Pour sa troisième édition, Viva for Life, l’opération montée par la RTBF pour aider les enfants vivant dans la pauvreté, a récolté plus de 3 millions d’euros. Elle confirme ainsi son succès auprès du public francophone. Pourtant, elle ne fait pas l’unanimité auprès de certains acteurs du monde associatif, tels que le Réseau wallon de lutte contre la pauvreté (RWLP) et la structure d’éducation permanente GSARA. Ceux-ci craignent, notamment, une déresponsabilisation des pouvoirs publics.
Article initialement publié le 3 février 2016.
«Chez nous, un enfant sur quatre vit dans la pauvreté»: le slogan accrocheur de Viva for Life n’a cessé de résonner à nos oreilles pendant toute la durée l’opération, qui s’est tenue du 17 au 23 décembre 2015. À travers sa campagne de sensibilisation, l’asbl d’éducation permanente Gsara pointe le «show médiatique» de l’opération offert avec son «lot de lumière, de vedettes, de surprises et de défis». Concrètement, trois présentateurs de la chaîne publique se sont enfermés durant six jours et six nuits dans un studio de verre, à la vue de tous, sur une place publique à Charleroi. Réaliser une émission permanente de 144 heures tout en se privant de nourriture solide figurait parmi les nombreux défis des animateurs. Leurs activités étaient filmées quotidiennement et largement diffusées sur les différents supports médiatiques de la RTBF.
Dans une étude critique1 consacrée à une des publicités de l’opération, Jean Blairon, directeur de l’asbl Réalisation, téléformation et animation, met en évidence le slogan de la banque Belfius, partenaire de Viva for Life: «Arnaud ne sait pas encore qu’il devra grandir dans la pauvreté. Faisons en sorte qu’il ne le sache jamais. Achetez les maracas Viva for Life Belfius et faites-vous entendre pour les enfants défavorisés.» Un message qui, par son style trop vendeur, dérange certains acteurs de terrain.
«Nous sommes conscients que notre action reste une goutte d’eau et nous n’avons pas la prétention de résoudre la pauvreté en Belgique. Mais on pourrait tout aussi bien ne rien faire, c’est notre façon d’apporter notre pierre à l’édifice», plaide Ève-Marie Vaes, la coordinatrice de Viva for Life. Bien que les organisateurs de l’opération ne se targuent pas d’éradiquer la pauvreté, les messages qui entourent l’émission peuvent prêter à confusion, estime la secrétaire générale du Réseau wallon de lutte contre la pauvreté, Christine Mahy. Pour elle, «le message de Viva for Life doit être plus clair et mettre en évidence le financement apporté aux associations, au lieu de laisser entendre que cela éradiquera la pauvreté».
Rôle des pouvoirs publics?
Parmi les différents chèques remis à Viva for Life, on retrouve ceux de responsables politiques, relève aussi Mme Mahy. «Quand on voit arriver le gouvernement fédéral avec un chèque alors qu’il prend des mesures portant atteinte à la sécurité sociale et donc appauvrissent les gens, mais aussi les associations, c’est de l’indécence pure. Car il ne faut pas oublier qu’une partie de celles-ci a vu ses subsides réduits par les pouvoirs publics», souligne-t-elle. La secrétaire générale du RWLP considère, par ailleurs, qu’installer ce type d’opération dans la durée représente un danger car «les politiques pourraient progressivement penser qu’il n’y a pas que leurs subsides mais aussi les dons récoltés par Viva for Life».
Dès le lancement de la première édition, en 2013, l’Office de la naissance et de l’enfance (ONE), qui travaille en partenariat avec Viva for Life, avertissait les organisateurs d’un certain risque. Celui d’inciter les pouvoirs politiques à se défaire progressivement de leur rôle de soutien aux associations si l’opération de la RTBF défendait la même cause pendant plusieurs années. C’est pourtant avec l’accord des responsables de l’ONE que Viva for Life a continué à mettre en avant la question de la pauvreté infantile, justifie Ève-Marie Vaes. «Après, on espère que les ministres ne se limiteront pas à donner 50.000 euros à Viva for Life, mais ce n’est plus notre responsabilité», estime la coordinatrice de l’opération caritative.
Afin de susciter le débat, l’asbl Gsara a lancé une campagne de sensibilisation intitulée «Don qui choque»2 dans laquelle elle s’interroge sur l’hypermédiatisation de l’opération et souligne l’importance de renforcer la responsabilité collective plutôt que d’inciter à la charité individuelle. Viva for Life suscite dès lors une double interrogation. Si elle se pérennise, elle risque de déresponsabiliser les pouvoirs publics, qui auront l’impression d’avoir accompli leur tâche. Dans le même temps, le caractère ponctuel et non garanti dans la durée des rentrées financières provenant de l’opération est un autre motif d’inquiétude souligné par le RWLP et l’asbl GSARA. «Ces dons ne sont pas structurels et ne nous permettent pas d’assurer notre travail et d’ouvrir des postes fixes», s’inquiète également Sébastien Hertsens, codirecteur de l’asbl Dynamo, un service d’aide aux jeunes.
