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Regard critique · Justice sociale

Justice

Violences policières: des solutions, peu de répercussions

Des cas de violences policières surgissent régulièrement dans l’actualité. Parfois difficiles à prouver, ces violences interrogent dans leur sillage l’application des sanctions (disciplinaires voire pénales) à l’encontre des forces de l’ordre, mais aussi le rôle de la formation et de la prévention.

Le défi de contrôler sans stigmatiser. CC BY-ND 2.0 / Maxence

Tout relève d’une simple coïncidence. Un bouton qui s’enfonce, une bodycam (caméra-piéton) qui s’actionne. Et voilà que s’enregistrent dix-neuf minutes d’images qu’on n’aurait jamais dû voir; dix-neuf minutes de violences – insultes, étranglement, coups – commises par plusieurs policiers de Liège sur un jeune Herstalien souffrant d’une légère déficience mentale. Les faits remontent au mois d’avril 2022; moins d’un an plus tard, début février dernier, a débuté le procès des huit policiers en question au tribunal correctionnel de Liège. Un procès pour traitement dégradant et coups et blessures, qui s’ajoute à plusieurs mises à l’écart et lourdes sanctions disciplinaires à l’encontre des policiers concernés.

C’est donc à une erreur de manipulation, un hasard tombé à pic qui aura permis d’attester, images à l’appui, des violences policières, que l’on doit cet arsenal de répercussions, assez rare pour être souligné. En théorie, trois possibilités s’offrent à la personne qui souhaite signaler un abus ou se plaindre auprès d’organismes de contrôle des services policiers. Soit s’adresser au service de contrôle interne de la zone de police ou unité de la police fédérale. Soit introduire une plainte à l’Inspection générale (AIG). Soit, enfin, saisir le Comité permanent de contrôle des services de police, le fameux «Comité P», régulièrement sollicité lorsque des policiers sont suspectés d’abus. «Mais il existe un malentendu au sujet du Comité P, expliquait Patrick Charlier, directeur d’Unia à Alter Échos en novembre 2020. Ce n’est pas forcément l’organe le plus à même de traiter des plaintes individuelles» (lire «L’impunité, plus qu’un sentiment», Alter Échos n°488).

Mathieu Beys, juriste et auteur du livre Quels droits face à la police?, précisait quant à lui dans le même article qu’il existe «une tension entre le contrôle de la police au regard des droits fondamentaux et l’importance d’assurer le bon fonctionnement de l’institution, la volonté d’améliorer le travail de la police, qui sont des missions du Comité P». En théorie, la mission de contrôle de la police est donc bel et bien effectuée, des rapports sont publiés… «Mais [il y a] une grande prudence, des formules vagues, afin de ne pas miner la confiance du public en l’institution policière», ajoutait-il encore.

La difficulté à appliquer des sanctions au sein de la police est pointée du doigt. Christian De Valkeneer, procureur général à Liège, regrette que «des sanctions disciplinaires ne suivent pas une sanction pénale, par exemple de la prison avec sursis. La loi sur les sanctions n’est pas simple et on constate une frilosité des autorités administratives. Ce n’est pas facile d’infliger une sanction, car cela suscite en général de l’émotion parmi les policiers».

Résultat: la difficulté pour les victimes à obtenir justice apparaît comme la règle plutôt que l’exception. Pour la Ligue des droits humains, cette difficulté prouve qu’il existe en Belgique «un problème structurel d’égalité des armes au détriment des victimes».

Voie libre pour les éléments «dysfonctionnels»

Plus en amont que la sanction, la formation apparaît comme l’une des clés pour lutter contre les stéréotypes et préjugés au sein de la police et donc contre les violences que ceux-ci peuvent engendrer. À la formation initiale des policiers «s’ajoutent une formation continuée, gérée par les zones de police, avec une partie obligatoire le plus souvent technique (utilisation des armes, maîtrise de la violence…) et un programme ‘à la carte’ de huit heures qui aborde des problématiques comme les discriminations, l’accueil des victimes de violences sexuelles, le harcèlement, mais aussi le radicalisme ou les discriminations ethniques», écrivions-nous en novembre 2020 (lire «La formation contre les préjugés au sein de la police? ‘Juste un Dafalgan’», Alter Échos n°488).

Mais là encore, force est de constater que l’impact semble limité. Le commissaire de police et porte-parole pour la zone de Bruxelles-Ixelles, Olivier Slosse, reconnaissait lui-même dans ce même article: «Il y a d’énormes différences selon les écoles de police. Certaines mettent l’accent sur certaines problématiques, d’autres pas. Cela dépend des formateurs, du régime linguistique.»

Et que faire quand, malgré une formation adéquate, de futurs policiers semblent clairement «problématiques»? La marge de manœuvre s’avère minime: même pour des faits graves, les académies de police arrivent rarement à écarter certains aspirants, comme le soulignait Luc Welcomme, coordinateur pédagogique de l’académie de police de la Province de Namur, toujours dans ce même article: «S’ils réussissent leurs examens, leur évaluation de fonctionnement professionnel, nous ne pouvons pas ‘arrêter’ ceux qui nous semblent dysfonctionner.»

Pour Pierre-Yves Rosset, s’exprimant au nom du délégué général aux Droits de l’enfant, il serait donc utile de «repenser la formation initiale et continuée des forces de police», mais aussi de «créer un guichet unique de première ligne, tenu par des professionnels, par exemple des travailleurs sociaux, qui pourraient accueillir des plaintes à l’encontre de la police. L’objectif serait de lutter contre le sentiment d’impunité et d’éviter le non-recours aux droits» (lire «Police et jeunes: bilan d’un confinement sous tension», Alter Échos n°484).

Crise de légitimité

Le salut de la police passera-t-il par un renforcement de ses missions de prévention au détriment de la répression? Le commissaire Alain Parmentier, responsable du service de proximité de la zone de police Hesbaye, veut en tout cas le croire: «À partir du moment où cette fonction de proximité serait valorisée, en disposant des moyens nécessaires, je suis certain que d’autres fonctionnalités (interventions, recherches…) auraient moins de travail. La prévention se ferait en amont d’une manière plus efficace», avançait-il dans l’article «C’est arrivé près de chez vous». Pourtant, si «le contact avec le citoyen est l’ADN même du travail de proximité, force est de constater que ce contact se réduit à peau de chagrin», soulignions-nous dans le même article.

Les cas de violences policières qui surgissent à intervalles réguliers dans les médias rappellent les nombreux chantiers nécessaires pour réparer la fracture entre police et citoyens, et les tout aussi nombreux obstacles à leur mise en œuvre. Dans une interview accordée à Alter Échos (n°488) en novembre 2020, le criminologue à l’ULiège, Vincent Seron, concluait avec ces mots: «Aujourd’hui, dans un contexte d’une crise de légitimité, il y a à mon sens une perte de confiance de la population vis-à-vis des services de police, et inversement. Et certainement à travers une orientation préventive, d’un contact plus marqué, plus positif avec la population, la police gagnera à être davantage reconnue au travers de ses actions.»

Clara Van Reeth

Clara Van Reeth

Journaliste jeunesse, aide à la jeunesse, social & Contact freelances, illustratrice.eur.s, stagiaires & partenariats (médias, projets, débats)

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