À méditer…