Le 8 février 2006, une conférence interministérielle rassemblant des représentants des différentes entités fédérées a accouchéd’un » Plan d’action national commun au Fédéral, aux Communautés et aux Régions » ainsi que d’une définition commune de la violence dans lecouple, nous en parlions dans le n°202 d’Alter Echos. Àla suite de la diffusion de ce plan, Amnesty International Belgique1, qui mène depuis deux ans campagne contre les violences conjugales, se montre très mitigée. » Sil’on ne peut que se féliciter de voir que les choses bougent enfin et que les différents acteurs sensés intervenir en la matière vont enfin être réunisautour d’une même table, il est malgré tout difficile de ne pas en retirer l’impression d’un long alignement de mesures disparates et qui manquent parfois de souffle « ,analyse l’organisation. Explications.
La Belgique s’était dotée d’un nouveau2 Plan d’action national contre la violence conjugale en mars 2004 et des objectifs ambitieux y figuraient. AmnestyInternational et de nombreuses organisations de la société civile notaient cependant dès juin 2005 que très peu d’objectifs de ce plan avaient ne serait-ce quecommencé à être mis en œuvre et proposaient des priorités d’actions aux différents niveaux de pouvoir dans notre pays.
Récolte des données : ça va prendre du temps…
Amnesty International se félicite aujourd’hui de voir que les différentes autorités sont » enfin » parvenues à un accord sur la définition de la violenceconjugale, accord qui permettra, espère l’organisation, de mieux cerner statistiquement ce phénomène et d’y apporter des réponses plus adaptées.Cependant, si le plan prévoit bien une sensibilisation de la police et des parquets à cette nouvelle méthodologie d’enregistrement des données, ainsi qu’uneexpérience-test dans les hôpitaux, on y lit par ailleurs que cet objectif de collecte des données pourrait prendre encore… cinq ans. » Il est vraiment urgent de disposer dedonnées plus fines concernant ce phénomène qui touche, selon le dernier sondage que nous avons réalisé3, près d’un ménage sur trois », estime Amnesty International. » Un meilleur enregistrement des données permettrait aussi un meilleur suivi des dossiers au niveau des parquets et des juges « , rajoutel’organisation.
En matière de sensibilisation, les autorités belges prévoient toute une série d’actions, qui vont de la rediffusion de dépliants jusqu’à unecampagne gouvernementale de sensibilisation aux violences conjugales, en tout cas du côté de la Communauté française. Ces propositions rejoignent des propositionsd’Amnesty International et de nombreuses organisations, qui regrettaient l’absence de campagnes d’envergure et surtout inscrites dans la durée. » On regretteranéanmoins que cette campagne de la Communauté française soit prévue pour 2006 uniquement et que des moyens aussi limités lui soient accordés. Espéronsen tout cas que toutes les actions lancées seront coordonnées entre elles « , ajoute-t-elle. » La lutte contre la violence conjugale requiert une action à long terme, qui vise lechangement des mentalités et des comportements ; il faut investir la même énergie dans ces campagnes que celle que l’on a mise dans les campagnes contre l’alcool auvolant. Nous avons besoin de “Bob” contre la violence partout ! «
Des mesures très attendues…
De nombreuses mesures touchant le monde de la Justice sont proposées dans le plan dont une circulaire de la ministre de la Justice et du collège des Procureurs générauxqui propose à tous les arrondissements judiciaires du royaume de mettre en place des politiques dans l’esprit de ce qui a été réalisé ces derniers tempsà Liège et à Anvers (cf. encadré).
La formation des magistrats4 et des personnels des maisons de justice est également à l’ordre du jour. » La ministre de la Justice va également se pencher surune évaluation de la protection des victimes et de leur entourage. C’est important, en effet, estime l’organisation de défense des droits humains : la mesured’éloignement de l’auteur du domicile conjugal, pourtant prévue par la loi, semble difficile à mettre en œuvre dans beaucoup de zones de police. Il estd’ailleurs significatif que trois propositions de loi sur ce sujet figurent à l’agenda du Parlement. «
Les policiers font enfin l’objet d’une attention spécifique : des formations, tant de base que barémiques, sont prévues et n’attendraient plus que desarrêtés royaux ou ministériels pour être enfin concrétisées. » C’était là une des revendications majeures des acteurs du terrain, rappelleAmnesty International ; des contacts que nous avons eus avec des commissaires, il ressort que la violence conjugale représente jusqu’à 30 % des motifs d’intervention decertaines polices zonales. «
… et des regrets
De manière générale, il faut constater le rôle central dévolu à l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes. Ce dernierest chargé, tout au long du document, de centraliser un grand nombre d’informations. Le fait qu’il soit désormais doté d’une personnalité juridique valui permettre d’ester en justice, même si le plan reste flou sur ce que cela signifiera concrètement en matière de violences conjugales. Pour Amnesty International, » bienqu’une cellule de l’Institut traite spécifiquement de la violence conjugale, il serait tout de même important que cette dernière figure explicitement dans son planstratégique, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Plusieurs partenaires que nous avons consultés se demandent aussi si l’Institut dispose des ressources suffisantespour faire face à toutes les missions qui lui sont confiées… « .
