«Le virus, c’est Uneus», scandaient une centaine de personnes en cette fin du mois d’août dans les rues de Saint-Gilles. L’objet de leur colère: des violences policières présumées commises contre trois jeunes femmes, qui ont demandé de l’aide à des agents de police après avoir été harcelées à proximité d’un bar par un homme. Une altercation s’est ensuivie, les jeunes femmes ont reçu une amende et ont été interpellées. L’une des jeunes femmes s’est réveillée le poignet et le coude cassés.
Cow-boys de proximité
Uneus, un nom qui n’est pas inconnu dans nos pages. Il y a deux ans, nous consacrions une enquête à cette brigade de police de proximité mise en place en 2012 («Uneus: cow-boys de proximité», novembre 2018). Uneus pour Union pour «un environnement urbain sécurisé». Son objectif, tel que défini dans la convention de partenariat de la commune de Saint-Gilles, avec la zone de police Midi, la police fédérale et le parquet de Bruxelles est d’«œuvrer activement et de manière solidaire à une amélioration de la qualité de vie et au maintien d’un cadre de vie harmonieux et sûr à long terme dans les périmètres d’action définis». Sur le terrain, le tableau est bien plus sombre.
«On n’est pas contre la police de proximité, on reconnaît aussi l’existence de la délinquance dans le quartier. Mais… pas une telle violence de la brigade!» Latifa Elmcabeni, Collectif des Madre
«Dents et bras cassés, gifles, insultes racistes ou homophobes, contrôles d’identité abusifs, arrestations arbitraires, usage disproportionné de la force sur des jeunes déjà menottés, étranglements ou étouffements… Voilà ce qu’on peut lire dans le rapport de Bernard de Vos, délégué général des Droits de l’enfant (DGDE), ‘Pour un apaisement des relations entre les jeunes et Uneus’», écrivions-nous dans cet article. Ces violences – exercées principalement sur des mineurs – ont été mises au jour grâce à la mobilisation d’un groupe de mamans de la commune, le Collectif des Madre, lancé par Latifa Elmcabeni. «On n’est pas contre la police de proximité, on reconnaît aussi l’existence de la délinquance dans le quartier. Mais… pas une telle violence de la brigade!», nous confiait-elle. Ses actions se concrétisent par plusieurs interpellations citoyennes pour exiger une évaluation externe, balayées par Charles Picqué. «À défaut d’éléments tangibles et en l’absence du moindre dépôt de plainte, j’en arrive à la conclusion que ces témoignages sont non fondés», arguait le bourgmestre PS.
Pas de plainte, pas de problème. Une ritournelle qui sonne faux. «Il est difficile de porter plainte. Les gens qui effectuent des démarches auprès du Comité P sont des personnes déterminées à franchir le pas», expliquait Antoine Roisin, responsable JOC dans cet article «Violences policières, entre impunité et déni de reconnaissance» (Alter Échos n°453, octobre 2017). Pierre-Yves Rosset avançait dans un autre article qu’il serait utile de «repenser la formation initiale et continuée des forces de police et de créer un guichet unique de première ligne, tenu par des professionnels, par exemple des travailleurs sociaux, qui pourraient accueillir des plaintes à l’encontre de la police. L’objectif serait de lutter contre le sentiment d’impunité et d’éviter le non-recours aux droits».
Profilage ethnique à la plage
Autre actualité estivale, celle de Blankenberge. En bref: des altercations avec des policiers – dont des jets de parasol – impliquant plusieurs jeunes originaires de Bruxelles sur une plage de la Côte. En conséquence: des réactions politiques dans tous les sens. Une pression des syndicats de police. De la récupération par le Vlaams Belang. Des trains supprimés dans la foulée. Une enquête en cours. Cette affaire a aussi révélé que le délit de faciès et le profilage ethnique sont assumés par certains policiers. Et ces pratiques illégales ne seraient pas rares. Pierre-Arnaud Perrouty, directeur de la Ligue des droits humains, rapportait dans notre article consacré aux relations jeune-police pendant le confinement (Alter Échos n°484, mai 2020) que les premiers témoignages recueillis par l’Observatoire des violences policières «comportent presque tous une dimension de discrimination, de profilage ethnique».
L’affaire de Blankenberge a aussi révélé que le délit de faciès et le profilage ethnique sont assumés par certains policiers. Et ces pratiques illégales ne seraient pas rares.
Pour tenter d’enrayer ce phénomène, la zone de police Malines-Willebroek décidait en 2017 d’instaurer l’enregistrement des contrôles d’identité. Une première en Belgique (Alter Échos n°451, septembre 2017). «Certains citoyens ne comprenaient pas pourquoi ils étaient contrôlés. Dorénavant, ils peuvent avoir la réponse en toute transparence», indiquait Dirk Van De Sande, porte-parole de la zone de police Malines-Willebroek. Une mesure pour restaurer la confiance. Le syndicat de police SLFP ne l’entendait pas de cette oreille considérant que «l’enregistrement des contrôles est une preuve de méfiance envers la police: ‘À partir du moment où on veut lutter contre la stigmatisation de certaines catégories de la population, pourquoi stigmatiser une profession?’»
Double standard
Les violences policières touchent surtout les jeunes, notamment ceux qui vivent dans des quartiers précaires, issus de l’immigration et sans-papiers. «Sur le terrain, c’est l’impression d’une forme de double standard qui s’applique en défaveur des quartiers populaires de Bruxelles», écrivions-nous lors du confinement. Mohammed Boho, coordinateur du centre de jeunes Rezolution, proche de la place Lemmens, à Anderlecht, en témoignait: «Un jeune m’a dit qu’à Ixelles, lorsqu’un jeune sort, on dit qu’il flâne, à Cureghem, il traîne. Comme s’il y avait deux champs lexicaux différents.»
«C’est toujours les mêmes qu’on voit. Les jeunes comme nous sont invisibles dans les médias, lorsqu’il s’agit de s’interroger sur les relations jeunes/police. Ou alors ils ont le mauvais rôle…»
Des jeunes qu’on entend peu. Parce qu’ils sont contraints de se taire? Parce qu’ils sont découragés de parler? En 2014, lors d’un débat consacré au rapport des jeunes à la police organisé par le festival BruXitizen, un projet de l’Agence Alter, on pouvait entendre Thibault, 23 ans, raconter «se faire très souvent contrôler», mais «ne pas avoir l’occasion de prendre la parole, se sentir tenu écarté des discussions». «C’est toujours les mêmes qu’on voit. Les jeunes comme nous sont invisibles dans les médias, lorsqu’il s’agit de s’interroger sur les relations jeunes/police. Ou alors ils ont le mauvais rôle…» La parole, on leur a donnée deux ans plus tard lors ce même festival, qui débouche sur des productions médiatiques.
Dans le numéro «Jeunes, les nouvelles voix de la révolte» (téléchargeable sur https://www.altermedialab.be/), les élèves de l’Athénée royal Andrée Thomas sont revenus sur le mouvement de protestation qui a agité leur établissement fin de l’année dernière. La direction avait eu recours à l’intervention de la police, «jugée musclée». Ils y interrogent notamment l’utilisation du terme émeute pour qualifier leur mouvement – «un mot à connotation très négative qui a été relayé par les médias et n’a fait que desservir le mouvement». Un mot qu’on a encore souvent entendu dans l’affaire de la Côte…