Les articles parus dernièrement dans la presse quotidienne sont unanimes : une minorité d’étrangers, qu’ils soient issus de l’UE ou non, se sontmanifestés auprès de leur administration communale pour voter le 8 octobre prochain.
Or, le poids du vote des étrangers est loin d’être négligeable : en Région de Bruxelles-Capitale, un quart de l’électorat (25,05 %) potentiel estnon-belge, pour 4 % en Flandre et 11 % en Wallonie1. Dernier délai pour s’enregistrer : le 31 juillet prochain. Pour plusieurs représentants du monde associatif, unsilence douteux règne dans le camp du politique, qui tarde à manifester son intérêt dans cet enjeu pourtant majeur.
Autour de la table qui réunissait, le 24 mai dernier, une dizaine de coordinateurs interculturels lors de la première journée de formation donnée sur ce thèmepar le CBAI2 les commentaires allaient dans le même sens. « À Saint-Gilles, environ 90 % des étrangers ne se sont pas inscrits et nous en sommes à un moisdes élections si l’on retire les vacances scolaires », entame Ali Yousfi, médiateur social communal. Son voisin Khalid Al Jattari, travailleur social à l’asblTrait d’union3, Molenbeek, poursuit : « Les étrangers représentent un huitième des 80 000 habitants de la commune, soit 5 000 pour ceux issus de l’UEet 5.000 hors UE. Aucun ne s’est encore inscrit, malgré les affiches et le courrier du bourgmestre ». À Schaerbeek d’où provient Siham Laarisi, jeune femmeturque présente sur la liste PS de Jette, seules cinq personnes, sur 7 935 nouveaux électeurs potentiels hors UE, soit 0,06% ! Alors, désintérêt de la chose publiqueou stigmatisation de l’étranger ? Pour Ali, ces chiffres risquent, une fois de plus, de coller une étiquette « refus d’intégration » à unecommunauté étrangère déjà malmenée par la poussée de l’extrême droite. Pour rappel, en 2000 à Schaerbeek, 3.550 personnes avaientopté pour le Vlaams Belang, soit près de la moitié des actuels électeurs potentiels hors UE. D’où l’importance pour Mohamed Samadi, formateur au CBAI,d’informer l’ensemble de la population allochtone en vue de bénéficier de ce droit.
Qui peut voter aux élections communales ?
Les étrangers européens
Ces personnes ont acquis le droit de vote par la loi du 27 janvier 1999, moyennant leur inscription sur la liste des électeurs. Ils peuvent se présenter comme candidats àl’exception de la fonction de bourgmestre. Au 1er février 2006, ils étaient 136 150 étrangers européens potentiels en région deBruxelles-Capitale.
Conditions :
• Être âgé de 18 ans au moins à la date du 8 octobre 2006 ;
• Jouir de ses droits civils et politiques ;
• Être inscrit au registre de la population ou au registre des étrangers d’une commune belge au plus tard le 31 juillet 2006 ;
• S’inscrire sur la liste des électeurs dressée par sa commune de résidence au plus tard le 31 juillet 2006.
Les étrangers non européens
C’est la loi du 19 mars 2004 qui accorde le droit de vote aux étrangers non européens. Ceux-ci ne peuvent toutefois pas être candidats sur une liste électorale. Au1er février 2006, ils étaient 45 176 étrangers non européens potentiels en région de Bruxelles-Capitale.
Conditions :
• Être âgé de 18 ans au moins à la date du 8 octobre 2006 ;
• Jouir de ses droits civils et politiques ;
• Être inscrit au registre de la population ou au registre des étrangers d’une commune belge au plus tard le 31 juillet 2006 ;
• S’inscrire sur la liste des électeurs dressée par sa commune de résidence au plus tard le 31 juillet 2006 ;
• S’engager à respecter la Constitution, les lois belges et la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
• Avoir résidé de manière ininterrompue en Belgique pendant les 5 ans qui précèdent la demande d’inscription.
Le séjour peut être couvert par un ou plusieurs documents. Pour les réfugiés reconnus, la période entre l’introduction de la demande d’asile et ladécision positive doit être prise en considération.
