C’est l’histoire d’un type qui, un jour, décide de braquer… non pas une banque, mais une agence pour l’emploi. « On peut obtenir beaucoup plus avec un mot gentil et un revolver, qu’avec un mot gentil tout seul », semble vouloir expliquer Vincent Guédon, en paraphrasant Al Capone. Comédien vivant à Paris, et collaborateur du journal l’Impossible, il signe ici un premier roman qui colle étrangement à l’air du temps. Et qui se fait l’écho de ces demandeurs d’emploi, de plus en plus « coupables » et « sans valeur ajoutée ». Un ouvrage à lire entre deux grèves… Ne fut-ce que pour se conscientiser.
Braquer une agence, ce n’est pas un geste anodin. Pourquoi ce choix ?
Tout est parti d’un fait divers. Il y a quelques années, un homme a réellement pris en otage une agence pour l’emploi. Avec une arme factice à la main. C’était un geste prémédité. Agacé par une série de déconvenues, de rendez-vous ratés et les interminables files d’attente, cet homme avait décidé de séquestrer la directrice de l’agence et son adjoint. Ça a été, pour moi, le point de départ d’une vraie réflexion et d’une narration. Mais dans mon roman, je ne cherche pas à restituer la véracité de ces événements.
Qui est le personnage central de votre livre ? Quelles sont ses motivations ?
C’est quelqu’un qui n’a pas de problèmes. C’est un informaticien au chômage, mais pas particulièrement précaire. Mais après des mois et des mois de recherches, il n’en peut plus. Ce qui le meut, c’est surtout une énorme envie de parler. Le principal ressort du personnage, c’est de dire quelque chose. Avant de s’engager physiquement dans un acte, et de braquer l’agence, il a rédigé une lettre de 20 pages, qu’il entend diffuser au JT. Mais on ne sait pas ce qu’il a écrit. Tout le récit se joue dans l’agence. Sans caméras.
S’il ne lit pas sa lettre, se fait-il pour autant l’écho de nombreux demandeurs d’emploi ?
Son acte cristallise tout un tas de tensions qui existent dans la société. En France, en Belgique, dans toute l’Europe, on voit de plus en plus d’actes isolés de ce type. Sans parler des suicides qui ont meurtri la Grèce. Généralement, ça concerne l’emploi. Mais cela s’étend aussi aux allocations familiales, aux pensions et à d’autres formes d’exclusions administratives. La cessation d’inscription suivie de la radiation de chômeurs n’est pas un phénomène nouveau : la mort, il y a un an, d’un homme qui s’est immolé par le feu devant une agence Pôle emploi à Nantes, est venue rappeler qu’elle engendre des drames. Mais ce qui change ces derniers mois, c’est l’ampleur que semble prendre le phénomène. Mon personnage le conteste à sa manière. Ce qui est intéressant dans son acte, c’est qu’il y a une dramaturgie : il se prépare seul, chez lui, il mémorise son texte. Son geste est comme un jeu : il est désespéré, un peu ridicule et forcément voué à l’échec.
Aujourd’hui, pour faire valoir ses droit, et peut-être même décrocher un emploi, faut-il vraiment marquer le coup ?
C’est délicat comme question… Ce qui est dramatique, c’est que le personnage sait parfaitement comment trouver un emploi. Il a fait un bilan de compétences, maîtrise les outils de recherche, a suivi des formations pour peaufiner son profil, il a accumulé les stages… Mais les seuls emplois qu’on lui propose sont en-deçà de ses besoins élémentaires. Et on n’attend rien de plus de lui que d’accepter que ce qu’on lui donne… Alors, est-ce qu’il faut parfois user de la violence pour faire entendre ses droits ? Je crois, malheureusement, que les gens se débrouillent comme ils peuvent. Mais s’ils restent dans les normes, ça ne marche pas. La plus grande violence ne vient pas forcément d’eux.
En Belgique, le patronat veut une législation sur le droit de grève… Les syndicats ont-ils définitivement perdu la partie ?
Partout en Europe, le syndicalisme apparaît comme étant alimenté par le système. Je pense qu’il reste capable d’apporter certaines réponses, mais sans jamais bouleverser la donne. En France, par exemple, malgré la demande d’annulation de la convention d’assurance chômage, signée en mars, le seul syndicat d’opposition a fini par être débouté. Résultat : la chasse aux chômeurs et leur précarisation vont encore s’intensifier. Même si le gouvernement prétend le contraire. Mais cela vaut pour l’ensemble de l’Europe : il y a des forces au pouvoir qui tendent à fragiliser et à isoler davantage les gens, en cassant la mutualisation et la protection sociale héritées de l’après-guerre.
Qu’est-ce qu’on attend d’un livre qui s’intitule « Ce qu’on attend de moi » ?
Peut-être qu’il renvoie au lecteur une question impersonnelle. Ce livre, ce n’est pas un témoignage, ni une œuvre documentaire. Pour moi, ce n’est pas seulement un état des lieux des traites sociales. Je veux juste que ce récit, cette énergie, produise une réflexion plus profonde chez le lecteur. Qu’est-ce qu’on attend de lui ? Choisir de rentrer dans les normes ou bifurquer ?
Propos recueillis par Rafal Naczyk
En savoir + :
Ce qu’on attend de moi, par Vincent Guédon, éd. D’ores et déjà, 2014, 60 pages, 8 euros