Une bouffée d’air frais malgré tout
Entre-temps, l’opération représente un avantage non négligeable pour de nombreuses structures. En 2014, le financement était d’environ 40.000 euros en moyenne pour chacune des 51 associations soutenues par l’action de la RTBF. Elles ont dès lors pu acheter de nouveaux matériels ou réaménager leurs locaux, selon le rapport de présentation des projets financés publié par la chaîne publique. Douze associations ont également pu assurer les salaires de leurs personnels. Enfin, 22 autres ont pu engager un, voire deux employés supplémentaires, permettant ainsi un meilleur suivi et accompagnement des familles précarisées. «Nous nous sommes rendu compte que trop peu d’installations étaient adaptées aux enfants de familles précarisées dans la région de Verviers. Grâce aux dons de Viva for Life, nous avons créé une halte d’accueil pour offrir du temps libre aux parents en engageant une puéricultrice à mi-temps», se réjouit Christel Nyssen, médiatrice sociale de l’association Régie des quartiers d’Ensival, dans la banlieue de la ville wallonne.
Les dons ne sont pas reversés directement aux particuliers, mais uniquement aux associations qui répondent à l’appel à projets de Viva for Life. «Chaque association aide des dizaines de familles et, grâce à ça, on peut toucher des milliers d’enfants», justifie Ève-Marie Vaes. Après la deuxième édition, en 2014, 51 projets sur les 80 proposés avaient été retenus. Pour l’édition 2015, plus de 140 associations ont soumis une demande de financement. Les dossiers vont être analysés par un jury présidé par le Délégué général aux droits de l’enfant, Bernard De Vos, et composé, pour une large part, de représentants des pouvoirs publics. Mener une «action significative envers les enfants de zéro à six ans» constitue le principal critère à respecter. Les projets sélectionnés seront annoncés le 22 février.
Les réels enjeux de la pauvreté négligés< /span>
Par le biais de son opération, la RTBF souhaite également sensibiliser l’opinion à la situation «peu connue» des jeunes enfants vivant sous le seuil de pauvreté en Belgique francophone. Alors, mission accomplie? Là encore, une partie des acteurs de terrain restent perplexes, pour ne pas dire hostiles. En une semaine d’opération, de slogans répétitifs et de reportages sur les différents supports de la RTBF, difficile de passer à côté de l’information clé qu’un enfant sur quatre vit dans la pauvreté. Mais le récit médiatique nous permet-il de saisir les différents enjeux liés à la pauvreté? Ou se limite-t-il à montrer ses effets ponctuels, sans développer la multiplicité de ses causes et conséquences qui permettraient au public d’appréhender le phénomène dans sa complexité?
Du côté de l’asbl Gsara, la réponse est sans équivoque: «Il n’y a pas de réflexion et de prise de conscience par rapport à l’enjeu. L’opération cherche plus à créer de bons sentiments qu’à susciter une volonté de changement et d’esprit critique de son public», relève la responsable de la campagne «Don qui choque», Julie Van der Kar. Celle-ci rapporte le témoignage d’une jeune femme ayant réalisé un stage à la radio Vivacité. Aux questions de la stagiaire, qui demandait pourquoi la chaîne insistait davantage sur les animateurs, les défis et les récits de vie que sur les causes de la pauvreté, les producteurs de l’émission lui auraient répondu que «cela plomberait le moral des téléspectateurs».
La coordinatrice de Viva for Life insiste pourtant sur la qualité des témoignages et évoque les nombreux programmes et reportages réalisés en dehors de l’opération. Une journaliste de la RTBF, Dominique Burge, relève toutefois que «quand l’opération approche, on nous demande en catastrophe de faire un ou deux sujets pour le Journal télévisé. Or il s’agit de thématiques complexes qui nécessitent du temps». Dominique Burge ajoute qu’elle «n’attend pas Viva for Life» pour traiter de ces sujets.
Selon Christine Mahy, le problème de la pauvreté devrait être traité à la racine: revaloriser le système des cotisations sociales, impôts et taxes, afin de permettre une redistribution juste à l’ensemble de la population et, dans ce cas-ci, à l’ensemble des associations qui travaillent avec la petite enfance. «Aujourd’hui, l’idée qu’on paye trop d’impôts est relayée par une partie des politiques et ancrée dans l’opinion publique. Il faut arrêter de décrier l’impôt et expliquer que cela permet de financer l’enseignement, les soins de santé, les crèches…», estime-t-elle. L’asbl Gsara, quant à elle, organise un débat en février avec, notamment, des représentants de Viva for Life, dans l’espoir de faire évoluer le dispositif. La quatrième édition est en tout cas d’ores et déjà confirmée au sein de la chaîne publique. Avec des changements prenant en compte des avis exprimés par les acteurs de terrain? Réponse en décembre…
Alter Échos, Fil info, «Sam Tsemberis: ‘Les gens s’en sortent plus facilement de leurs addictions que de la pauvreté’», Rafal Naczyk, 20 mars 2015.
En savoir plus
- «Pauvreté et médias – Vers une politique de la pitié, au détriment d’une politique de justice sociale?», par Jacqueline Fastrès et Jean Blairon, en mars 2015, Intermag.
2. http://gsara.tv/outils/donquichoque.