Verviers compte une importante communauté musulmane, représentant près de 12% de la population locale. Rien d’étonnant que l’on y trouve un tissu associatif musulman important, constitué autour des mosquées.
À Hodimont, un quartier considéré par certains comme le «ghetto» de la ville, on y trouve le CECIV, le complexe éducatif et culturel islamique de Verviers. La principale mosquée garde la main sur une partie de la jeunesse musulmane grâce à son travail de terrain et à celui de son imam, Franck Amin Hensch. Mesuré, l’homme refuse d’évoquer une radicalisation des esprits, même s’il reconnaît que le vivre-ensemble reste précaire… Qu’à cela ne tienne, il a ses ressources dans ce quartier et organise des débats avec les jeunes pour les aider à trouver leur place en tant que croyants dans la société belge. «C’est notre marque de fabrique. On mène une dizaine de tables de discussion par semaine, en fonction des âges et des profils rencontrés, où on sort d’un catéchisme musulman classique pour être dans un espace de débat toujours en lien avec les réalités que les jeunes vivent, ce qui est essentiel dans l’émancipation de ces adolescents qui vivent dans des quartiers socialement difficiles, sans perspective d’avenir… C’est un endroit où l’on est à l’écoute de leurs malaises, de leurs problèmes», explique Franck Amin Hensch.
Un tissu sans sou
Au niveau du CECIV, il n’y a pas que ces débats. À côté de diverses actions sociales, le centre organise la seule école de devoirs de la commune pour les élèves du secondaire, tout comme des activités parascolaires pour les jeunes du quartier. En tout, ce sont près de 300 personnes qui ont accès aux activités du centre islamique chaque semaine. «En termes de capacité, c’est énorme. Au niveau cultuel, nous sommes reconnus, ce qui permet aux imams d’être payés, mais pour le cœur de notre travail, à savoir l’associatif, il n’y a jamais eu de soutien. Tout tourne avec les bénévoles, les dons des fidèles, ce qui limite notre champ d’action», poursuit l’imam, qui n’est pas le seul à se plaindre de cette situation.
Au fil de notre reportage, on devra vite se rendre compte, malgré un tissu musulman verviétois très diversifié, de son manque de moyens, car celui-ci est très peu, voire pas du tout soutenu publiquement. «Ce qu’on constate, c’est que, dès qu’une association revendique son label musulman, dès qu’elle cherche à atteindre des financements publics, ne serait-ce que pour engager du personnel, c’est d’office non. C’est un refus systématique car l’administration craint le prosélytisme», explique, de son côté, l’islamologue verviétois Michael Privot. «Pourtant, ce tissu associatif musulman est un facteur de mobilisation, dû sans conteste à ce ressort religieux, mais il offre une perspective citoyenne quand il s’agit de se mobiliser pour une école de devoirs, pour venir en aide aux réfugiés», ajoute-t-il.
Comme le signale l’islamologue, ce flou autour de la reconnaissance des associations musulmanes peut parfois poser problème, voire créer des dérapages autour de lieux non reconnus. Ainsi, des centres culturels ont été pointés du doigt à Verviers, notamment par les médias, à cause de certains prêches ou de personnalités. Pour l’échevin de l’intégration sociale, Malik Benachour, il faut toutefois distinguer selon lui les discours radicaux des discours violents. «J’en veux pour preuve la présence d’une mosquée salafiste à Verviers (NDLR: la mosquée Kobaa), mais elle est apolitique et opposée à tout recours à la violence, ce qui ne va pas toutefois sans poser problème, vu qu’il s’agit d’un discours rigoriste, ultraconservateur, mais elle collabore avec les autorités locales, admet-il. Quant au discours violent, c’est autre chose. Je n’ai pas d’information objective permettant de dire que dans nos mosquées il y a des discours djihadistes qui y sont tenus, ce qui n’est pas surprenant en soi. Les discours de violence s’organisent en rupture avec les milieux traditionnels que sont les mosquées ou les associations.»
