Fin janvier 2019. Dans les rues de Bruxelles, près de 12.500 jeunes défilent pour le climat. Les mois suivants, d’autres cortèges parcourent les rues de la capitale pour défendre la même cause. Le mouvement, massif, ne passe pas inaperçu du côté du politique. «Ces manifestations ont montré que certains jeunes avaient un intérêt pour le politique, qu’ils étaient capables de se mobiliser», analyse Guillaume Defossé, élu Écolo à la Chambre. Le 30 septembre 2020, en guise de matérialisation de ce constat, l’accord de gouvernement fédéral de la coalition «Vivaldi» prévoit d’abaisser l’âge du vote aux élections européennes à 16 ans. «Cette décision est un geste important, continue Guillaume Defossé. Il s’agit de dire aux jeunes ‘Nous vous avons entendu, vous êtes suffisamment armés pour choisir vos représentants’.»
Dans la foulée, une première proposition de loi est déposée en mars 2021, par Guillaume Defossé et Kristof Calvo (Groen). Avant qu’un autre texte, porté par l’ensemble du gouvernement – dont messieurs Defossé et Calvo – cette fois-ci, ne sorte en décembre 2021. But de l’opération: faire passer la loi afin que les jeunes puissent voter, dès l’âge de 16 ans, aux élections européennes de 2024.
Les jeunes pas demandeurs
Cette proposition d’abaisser l’âge du vote à 16 ans ne tombe pas du ciel. En 2015, une résolution votée par le Parlement européen recommandait aux États membres d’harmoniser l’âge requis pour voter aux élections européennes et de le fixer à 16 ans, le tout afin de «garantir une plus grande égalité aux citoyens de l’Union lors des élections». Et en Belgique, Écolo et Groen avaient déjà déposé en 2015 une proposition de loi spéciale abaissant l’âge du vote à 16 ans pour toutes les assemblées. «Nous nous battons depuis toujours pour ça et nous l’avons obtenu pour les européennes lors des négociations de la Vivaldi», s’enthousiasme Guillaume Defossé.
Pourtant, tout le monde ne partage pas cet enthousiasme. «Globalement, nous nous réjouissons que l’on donne de l’importance à la voix des jeunes, explique Loïc Perrin, membre du Forum des jeunes (ex-Conseil de la jeunesse, NDLR). Mais nous avons tout de même quelques bémols.» L’un des plus importants réside dans le fait que les jeunes ne semblent pas demandeurs d’une telle réforme. En 2021, une enquête menée auprès de jeunes issus des États membres de l’UE dans le cadre du Dialogue jeunesse européen avait proposé aux répondants un ensemble de mesures destinées à accroître l’influence des jeunes sur les politiques publiques. Et la mesure la moins importante aux yeux des jeunes était le vote à 16 ans… En Belgique, en 2015, le Conseil de la jeunesse avait également réalisé une enquête sur ce sujet auprès de 1.046 jeunes. 79% s’étaient prononcés contre l’abaissement du droit de vote à 16 ans… En cause, selon eux: le manque de connaissance du système politique ou encore le caractère influençable supposé des jeunes de 16 à 18 ans. Plus marquant encore: 53% des jeunes interrogés insistaient sur la nécessité de former les jeunes aux enjeux du vote et à la politique. Une suggestion que le Forum des jeunes remet aujourd’hui sur la table. «Il faut absolument qu’il y ait une éducation et une sensibilisation aux enjeux citoyens. Or, nous ne voyons pas grand-chose de concret en termes de sensibilisation… Pourtant, 2024, c’est demain», insiste Loïc Perrin.