À noter que plusieurs outils pédagogiques sont disponibles notamment en ligne. La brochure du CBAI « Je fais entendre ma voix » est téléchargeable surwww.cbai.be de même que celle de la Coordination nationale d’action pour la paix et la démocratie (CNAPD), le manueldu vote des résidents étrangers, sur www.cnapd.be. Une liste relativement complète des outils (pièce dethéâtre-action, jeux, DVD, Cd-roms, etc.) proposés par le secteur associatif est disponible sur demande au CBAI – av. de Stalingrad 24 à 1000 Bruxelles –tél. : 02 289 70 67. L’agenda des initiatives d’informations aux citoyens est également sur les sites du CBAI et de la CNAPD.
Tentatives d’explications
L’un des freins invoqués lors de la matinée, outre le désintérêt de la chose publique – non exclusif à la communauté allochtone –,est le barrage constitué par la langue. Pour la plupart des immigrés dits « de la première génération », le français ou le néerlandaisn’est pas la langue maternelle et n’est pas utilisée à la maison. « Des initiatives allant dans le sens d’une communication orale dans la langue d’origine(ex : l’arabe, le russe) sur des radios communautaires sont d’ores et déjà prises », explique Ali Yousfi, qui s’apprête à passer sur unechaîne bruxelloise juive malgré ses origines maghrébines. « Je vais contacter mon imam pour faire passer l’information à ma mosquée d’Anderlecht», continue le formateur Mohamed Samadi. Aller diffuser l’information dans les lieux de rencontre des communautés allochtones est le meilleur moyen de toucher des populationsparfois analphabètes (les aînés du moins) ou peu, voire pas, scolarisées.
Le peu d’intérêt ensuite pour les élections belges est un second écueil à la participation. À titre d’exemple, les Italiens de Belgiqueprésents depuis une quarantaine d’années s’intéressent sans doute davantage au scrutin italien même si voter en Belgique n’exclut en rien de voter au paysd’origine. Une seconde illustration reprise par Mohamed est la nouveauté du droit de vote pour certaines populations comme les femmes musulmanes qui ne comprennent pas les enjeux duvote.
Ensuite, le processus de naturalisation fait que la plupart des étrangers (notamment hors UE) de la seconde et surtout troisième génération soit possèdent ladouble nationalité soit sont nés en Belgique. Dès lors, dans le contexte d’incompréhension face aux taux d’inscription, ces derniers ne sont pas visibles dansles statistiques car ils sont d’emblée belges.
Enfin, le manque d’information, tant dans les écoles que dans les médias, de même que le langage utilisé par cette information, en rebutent plusd’un…et pas que des étrangers ! Que recouvre le terme « démocratie » ? Le discours est trop souvent abstrait notent les participants. « Ce quiintéresse les gens, c’est l’accès à une bibliothèque, les horaires d’une piscine ou les activités extrascolaires, mais pas le jargon »,illustre Ali. En outre, la plupart de l’information, quand elle est présente, se destine aux enfants et adolescents mais pas aux parents, et encore moins aux générationsantérieures.
On pourrait ajouter la perception négative de la signature, lors de l’inscription à la commune, des textes relatifs aux droits humains, comme si d’emblée unesuspicion de transgression était avancée face à l’électorat étranger. Mais cela ne fait pas avancer le réel débat : comment encourager lapopulation belge – tant autochtone qu’allochtone – à se rapproprier l’espace public par une participation massive et surtout réfléchie afind’éviter le virage « à droite toute » ?
Quelques chiffres…
Dans les grandes villes belges :
Ville Electeurs UE (%) Electeurs hors UE (%) Total (%)
Anvers 5, 77 4,10 9,87
Charleroi 16,90 2,53 19,43
Gand 2,78 2,70 5,48
Liège 13,26 3,13 16,39
Mons 13,09 1,61 14,70
Namur 4,09 1,20 5,29
Ostende 2,13 1,02 3,15
(Source : Manuel du CNAPD, mars 2006, qui reprend également les statistiques par commune à Bruxelles-Capitale)
1. CNAPD, rue Blanche 29 à 1060 Bruxelles – tél. : 02 640 52 62 – fax : 02 640 42 12 – cnapd.dg@skynet.be
2. CBAI, av. de Stalingrad 24 à 1000 Bruxelles – tél. : 02 289 70 50 – fax : 02 512 17 96
3. Le Trait d’union, rue d’Ostende 72 à 1080 Bruxelles – contact : Khalid Al Jattari – Gsm : 0484 10 35 96 – letraitdunion@coditel.net