La première génération d’immigrés turcs et marocains est largement à l’âge de la retraite. Pas sûr que le secteur des maisons de repos soit prêt à les accueillir.
Fin 2014, Bert Anciaux (SP.A), administrateur délégué de De Overbron, annonçait que ce centre de repos et de soins de Neder-over-Heembeek avait décidé de réserver quelques places à des musulmans retraités. Mais il n’y en a toujours aucun. «Les discussions avec les riverains et le personnel vont bon train mais nous n’y sommes pas encore, déclare-t-il aujourd’hui. Les premiers mois, nous avons dû faire face à une avalanche de réactions négatives. Notre liste d’attente s’est brusquement raccourcie. Depuis, nous avons organisé beaucoup d’activités avec des associations musulmanes et elles ont été bien accueillies. L’été dernier, il y a par exemple eu un barbecue halal qui a eu beaucoup de succès.»
En principe, les adaptations à réaliser pour pouvoir accueillir des musulmans sont relativement simples. Bert Anciaux pense à un espace de prière et à la possibilité de manger halal. Mais il y a aussi la question linguistique. On parle ici de gens issus des premières vagues d’immigration turque et marocaine à partir des années 60 et, souvent, ils maîtrisent beaucoup moins bien que leurs enfants les langues de leur pays d’adoption.
Selon la gérontologue Saloua Berdai (Erasmus Hogeschool), le groupe des immigrés de plus de 80 ans, et avec lui le groupe de ceux qui nécessitent des soins, commence réellement à prendre de l’importance. «Les immigrés représentent largement plus de 20% des plus de 65 ans», affirme-t-elle. Or peu d’institutions de soins pratiquent une politique de diversité et quand elles le font, il s’agit presque toujours d’initiatives individuelles. On dit souvent qu’il y a aussi peu de demandes de la part de ces populations mais selon Saloua Berdai, c’est une sorte de cercle vicieux. «Les allochtones [sic] ne chercheraient pas de soutien pour les soins aux seniors et ce serait culturel. Mais dans le cadre d’une enquête sur la démence, j’ai pu discuter avec dix soignants d’origine marocaine et aucun d’entre eux n’a invoqué comme raison des convictions culturelles. S’ils sont réticents, c’est parce que leurs parents ne se sentiraient pas chez eux dans les institutions existantes.»
La suffisance de la compote halal?
Une des raisons est que les musulmans ont du mal à se faire accepter. «Une enquête réalisée dans les centres de soins a montré que 10% des pensionnaires de souche étaient contre une politique de diversité pour des motifs ouvertement racistes et que 10% étaient positifs. Quant à tous ceux qui restent, ils ont surtout peur de ce qu’ils ne connaissent pas. Quand on leur demande pourquoi, ils répondent souvent qu’ils ‘ont lu quelque chose dans le journal’. Bien peu ont eu une vraie expérience négative avec des gens d’origine étrangère.»
En 2013, il y avait en tout et pour tout cinq personnes d’origine marocaine dans les 51 institutions de repos et de soins d’Anvers. «Et c’est pareil à Malines, confirme Abdellatif Riffi, médecin et secrétaire de l’association Vamos, qui regroupe des médecins d’origine marocaine. La plupart des seniors sont pris en charge par une seule personne, souvent une fille ou une belle-fille. Certains sont renvoyés dans leur pays d’origine où on paie quelqu’un pour s’en occuper. D’autres se traînent d’un séjour hospitalier à l’autre. Et, finalement, il y a l’option du remariage. Un de nos patients de 78 ans s’est ainsi remarié avec une enseignante à la retraite qui s’occupe bien de lui.»
Enfin, Wouter de Tavernier et Veerle Draulens, chercheurs à la KULeuven, soulignent que personne, immigré ou non, n’aime renoncer à ses habitudes. Les seniors turcs ont leurs habitudes sociales, alimentaires ou autres et «servir un poulet-compote halal» ne suffira sans doute pas: «Les seniors flamands aimeraient-ils finir leurs jours dans un home où on mange chinois tous les jours?»
D’après De Morgen et De Standaard
Alter Échos nos382-383, «Soins de santé : un marché en or ?», Marinette Mormont, 20 mai 2014
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