Le politique a-t-il fait preuve d’empressement? Le Forum des jeunes ne va pas jusque-là, mais Loïc Perrin souligne toutefois malicieusement que le Forum n’a pas été consulté pour la rédaction de la proposition de loi. Un comble pour une initiative censée favoriser la participation des jeunes à la vie politique… Du côté de Guillaume Defossé, on admet une «erreur» et un «paradoxe». Pourtant, l’élu ne désarme pas. Les jeunes ne font pas une priorité du vote à 16 ans? «Je comprends, mais cela reste quelque chose d’important.» Ils ne sont peut-être pas prêts? «Le gouvernement s’est engagé à faire une campagne de sensibilisation. Et il faut que les autres niveaux de pouvoir prennent le ‘lead’», argumente-t-il. Avant de contre-attaquer. «Chaque fois que l’on a élargi le droit de vote, ces arguments sur l’influençabilité sont revenus sur la table. C’était la même chose avec les femmes, on disait qu’elles allaient se laisser influencer par le curé… Et aujourd’hui, personne ne veut revenir en arrière. Il s’agit de la marche de l’Histoire.»
Un problème de fond?
La salve de critiques suivante provient de Pascal Delwit. Auditionné en commission Constitution et Renouveau institutionnel dans le cadre des débats entourant la proposition de loi, le professeur de sciences politiques à l’Université libre de Bruxelles pointe deux défauts, selon lui, de ce texte. Un: il ne vise que le vote aux élections européennes. «Si le texte se limite aux élections européennes, c’est que, pour baisser l’âge de vote au fédéral, par exemple, il aurait fallu passer par une modification de la Constitution, qui est compliquée, explique-t-il. Mais, tout de même, si on considère qu’une catégorie de citoyens doit avoir le droit de vote, il est curieux de se mettre dans une logique de silo.» Deux: pour pouvoir voter, les jeunes de 16 ans devront s’inscrire, alors que les citoyens âgés de 18 ans ne doivent pas le faire, le vote étant obligatoire (pour les jeunes de 16 ans, le vote ne deviendra obligatoire que s’ils se sont inscrits)… Pour Pascal Delwit, cette manière de faire constitue un point «majeur»: pourquoi les citoyens de 16 ans n’ont-ils pas les mêmes droits que ceux de 18 ans et plus? Pire: le fait de devoir s’inscrire risque selon lui d’engendrer des inégalités entre les jeunes. «On peut postuler que les jeunes dont les parents ont un fort capital social s’inscriront plus facilement pour voter», argumente-t-il. Avant de conclure que la proposition de loi contient donc un «réel problème de fond», en plus de se centrer sur le niveau européen, vu comme plus compliqué, ce qui corse encore les choses.
«Il faut absolument qu’il y ait une éducation et une sensibilisation aux enjeux citoyens. Or, nous ne voyons pas grand’ chose de concret en termes de sensibilisation…» Loïc Perrin, Forum des jeunes.
Face à ces bémols, Guillaume Defossé admet qu’il n’aurait pas «choisi le niveau européen en premier» et qu’il aurait souhaité dans l’idéal voir «le droit de vote abaissé à 16 ans à tous les niveaux de pouvoir et rendu obligatoire dès cet âge», laissant ainsi entendre que la proposition de loi est le fruit d’un compromis au sein de la majorité. «Oui, je pense que le gros enjeu sera d’inclure les classes populaires. Mais le fait de devoir s’inscrire peut aussi être positif: tous les jeunes ne sont peut-être pas prêts à voter en même temps, on peut donc envisager ce mécanisme comme une forme de transition longue. Nous étudions de plus la possibilité d’une inscription en ligne», tente-t-il.
Reste qu’au sein de la majorité, cette non-obligation pose aussi question à d’autres. Au PS, Chanelle Bonaventure, membre de la Chambre, signataire de la proposition de loi et «très attachée à l’obligation de vote», pointe aussi ce problème. Si Guillaume Defossé ne semble pas avoir beaucoup d’espoir de rendre le vote obligatoire dès 16 ans, l’élue socialiste se veut un peu plus positive. «Peut-être qu’il y a moyen d’amener la réflexion au sein de la Vivaldi», espère-t-elle…