Du côté des régions, Amnesty n’est pas tendre avec les projets annoncés tant au niveau wallon que bruxellois. » À Bruxelles, c’est la nébuleuse, constateFrançoise Guilite, encharge de ces uqestions chez Amnesty. Même le financement du seul centre d’accueil pour femmes battues n’est pas assuré. « 5 Et du côtéwallon ? » C’est la déception. «
La ministre des Affaires sociales, Christiane Vienne (PS), ne propose des budgets tant pour la prise en charge des hommes violents que pour l’accompagnement des victimes qu’à partir de 2007″ au plus tôt « . L’organisation de groupes de parole pour les hommes violents devra être organisée avec les services de santé mentale, les centres de planning familial… « Ces associations ont-elles les moyens de prendre cela en charge ? Les budgets proposés (225.000 euros pour l’hébergement des femmes victimes, par exemple) sont tout à faitinsuffisants. » Le directeur d’Amnesty, Philippe Hensmans, estime par contre intéressante la proposition du ministre du Logement André Antoine (CDH) qui veut faciliter l’accèsaux logements sociaux aux femmes victimes de violences conjugales.
» Ce plan constitue certainement un pas en avant , constate Amnesty International, ne fut-ce que parce que les différents partenaires ont pu apporter leurs pièces au puzzle. Mais ils’agit aussi d’un patchwork de mesures dont certaines étaient prévues de longue date et dont on espère que leur mise en œuvre se fera cette fois-ci plusrapidement. Ensuite, une des revendications majeures des associations – à savoir une véritable ligne téléphonique d’aide aux femmes victimes – n’est pasrencontrée. Le plan est très faible également dans la définition des objectifs à atteindre, et surtout des méthodes d’évaluation, notamment ence qui concerne la prévention. Il est triste de constater que celles-ci se résument souvent au nombre de brochures distribuées, et non pas aux changements de comportement oud’opinion attendus. Il sera difficile pour l’Institut, souvent chargé de cette évaluation, de réaliser un travail de qualité sur base d’indicateurs aussipauvres.. » Et pour revenir au sentiment de patchwork, la plus belle preuve ? La mise en œuvre de coordinateurs provinciaux pour toutes les initiatives en matière de lutte contre lesviolences envers les femmes. Pour un budget d’à peine 284.000 euros, pas moins de sept ministres sont compétents et doivent se mettre d’accord pour en coordonner lacoordination…
Violences conjugales : une » tolérance zéro » intelligente
L’expérience avait déjà été menée en certains endroits, comme à Liège (cf. Alter Echos n°191). Concluante, visiblement. Si bienque ce 7 mars, veille de la Journée internationale des femmes, décision a été prise d’étendre la tolérance zéro à l’ensemble du pays enmatière de violences conjugales.
La ministre de la Justice, Laurette Onkelinx (PS), et le collège des procureurs généraux ont signé une circulaire en ce sens. Elle s’adresse et s’applique à tousles arrondissements judiciaires du pays.
La volonté est de ne pas faire dans la dentelle. Les services concernés sont priés de prendre chaque cas au sérieux, en dressant un procès-verbal dèsqu’une infraction est constatée. Des modèles de procès-verbaux ont d’ailleurs été établis pour l’audition des victimes ainsi que des auteurs des faits deviolence conjugale. Ils ont été conçus pour laisser une large place au témoignage des personnes. On pourra d’ailleurs procéder à des auditions filméessur support vidéo, mais aussi prendre une mesure d’éloignement préventif du domicile pour l’auteur des faits.
Laurette Onkelinx traduit cette réforme par « l’organisation d’une tolérance zéro intelligente », insistant sur le fait que « tous les appels et toutes les interventions devrontêtre enregistrés ». Pour les cas les plus graves, notamment lorsque des traces de coups sont visibles, des avis au magistrat du parquet seront « systématiquement » donnés.Histoire de bien attirer l’attention de l’auteur des faits sur leur gravité, endiguant d’entrée de jeu tout risque de sentiment d’impunité.
La circulaire sera d’application à partir du 3 avril prochain. Le texte tente au passage de mieux définir la violence conjugale. Est considérée comme telle « toute formede violence physique, sexuelle, psychologique ou économique entre des époux ou des personnes cohabitant ou ayant cohabité et entretenant ou ayant entretenu une relation affectiveet sexuelle durable ».
On promet aussi que des statistiques permettront, désormais, de mieux appréhender le phénomène (cf. critique d’Amnesty International ci-contre à ce sujet).Un lot de 150 magistrats recevra une formation plus spécifique fin mars, à Bruxelles.
1. Amnesty International Belgique, rue Berckmans, 9 à 1060 Bruxelles – tél. : 02 538 81 77
2. Un premier plan avait été élaboré en 2001, couvrant la période 2001-2003.
3. Sondage (non publié) réalisé pour Amnesty International Belgique francophone par IPSOS, auprès d’un échantillon représentatif de 404 personnes,entre le 16 décembre 2005 et le 6 janvier 2006.
4. Une enquête de l’ULB en 2002 signalait que » cette loi [la loi relative à la violence conjugale] n’a pas modifié la politique criminelle en la matière, nil’attitude des polices et des parquets à l’égard de cette problématique. (…) Aucun des magistrats du parquet interrogé n’a utilisé les nouveauxpouvoirs conférés par la loi du 24 novembre 1997. » Voir « La politique judiciaire en matière de violence au sein du couple« , étude de Nathalie Kumps et Gert VanBeek (KUL & ULB).
5. In Le Soir du 7 mars 2006.