Conséquence salutaire
D’autant plus qu’à Verviers, la grande majorité des mosquées sont regroupées autour de l’AMVA, l’association des musulmans de Verviers, association dans laquelle on retrouve la mosquée Kobaa ou le CECIV. «Il y a une véritable structuration des lieux de culte au sein de cette association représentative qui est l’interlocuteur auprès des pouvoirs locaux», continue l’échevin. De plus, depuis 2015, une cellule radicalisme a été mise en place au sein du service de prévention avec des travailleurs sociaux sur le terrain pour lutter contre le radicalisme, avec une collaboration accrue avec les mosquées pour assécher le terreau du recrutement djihadiste. En une année, il y a eu une réelle prise de conscience, poussant les uns et les autres à se remettre en question. «C’est la conséquence salutaire de ces événements tragiques qui ont poussé à se dire qu’il était temps de renforcer les liens sociétaux avec la communauté musulmane, estime Franck Amin Hensch. Cela a permis de délier beaucoup de langues, y compris au sein de notre communauté, en évitant le repli sur soi.» «On s’est rendu compte que l’aspect religieux était peu pris en compte en matière de cohésion sociale, poursuit Martine Renier, présidente du CPAS, il a fallu travailler là-dessus, en établissant un dialogue avec les mosquées, ce qui ne se faisait quasiment pas jusque-là.»
Un constat que partage également le reste du tissu associatif verviétois, à l’instar de Terrain d’Aventures, une asbl d’accueil extrascolaire présente à Hodimont. Depuis un an, l’asbl a participé à beaucoup de plateformes de discussion, «permettant notamment de mieux prendre en compte l’avis des mosquées», explique Alexy Mesrour, de Terrain d’Aventures. «Il y a encore cinq ans, imaginer inviter une mosquée pour discuter de la problématique des jeunes, c’était tabou, personne ne voulait l’entendre. Mais aujourd’hui, c’est audible. Jusque-là, les mosquées n’étaient vues que comme des lieux de culte, et pas forcément comme des lieux où l’on fait du travail social, tandis que ces derniers temps, dès qu’il s’agit de parler de la jeunesse, du risque de radicalisation, les mosquées sont conviées.»
Mais, comme nous le dirons la plupart de nos interlocuteurs, la principale difficulté de Verviers, ce n’est pas tant l’islam que les clivages économiques qui scindent la ville, se superposant aux clivages ethniques et culturels. La ville est divisée, et sa population en est marquée. «Clairement, c’est une des bases du problème: on ne peut pas comprendre la radicalisation si on ne saisit pas l’ampleur des relégations sociales qui s’organisent dans nos sociétés. Au plan local, on a des moyens limités, mais il y a un vrai travail à faire sur l’organisation du territoire et son aménagement, en investissant sur le travail associatif», conclut Malik Benachour
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En Wallonie, les CPAS pourraient assurer un travail de détection et de signalement des éléments en voie de radicalisation. Rien n’est encore décidé, mais fin 2015, le ministre-président wallon se montrait favorable à cette mesure. De son côté, la présidente du CPAS de Verviers se montre plus que réservée. «Il y a, selon moi, le point de vue de l’assistant social et celui de la société. Pour qu’on soit clair, il faut respecter le secret professionnel du travailleur social, ne serait-ce que pour établir une relation de confiance, explique Martine Renier. En l’état actuel, nous avons créé à Verviers une section anti-radicalisme, avec un travailleur social qui s’en charge. Mais on doit avoir une réflexion plus approfondie. Il serait intéressant, par exemple, de mettre en place une procédure précise et identique à tous les CPAS, dans le respect du secret professionnel du travailleur social.»
«Farhad Khosrokhavar: former pour prévenir la radicalisation», Fil d’infos d’Alter Échos, 5 juin 2015, Manon Legrand.
«Anne-Claire Orban, anthropologue : «Dans le racisme contemporain, la hiérarchie des cultures a remplacé celle des races», Fil d’infos d’Alter Échos, 14 août 2015, Manon Legrand.
«Quand la perte du lien social radicalise les jeunes», #Medialab, 13 mars 2015.